La Convention Citoyenne pour le Climat contre l’artificialisation des sols

William Aucant est un des 150 citoyens tirés au sort pour faire partie de la Convention Citoyenne pour le Climat. Architecte urbaniste très engagé au sein de la Convention sur la question de la lutte contre l'artificialisation des sols, ils nous explique les propositions de la Convention.

La Convention Citoyenne pour le Climat contre l’artificialisation des sols

William Aucant est un des 150 citoyens tirés au sort pour faire partie de la Convention Citoyenne pour le Climat. Architecte urbaniste de 33 ans, il habite désormais à Nantes où il travaille sur une thèse au sein de l’agence OBRAS, après avoir vécu 5 ans à Berlin. Très actif sur la question de la lutte contre l'artificialisation des sols, il explique les proposions de la Convention sur le sujet.

Cet échange est tiré d'un webinaire organisé par dixit.net début Juillet 2020 : pour l'écouter sous format podcast, c'est ici !  

Sylvain Grisot > Bonjour William. On se connaît depuis fin 2019, mais ce n’était que le tout début de ton aventure, puisque ton nom venait d’être tiré au sort pour être membre de la Convention Citoyenne pour le Climat. Comment tout cela a-t-il démarré ?

William Aucant > J’ai été appelé pour participer à la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) en août 2019. C’était un simple coup de fil, un samedi matin, mon enfant sur l’épaule, alors que je venais juste de déménager à Nantes après quelques années passées à Berlin. Je ne savais pas trop ce qui se passait en France à ce moment-là, j’ai cru que c’était une sorte de pub… Je me suis renseigné et j’ai découvert que la CCC était née à la suite des négociations entre le mouvement des Gilets Jaunes et le Président. J’ai donc dit oui  !

Sylvain Grisot > Un appel qui ne te proposait donc pas de refaire ta cuisine, mais de refaire le monde. Et le hasard a bien fait les choses, puisqu’architecte-urbaniste, tu n’es pas tombé dans n’importe quel groupe thématique. Peux-tu nous expliquer ?

William Aucant > L’idée était de couvrir 5 grands thèmes du quotidien des Français par autant de groupes de travail : « se loger », « se nourrir », « travailler et produire », « consommer » et « se déplacer ». Ce sont des activités qui ont toutes des liens avec les rejets de gaz à effet de serre (GES). Tout était régi par le tirage au sort : les appels pour participer à la CCC comme le choix des groupes thématiques. J’ai donc tiré un badge qui m’a permis d’accéder au groupe « Se loger ». Cela comprend les problématiques liées à la construction, aux logements et à la gestion du territoire. C’était un coup de bol, j’allais pouvoir donner mon avis sur un sujet que je connaissais déjà un peu par mon activité professionnelle. Mais le but du tirage au sort était bien d’avoir l’avis de Monsieur et Madame tout le monde. Des agriculteurs se sont par exemple retrouvés dans le groupe « Se déplacer » ou quelqu’un qui travaillait dans une régie de transport dans le groupe « Se nourrir ». A chaque session on avait des rappels de ce qui se passait dans les autres groupes.

Sylvain Grisot > Vous étiez 150, représentant toute la diversité de la population française, avec sans doute beaucoup d’entre vous peu informés des questions environnementales. Pourtant à l’issue de la Convention vous avez collectivement proposé 149 actions qui vont vraiment très loin. Comment s’est déroulée cette prise de conscience écologique collective ?

William Aucant > Il s’agissait de sept weekends de travail, en présence du Conseil Économique Social et Environnemental (CESE), la troisième institution politique du pays, mais qui n’a qu’un rôle consultatif. Les premiers weekends ont été axés sur la formation et le développement d’un socle commun de connaissances sur l’état actuel et le devenir du climat. Dès le premier weekend, nous avons eu l’intervention de Valérie Masson-Demotte, paléoclimatologue, qui a fait un constat alarmant, ainsi que de Laurence Tubiana, en charge des accords de Paris. L’idée qui nous a portés tout au long des débats, c’est que sur 30 ans, on doit passer d’une empreinte carbone de 12 tonnes à 2 tonnes par habitant. C’était un vrai choc, une claque. On ne pouvait pas se contenter de mesurettes pour provoquer un changement d’une telle ampleur. Les mesures devaient avoir comme objectif de réduire les GES d’au moins 40 % d’ici 2050, mais dans un esprit de justice sociale.

