Habiter les lieux vacants

Il y a parfois des temps morts dans la vie d'un bâtiment, et c'est là que Camelot Europe intervient...

Habiter les lieux vacants

Il y a parfois des temps morts dans la vie d'un bâtiment. Il est construit, occupé, et puis se vide pour attendre un nouveau propriétaire, des travaux de réhabilitation ou sa déconstruction. Camelot Europe est une entreprise qui intervient sur ces temps de vide en donnant un usage aux lieux, en réalisant les travaux nécessaires à leur transformation en logements temporaires et en assurant leur gestion. C'est un moyen pour les locataires de disposer de logements à prix très réduits, et pour les propriétaires de maintenir une occupation de leurs locaux en minimisant les risques de dégradation. Un nouvel exemple d'intensification de l'usage de l'existant.

Frédérique Triballeau > Bonjour à vous deux et merci de m’accueillir dans vos locaux. Pourriez-vous vous présenter ?

Claire De La Casa > Je suis responsable du développement Île-de-France chez Camelot Europe, je vais à la rencontre de propriétaires pour leur proposer notre solution. Camelot Europe est spécialiste de la gestion de bâtiments vacants. Nous les sécurisons en les occupant temporairement. J’étais précédemment en alternance chez SNCF Immobilier dans le service de l’occupation temporaire. J’y ai accompagné plusieurs projets comme la Cité Fertile et l’Aérosol.

Olivier Berbudeau > Bonjour, je suis Directeur France chez Camelot Europe. J’ai commencé l’activité en 2011. Nous accompagnons les propriétaires de bâtiments vacants ainsi que les occupants temporaires - des résidents ou des commençants - afin que chacun soit satisfait. Nous sommes constitués d’une équipe de dix personnes à Paris, trois à Marseille, deux à Toulouse et nous avons cinq postes en ouverture. L’entreprise accompagne l’ensemble du cycle de l’immobilier vacant pour des propriétaires publics ou privés. Nous proposons de les protéger en les occupant par du logement temporaire à coûts réduits ou du commerce éphémère.

Frédérique Triballeau > Quels sont les types de locaux qui vous intéressent ?

Olivier Berbudeau > Tout l’immobilier vacant nous intéresse, que ce soit du bureau ou du logement. Soit nous identifions un bâtiment vide et nous remontons la chaîne pour rencontrer le propriétaire et lui expliquer notre solution de sécurisation, soit nous approchons des propriétaires pour les sensibiliser au sujet et ce sont eux qui nous font des propositions. C’est une démarche qui évolue en continu. Mais même à l’échelle d’un bâtiment unique, il faut prendre en compte les enjeux annexes à l’occupation des lieux : l’ambiance du quartier, le voisinage, etc. C’est intégré dans notre façon de travailler.

Frédérique Triballeau > Mais pourquoi ces bâtiments sont-ils vacants ?

Olivier Berbudeau > Il y a plusieurs raisons. Il faut d’abord retenir que la vacance est plutôt une situation subie que choisie. Certains bâtiments sont en cours de cession et on peut compter souvent un an entre la décision de vente et le transfert de propriété. Dès que vous êtes en banlieue, cela peut être plus long, notamment parce qu’il y a des bâtiments obsolètes qui trouvent difficilement preneur. Ensuite, il y a les bâtiments qui vont être démolis ou qui vont bénéficier d'une grosse réhabilitation. Cela ne veut pas dire qu’ils sont nécessairement en mauvais état, mais le processus prend aussi du temps entre la décision et le démarrage du chantier. En attendant, il faut occuper les lieux pour les sécuriser.

Claire De La Casa > Aujourd’hui, nous sommes par exemple dans un immeuble obsolète pour son usage de bureau. Pourtant vous voyez bien que c’est un lieu tout à fait décent. Nous devons satisfaire les occupants, nous ne faisons pas d’occupation quand c’est vraiment en mauvais état.

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Frédérique Triballeau > Pourquoi les propriétaires font-ils appel à vous ? Est-ce que cela va plus loin que des enjeux de sécurité ?

Claire De La Casa > C’est un point d’entrée pour eux, ils recherchent une forme d’efficacité. Il y a des difficultés qui deviennent ingérables, que ce soit sur des questions d’occupation illégale, de dégradation, de vol, etc. Mais le fait de redonner une utilité aux lieux est aussi important que la « sécurisation » du site. Le fondement de notre activité est de répondre aux attentes à la fois des propriétaires et des occupants. Occuper un bâtiment, cela créé une deuxième vie : les lumières sont allumées, les gens rentrent et sortent… Il n’y a pas d’obligations particulières pour eux si ce n’est de s’astreindre à un minimum de règles de vie en communauté. Nous sommes là pour garantir qu’il n’y a pas de comportements à risque, mais c’est tout.

