Faire de la ville un jeu d'enfants

Une ville ne devrait pas donner envie de la quitter quand les enfants débarquent dans nos vies. Et si on faisait une ville à leur échelle ?

Faire de la ville un jeu d'enfants

Une ville ne devrait pas donner envie de la quitter quand les enfants débarquent dans nos vies. Logements trop petits et inabordables, espaces publics agressifs, nature absente, quotidien compliqué... trop souvent la ville semble inadaptée à la vie de famille, et précipite le départ vers la périphérie. Pour s'attaquer sérieusement aux causes de l'étalement urbain, il nous faut (re)construire une ville qui présente toutes les qualités pour y faire grandir nos enfants.

Voici quelques pistes pour (re)faire la ville pour les enfants, un bon moyen de bâtir une ville accueillante pour tous.

Ils sont de dignes représentants de cette fameuse classe créative. Un couple de jeunes cadres qui gravit simplement les échelons de ces grosses PME du conseil qui rêvent d'internationalisation. Tous les deux-trois ans ils partent explorer une nouvelle métropole : un peu plus dynamique, un peu plus proche de la mer ou des pistes de ski... Ils voyagent toujours léger.
Leur vie reste simple : beaucoup de boulot, quelques expos, des apéros en terrasse quand le temps le permet, les dernières sorties du ciné. Et quand le frigo est vide, ils vont au resto.
Et puis elle arrive, au bout de ces 9 mois qui sont passés en un éclair. Leur premier bébé. Un instant suspendu comme une éternité, croiser son regard pour la première fois... Mais dès la seconde suivante, leur vie explose : les biberons, les couches, les nuits fractionnées, les jours hagards... Jusqu'à ce matin béni où ils se réveillent en sursaut après une nuit sans interruption, et se précipitent inquiets dans sa chambre. Elle dort. Elle a fait sa première nuit.
Alors la vie reprend, mais plus comme avant. La poussette doit se frayer un passage entre les passagers grincheux du tramway et sur les trottoirs étroits. Le sympathique petit parc d'à côté n'est finalement pas si accueillant maintenant qu'ils y passent leurs après-midis. Ils ne vont plus au ciné. Et, quand elle se décide enfin à marcher, la rue se transforme en un territoire résolument hostile, bruyant et pollué.
Juste l'instant d'après, il arrive. Le deuxième. Ils révisent les consignes d'alimentation qui ont radicalement changé en trois ans. La poussette ressort du garage, mais la voiture est trop petite, et que dire de l'appartement… Il leur manque une chambre, peut-être deux, un peu plus de nature aussi pour les enfants, un jardin idéalement. Mais ils sont bien ici avec les enfants, ils savent qu'ils ne vont pas changer de ville tout de suite. Leurs bagages se sont sympathiquement alourdis.
Il est temps d'acheter, alors il faudra peut-être finalement quand même quitter la ville.

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Non, une ville ne doit pas donner envie de la quitter quand les enfants arrivent, mais c'est pourtant le quotidien des grandes métropoles. Derrière des chiffres souvent flatteurs de croissance de population se cachent des phénomènes plus complexes. Les villes centres des métropoles attirent de nouveaux habitants venus de loin, mais rejettent aussi des habitants vers leur périphérie, parfois tellement que le bilan est négatif (comme à Nice, Marseille, Grenoble, Orléans, Metz, Rouen et Toulon entre 2013 et 2017).

Prenons (au hasard bien sûr) le territoire nantais. La ville centre (Nantes), sa Métropole (24 communes) et sa périphérie (l'aire urbaine, comptant 108 communes) connaissent des rythmes de croissance importants et quasi similaires (entre 1,3 et 1,5% par ans) entre 2011 et 2016, plaçant le territoire au quatrième rang national. Une croissance largement tirée par le solde migratoire puisque plus de la moitié des nouveaux habitants sont des nouveaux arrivants.

Mais ces niveaux de croissance très proches recouvrent en fait des réalités très différentes. La ville de Nantes attire en effet beaucoup de nouveaux habitants (7900 par an) venus de loin, notamment des étudiants (49% des arrivées concernent les 15-24 ans) et des jeunes actifs (28% des arrivées, entre 25 et 34 ans). La ville centre perd toutefois tous les ans des habitants (2800) au profit des 23 autres communes de la Métropole. Mais surtout, la couronne périurbaine accueille plus de 2700 habitants issus de la Métropole tous les ans, dont plus de la moitié sont des familles avec enfants. Ainsi, on emménage au coeur de la métropole pour ses études et ses premières années de carrière, pour la quitter quand les enfants débarquent.