Lors des sessions suivantes, on a pu faire appel à d’autres experts, qui parfois pouvaient se contredire, mais cela nous aidait à nous forger notre propre point de vue. Dans le groupe « Se loger », on a rencontré des architectes, des promoteurs, des élus, etc. Tous les acteurs qui font la ville et le territoire. C’est ce qui nous a permis de définir, dans notre groupe, trois familles d’objectifs assez précis et volontaristes sur la gestion du parc immobilier existant et à venir.

Sylvain Grisot > Un processus d’apprentissage collectif qui était donc très centré sur les enjeux de l’empreinte carbone et du changement climatique. La thématique de l’artificialisation des sols n’est pourtant pas reliée au changement climatique de façon évidente. Comment est-elle arrivée au cœur de vos débats ?

William Aucant > On a eu la visite d’une architecte, Christine Leconte, présidente de l’Ordre des Architectes d’Île-de-France. Elle a beaucoup insisté sur la réhabilitation. Cela nous a amenés à réfléchir sur ce qui existait, ce qui était sous-utilisé et sur tout ce qui était artificialisé. L’idée de lutter contre l’étalement urbain a pris son temps à émerger dans le groupe, car on ne pense pas de prime abord que c’est ce qui va nous permettre de régler la crise climatique. Mais on a petit à petit compris que c’est un phénomène qui allonge les distances et qui grignote les sols agricoles ou naturels, qui pourtant stockent du carbone. On s’est rendu compte que 30 000 hectares disparaissent tous les ans… C’était nécessaire d’introduire cette notion de lutte contre l’étalement urbain, car on voyait bien que cela faisait système avec le reste.

Sylvain Grisot > Vous proposez donc toute une série de mesures sous l’entête « Lutter contre l’artificialisation des sols et l’étalement urbain en rendant attractive la vie dans les villes et les villages ». Vous proposez de contraindre drastiquement la consommation de sols, avec notamment un arrêt complet de la construction de zones commerciales. Est-ce que cette volonté de mettre un coup d’arrêt à l’étalement urbain a fait consensus au sein du groupe ?

William Aucant > C’est venu assez naturellement quand on a pris conscience de l’impact que cela pouvait avoir. Il y a aussi des démarches qui se mettent en place comme le « Zéro Artificialisation Nette », qui montre que la France est déjà dans cette tendance. Mais on a pu rencontrer des associations de maires ruraux qui nous expliquaient que c’était une vraie pression électorale d’avoir des espaces constructibles. On a donc souhaité mettre un cadre plus clair à tout ça.

Pour ce qui est des zones commerciales et des zones logistiques, on est partis du postulat qu’une fois qu’on en est équipés, on n’en a pas besoin de plus. S’il y a besoin de nouveaux commerces, cela doit rester dans les zones déjà existantes.

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Sylvain Grisot > Mais malgré le cadre réglementaire, le virage vers la frugalité foncière n’est pas pris. C’est confirmé par les dernières données sorties, celles de 2017, montrant une reprise de l’artificialisation des sols. Tu expliquais pourtant que réduire cette consommation de sols aurait des effets particulièrement importants pour le climat ?

William Aucant > Oui, nous avons eu l’aide de spécialistes et de groupes d’appui, qui ont pu nous aiguiller et chiffrer le coût de ces mesures. On est sur la bonne démarche pour les réduire significativement les émissions de GES. Les 146 mesures finales font système. Bien qu’elles aient été cloisonnées en grandes thématiques, il faut les prendre toutes ensemble. Quand on parle de lutter contre l’artificialisation des sols, on touche aussi à la question de « se nourrir », car on préserve des terres agricoles, et celle de « se déplacer », car on tend à réduire les déplacements domicile-travail. Entendre certains ministres faire le tri dans les mesures commence à nous alarmer, mais la rénovation globale et la lutte contre l’artificialisation des sols sont des chantiers qui sont manifestement prioritaires.

Sylvain Grisot > Dans les mesures que vous proposez, il y a donc bien l’idée de contraindre l’étalement urbain, mais aussi de pousser les alternatives. Y a-t-il des sujets qui t’ont paru avoir plus d’impact ?