Frédérique Triballeau > Avez-vous une méthodologie spécifique ?

Olivier Berbudeau > Nous vivons dans le pragmatisme, alors nous allons taper aux portes. Nous ne pouvons en effet envisager une occupation temporaire d’un site complètement vide de la même manière qu’un site multi-occupé. Nous proposons d’occuper les vides afin d’éviter que des situations ne dégénèrent. Cela peut être assez angoissant pour le voisinage d’avoir des lieux vides, les gens comprennent donc plutôt bien notre solution. Cela étant, nous logeons des gens au quotidien, nous traitons avec de l’humain, nous ne pouvons pas tout rationaliser.

Frédérique Triballeau > Pour le bail, comment est-ce que cela se passe ?

Olivier Berbudeau > Le résident temporaire signe un contrat directement avec nous. Notre activité s’inscrit dans le cadre légal de l’article 29 de la loi Elan, on parle donc de résidents temporaires. Le nouveau texte de loi a prévu une ouverture pour les opérateurs privés et publics avec des engagements en faveur des personnes en difficulté. En réalité, c’est déjà ce que nous faisons avec des loyers très abordables, même si ce n’est pas notre premier propos en tant qu’entreprise. Nous logeons aujourd’hui des salariés qui sont en période d’essai ou qui dormaient dans leur voiture. Finalement, on a que trois immeubles à Paris, on travaille majoritairement en banlieue.

Frédérique Triballeau > Vous êtes présent dans plusieurs pays européens. Est-ce qu’il y a des pays où c’est plus facile de s’implanter ?

Olivier Berbudeau > C’est intéressant, on m’a beaucoup posé cette question quand j’ai démarré l’activité en France. On a tendance à croire que la France est plus rétive à l’innovation, mais c’est n’est pas nécessairement le cas. Pour l’entreprise, l'activité en France est en forte croissance, mieux que l’Allemagne. Cependant, il y a un sujet très franco-français : les relations avec les pouvoirs publics sont compliquées. Il y a plus de freins réglementaires chez nous que dans les pays d’Europe du Nord. Aujourd’hui, nous gérons une soixantaine de bâtiments et nous logeons environ 600 personnes. Demain il pourrait y en avoir 60 000 à gérer, c’est cela l’échelle des enjeux en France !

Claire De La Casa > Nous avons aussi la chance d'avoir de grandes entreprises et des collectivités locales qui sont avec nous. Il y a une vraie demande d’occupation temporaire en France.

Frédérique Triballeau > Est-ce qu’il y a des territoires sur lesquels vous pouvez intervenir plus facilement en France ? Est-ce que c’est plus compliqué hors des grandes métropoles ?

Olivier Berbudeau > Ce n’est pas plus compliqué, mais c’est différent. Dans les grandes villes, il y a une demande de logements qui est extrêmement forte. Nous conservons aussi les bâtiments en gestion moins longtemps, un an en moyenne, car le marché est dynamique. Mais nous travaillons aussi dans des villes d’environ 50 000 habitants, ce qui montre qu’il se passe des choses innovantes même en dehors des métropoles. L’avantage est que les biens immobiliers sont moins liquides, nous gardons donc les bâtiments plus longtemps avec un portage de deux ou trois ans.

Dans une ville comme Châtellerault par exemple, il est assez compliqué pour le propriétaire de trouver un acquéreur pour un immeuble de bureau. Le marché pour la vente de son bien est moins dynamique, mais nous avons une vraie demande pour du logement temporaire. Il y a des personnes en mobilité, des salariés intérimaires, des emplois saisonniers… Cela implique pour nous d’être proactifs : nous nous manifestons auprès des organismes publics ou privés qui peuvent avoir besoin de ce type de logements temporaires. Il y a toujours des enseignants, des infirmiers, des fonctionnaires en mobilité qui ont besoin de se loger.

Frédérique Triballeau > S’agit-il d’un marché immobilier parallèle qui répond à des besoins non couverts par le marché classique ?

Olivier Berbudeau > C’est un point intéressant. Je crois qu’il y a plutôt deux attentes différentes. Quand nous travaillons en zone détendue, vous avez même une suroffre de logement, mais pourtant nous allons remplir nos lieux. Il y a en effet des gens qui ont seulement besoin d’un logement temporaire, et cela ne correspond pas au parcours classique du logement. Ils ont besoin d’avoir quelque chose de simple, de rapide avec un minimum de tissu social. Quand on laisse sa famille à 200km et qu’on travaille dans une ville où l’on reste du lundi au jeudi, ce n’est pas toujours facile. Nos logements proposent un esprit de communauté qui peut être très sympa. Les degrés sont divers selon les résidences, mais nous n’avons pas à intervenir, ce sont aux résidents de se les approprier.