Alors, comment inverser ce phénomène ? Comment rendre la ville accueillante pour ses plus jeunes habitants ? Comment garder les familles au coeur de la ville et enrayer le phénomène de l'étalement urbain ?

D'abord en substituant les quelques centaines de mètres carrés d'un jardin (privé) de lotissement de périphérie par de vastes espaces (publics) de nature au coeur de la ville. Il leur faut plus qu'un petit square et son toboggan en plastique coloré, à nos enfants, il leur faut de la nature, la vraie. Des parcs où l'on peut faire du vélo dans les allées et se rouler sur le gazon, des espaces si grands qu'ils ont peur de s'y perdre. Il leur faut aussi des coins plus sauvages où les feuilles mortes ne sont ramassées et où les branches des arbres tombent à cause de la tempête, et pas des tronçonneuses. Des endroits où se confronter au vivant, dont ils reviennent sales et heureux.

Il faut des espaces de jeu aussi. Mais arrêtons de concevoir les jeux d'enfants pour les parents. Ces lieux sont les premières victimes de la peur et de la normalisation. On cherche à rassurer en empilant les règles, mais on ne parvient qu'à standardiser les équipements et neutraliser la créativité des enfants. Les enfants ont aussi besoin de se mesurer à des risques (mesurés), de tomber parfois, et même de se mouiller dans de modestes pataugeoires les jours de canicule.

Lyon : Vague des remparts (BASE + OGI + Récréation Urbaine)

Mais le premier des espaces de jeu pour les enfants devrait être la rue. Dans la rue chacun circule, joue, se croise, se rencontre. C'est sur la route que circulent à toute allure ces engins en métal de près de 2 tonnes que l’on apprend depuis tout petit à éviter. Pas dans la rue. Alors, repensons nos villes pour refaire clairement cette distinction, pour eux, pour nos enfants. Les trajets à vélo jusqu'à l'école doivent être des sas de plaisir entre la maison et l'école, pas des convois angoissants de petits cyclistes en gilet jaune menacés par des hordes de véhicules diesel, qui les frôlent dangereusement sur des pistes cyclables à moitié effacées. Dans sa rue l'enfant doit pouvoir jouer, et même se déplacer seul. Et puis les enfants (malheureusement) grandissent. La ville doit proposer d'autres espaces aux adolescents que les galeries des supermarchés, avec des espaces publics pensés pour eux et leurs moeurs étranges.

Et puis la ville pour les enfants sait aussi s'occuper de leurs parents. Ils ont besoin de plus que d'écoles accueillantes avec des toitures végétalisées, ils ont besoin de services qui les aident dans un quotidien compliqué. De services qu'ils ne pourraient trouver nulle part ailleurs que dans la ville dense : des crèches en nombre et aux horaires adaptées à celles et ceux qui commencent tôt ou finissent tard le boulot, un accueil périscolaire accessible à tout le monde, des espaces de loisir et des expos passionnantes pour les dimanches pluvieux, des séances de ciné rien que pour les petits, des médecins aussi, des pharmacies ouvertes...

En travaillant ses espaces publics et ses services pour les enfants, la ville peut donner aux parents l'envie de rester. Mais encore faut-il qu'ils aient le choix. Car la clef est bien entendu le logement. Difficile avec des revenus normaux de trouver des logements suffisamment grands pour rester en famille au coeur de la ville. C'est sans doute la bataille la plus difficile à mener, mais elle est essentielle : développer une offre de logement attractive et abordable pour les familles. La production neuve est très largement concentrée sur les petits logements dans les métropoles. La faute aux habitudes, à une rentabilité au mètre carré supérieure pour les opérateurs par rapport aux grands logements et à des mécanismes de défiscalisation qui orientent les investisseurs particuliers vers des T1 et T2. Développer un parc de logements familiaux de qualité prend des années, mais c'est essentiel. Les contraintes sur les typologies de logements (qui imposent des logements familiaux dans les opérations) ont fait leurs preuves, et les montages permettant à plus de familles de rentrer dans un processus d'accession à la propriété tout en restant à proximité des centres (logement abordable, bail foncier solidaire...) sont prometteurs.

Alors oui, la ville doit plus que jamais donner envie de l'habiter quand les enfants arrivent. Ils ont besoin de nature en coeur de la ville, d'espaces publics habitables, de services proches et pratiques, de logements confortables et heureux.

Mais nous aussi. Alors construisons la ville pour nos enfants, car c'est aussi penser la ville pour tous.

Sylvain Grisot / Octobre 2019

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