William Aucant > Si on veut agir vite, il faut savoir prendre des décisions. Je pense à des friches laissées à l’abandon, le propriétaire attendant la bonne affaire. On pourrait agir sur ces franges-là, cela permettrait de renouveler la ville un peu plus vite. Alors que 30 000 hectares sont artificialisés en France par an, on veut passer à 15 000 maximum. C’est-à-dire vraiment freiner par rapport aux 20 dernières années, mais pas tout bouleverser. Toutes les mesures ont ce volet « justice sociale », d’où l’idée de faire chaque chose par palier. On ne peut pas dire qu’on arrête du jour au lendemain l’étalement urbain, car cela soulève trop de blocages. L’idée de freiner le phénomène d’étalement sur les 10 prochaines années nous a donc paru beaucoup plus juste socialement.

Sylvain Grisot > J’ai aussi apprécié dans vos propositions la volonté de donner envie de ville. Vous proposez l’implantation de bâtiment collectif après concertation, ou la densification de la nature. J’ai l’impression que ces deux idées sont liées pour sensibiliser à la ville compacte.

William Aucant > Oui, les deux idées sont liées. J’ai rendu compte à mes collègues de la notion d’urbanisme circulaire, ce qui nous a amenés à un débat sur le sujet. C’est vrai que le mot densité fait peur. Cela renvoie à une image de tours et de barres d’immeuble, alors que cela peut prendre des formes beaucoup plus douces. Beaucoup de mes collègues de la Convention sont propriétaires d’un pavillon et il s’agit de l’aboutissement de leur vie. C’est le fruit de leur travail et cela répond à une volonté de paix. Vivre de manière collective n’a pas une très bonne image aux yeux du grand public, le but à atteindre reste la maison entourée de pelouse. Il nous faut déconstruire petit à petit les à priori et montrer qu’on peut vivre très bien en appartement, avec un espace de verdure très proche et se sentir chez soi. Mais les politiques publiques ne favorisent pas encore ces types d’habitats.

Sylvain Grisot > Oui, sensibiliser à l’intérêt de la ville et au vivre ensemble, au-delà d’une forme urbaine particulièrement haute… Est-ce que tu penses qu’il manque des choses à vos propositions finales ? As-tu des regrets ?

William Aucant > J’aurais aimé qu’on fournisse plus de moyens de sensibilisation. Il y a beaucoup de points à travailler et à préciser. Il était aussi difficile de travailler avec des thématiques préétablies. On entend dans le groupe « Se loger » la question de l’habiter et du logement, on aurait pu complètement passer à côté de l’étalement urbain.

Je suis quand même très heureux qu’on ait réussi à avoir un large consensus lors du vote de la mesure contre l’étalement urbain : seulement deux personnes ont voté contre, alors que c’est un sujet technique et peu facile d’accès. Cela me donne beaucoup d’espoir pour la suite, et il y en a besoin, car il reste bien plus que 150 citoyens à convaincre.

Sylvain Grisot > Cela signifie que si l’on arrive à bien expliquer le sujet, on arrive à le mettre à l’agenda et à faire comprendre les virages significatifs à engager. Vous avez maintenant présenté votre rapport final, quel va être désormais ton rôle, votre rôle, pour la suite ?

William Aucant > On pourra exprimer notre accord ou notre désaccord sur la mise en œuvre de nos propositions. Je suis assez déterminé et même optimiste. Notre groupe des 150 s’est constitué en association, pour montrer que l’on était prêts à poursuivre le travail, à accompagner les mesures et à s’assurer qu’elles prennent une réalité concrète. Le chantier de rénovation globale des bâtiments est un sujet crucial par exemple.

La France Moche qu’avait titré Télérama il y a dix ans m’a toujours bouleversé. Je sortais de l’École d’Architecture et je trouvais que ces zones commerciales étaient en train de saccager ce magnifique pays. J’ai été ému que cela soit évoqué par le Président dans son discours. Je serai là pour lui rappeler qu’il a pris cet engagement contre l’étalement urbain et qu’on doit commencer tout de suite ce chantier.

Car cela fait déjà 20 ans qu’on en parle et que rien n’a encore bougé.

Pour aller plus loin :

Propos recueillis par Sylvain Grisot en Juillet 2020 · dixit.net