Frédérique Triballeau > Est-ce que le secteur se développe et commence à devenir concurrentiel ?

Olivier Berbudeau > En fait, si on prend les biens de l’État c’est cinq à six millions de mètres carrés. Les bâtiments de bureau, c’est entre quatre et cinq. Et c’est seulement ce qui est officiel ! Le bâtiment dans lequel nous sommes aujourd’hui n’est pas comptabilisé, car il n’est pas sur le marché. Il y a des millions de mètres carrés vides, largement assez pour avoir plus d’opérateurs, quel que soit leur nature. Nous avons décidé de nous axer sur le logement temporaire. Nous avons aussi fait un peu de commerce éphémère et du coworking. Le coworking répond d’ailleurs très bien aux attentes dans les métropoles et c’est certainement plus facile à mettre en place, mais je trouve cela moins amusant. Le logement, demande un autre savoir-faire, une attention au quotidien. Les propriétaires sont sensibles à cet axe, je pense que cela pèse dans leur décision finale à nous mobiliser.

Frédérique Triballeau > Vous parlez de commerce temporaire. Comment mettez-vous cela en place ?

Olivier Berbudeau > Nous travaillons par exemple avec la société du Grand Paris, à Bois-Colombes. Une rue était entièrement murée, les commerces et les appartements, pour empêcher l’occupation illégale. Tout cela était un peu triste, surtout quand vous êtes en plein cœur de ville. Nous avons été les seuls à répondre à une consultation publique pour tout remettre en état. Cela a été plus compliqué de gérer la question des commerces, mais c’est bien ce qui nous plaît. Nous avons donc démuré, remis aux normes et proposés des commerces temporaires. La mairie voulait que cela impacte le quartier, en lui redonnant vie.

Claire De La Casa > Nous avons rouvert un magasin de meuble vintage qui fait aussi café. C’est beaucoup moins cher qu'un loyer classique, alors cela permet de tester un projet sans risque. L’idée c’est d’accueillir toutes sortes de projets pour éviter l’entre-soi. Il y a aussi un pop-up store. Comme nous avons travaillé avec la mairie, la plupart des commerçants qui se sont installés sont des locaux. Cependant, la mairie n’a rien forcé, nous exprimions clairement notre avis quand nous pensions que le projet n’était pas viable.

Olivier Berbudeau > Concrètement, nous avons fait le tour du quartier, nous avons noté les commerces qui existait déjà pour éviter de créer une concurrence déloyale. Nous avons donc proposé une offre nouvelle. Cela permet à des gens qui hésitent à se lancer de tester leur projet, car si cela ne fonctionne pas, le risque est limité. Il est facile de sortir du contrat, il n’y a qu’un mois de préavis. C’est rue Mertens à Bois-Colombes, vous devriez y passer !

Frédérique Triballeau > Promis j’irais faire un tour ! Enfin, comment est-ce que vous voyez votre métier dans 10-15 ans ?

Olivier Berbudeau > Il y aura toujours des bâtiments vides, et je pense qu’il y aura encore plus de personnes en recherche d’occupation temporaire. Néanmoins, nous avons besoin d'avoir un cadre juridique plus fiable qui garantit les droits et les obligations de chaque partie, ce qui n'est pas encore le cas. Mais il y a énormément de choses à faire : ne pas laisser les bâtiments vides, c’est aussi une forme de responsabilité citoyenne qui devrait être intégrée dans les démarches d’économie circulaire. Quand on y pense, laisser un bâtiment vide c’est un non-sens ! Dans les pays du nord de l’Europe ils ne supportent pas ce gâchis. L’enjeu ce sont les millions de mètres carrés que nous avons évoqués et des milliers de personnes à loger à coût réduit.

Claire De La Casa > J’aimerais insister sur la question de l’optimisation et du recyclage. Nous sommes en train de faire des lois pour ne pas gâcher la nourriture par exemple, ce devrait être la même chose pour l’immobilier.

Olivier Berbudeau > Il manque une impulsion publique. Tout le monde hausse les épaules et s’en fiche, je trouve cela dommage. Même si on sent bien que cela bouge petit à petit. Souvent on nous explique que cela va être compliqué de le faire, et bien on le fait quand même ! En Europe du Nord, ils testent, ils réessayent, ils refont, mais cela bouge !

dixit.net / Novembre 2019