Prendre le(s) temps de la ville
Luc Gwiazdzinski est géographe et professeur à l'Ecole d'Architecture de Toulouse. Nous avons parlé avec lui de la vision du temps pendant le confinement, de chronotopie urbaine et des maires de la nuit.
Entretien avec Luc Gwiazdzinski, tiré du podcast La Ville en Question, une émission du CNFPT animée par Marie Huygues et Sylvain Grisot, enregistrée en décembre 2020. Vous pouvez retrouver la version audio ici.
Sylvain Grisot > Luc Gwiazdzinski, bonjour. Tu es géographe et chercheur au laboratoire LRA de Toulouse. C'est un peu bref comme présentation, est-ce que je peux te laisser la compléter ?
Tu as dit l'essentiel. Auparavant, j'étais à Grenoble où je m'occupais notamment d'un master sur l'innovation et les territoires. J'ai aussi œuvré du côté de Strasbourg et en Lorraine j'ai eu la chance de diriger une agence de développement économique et d'urbanisme. J'ai également travaillé en Franche-Comté où j’ai créé une agence des temps et des mobilités dans une logique de plateforme d'innovation ouverte sur les temporalités et sur les mobilités. Le temps et la nuit ont toujours été au cœur de mes travaux.
Sujet qui nous intéresse, car on va parler des temps. On évoque ici nos façons de faire la ville et tous ces changements induits par la pandémie. Souvent, ce sont plutôt des accélérateurs de tendance qui étaient déjà là. La question des temps a notamment été réactivée plus qu'activée. Ce n'est pas une question si récente que cela. On a déjà parlé de cette question de piste cyclable temporaire, des restrictions d'accès aux heures de pointe aux transports en commun, mais aussi des durées maximales de promenade, ainsi que la question des couvre-feux où on retrouve cette question des heures, des horaires, etc.
Luc, tu observes, tu écris, mais tu agis aussi sur cette question des temps de la ville depuis longtemps, sans jeu de mots. Qu'est-ce que tu as pu retenir et observer de cette période un peu particulière ?
Une première chose : je crois, qu’avec le confinement dans l’espace et dans le temps, on a eu le temps et la possibilité de vivre d'autres rythmes, d’inventer d’autres rites. Comme incarcérés dans un prisme spatio-temporel réduit. Privés de liberté, on a pris le temps de réfléchir. On a d’abord été un peu perdus, désorientés et un peu sidérés puis on s'est réorganisés. Souvenez-vous le 20 heures : on tapait dans les mains et on faisait le décompte des morts, chose qu'on a oubliée pendant le deuxième confinement. Avant le confinement, beaucoup de gens réfléchissaient déjà à l'idée de ralentir, à changer de vie et de rythme. On évoquait le slow. On commençait à parler de lâcher-prise, mais aussi de burnout et de tous les phénomènes liés à l’accélération, mais on agissait peu, on reportait. Avec le confinement, on a été obligés de sortir de cette frénésie et de se poser. On l’a fait sans le risque d'être dépassé par quoi que ce soit, hors de cet espèce d'emballement permanent dans lequel un certain nombre d’entre nous vivait jusqu’alors.
Le deuxième élément de réflexion, c'est un changement de rapport entre l'espace public et l'espace intime de la maison. C'est la maison qui est devenue l'espace de saturation et l'extérieur l'espace de repos. En gros, on se dit aujourd'hui « je sors un peu me reposer », alors qu'avant on rentrait à la maison pour ce faire. Ce qui était saturé, c'était la rue, c’étaient les réseaux de transport, etc. Avec le confinement c’est l’appartement qui a été congestionné. Cela oblige à réfléchir dans une logique d'alternance et de rythme au sens de manière de fluer.
Le troisième élément, c'est la façon dont les acteurs ont pris en main leur destin face au confinement et au déconfinement. La clé d'entrée a d’abord été spatiale. On a redonné une chance à l'espace extérieur, pour sauver les commerces et les activités : on a désaturé et on a dilué les activités dans l'espace public. Cela a été la chance des parcs et des espaces publics et des parkings. On a également tenté d’étaler les activités dans le temps. Un certain nombre d'acteurs se sont dit que pour conserver les distances de sécurité en période de pointe, notamment dans les transports, il faudrait diluer le travail sur une temps plus long et décaler les horaires. On l’a un peu essayé. Depuis des années, c’était une des clés de réflexion dans le cadre des politiques temporelles.
Quatrième élément sur lequel il faut insister : la ville elle-même comme « lieu de maximisation des interactions » (Paul Claval) a été mise à l'épreuve de la Covid. Ce lieu qui a survécu à l'externalisation de l'industrie, de l'artisanat, d'une partie des services et de la culture, est aujourd'hui mis à mal, à un moment où l'autre est devenu un danger. La ville, était le lieu d'une possible rencontre, du hasard, de la sérendipité, du frottement… Aujourd'hui, cela est devenu impossible. Avec le confinement, on a assisté à un renversement, une inversion des valeurs et des systèmes de promesse. En quelques semaines la ville est devenue l’espace des risques et des difficultés, et pas simplement des problèmes sanitaires. A l’inverse, l'espace rural et la profondeur du territoire sont revenus à la mode. Le temps long est revenu à la mode face au temps court, l’aménagement du territoire et la planification ont repris des couleurs. C’est aussi une réflexion sur les temporalités et sur la notion de rythme. On a mis en place des solutions qui faisaient appel à l'espace et au rythme, et on a également retrouvé quelques vertus à des espaces de faible densité ou peut-être à faible intensité. Je crois que la question de la Covid pose la question des intensités et des interactions, peut-être plus que des densités.
Ce qui est certainement, quoi qu’il en soit, au cœur de ce qu’est la ville : se croiser. Tu donnais justement l’exemple de la gestion des transports en commun, en régulant très temporairement la demande pour éviter la saturation des axes aux heures de pointe. C’est un exemple d’urbanisme chronotopique : on vient gérer la synchronisation ou la désynchronisation des usages. Plutôt que de travailler sur l’offre de transport, on travaille sur la demande de mobilités, les questions d’usages et d’organisations, plutôt que sur le dur de la ville. Est-ce que tu peux nous rappeler ce qu'est l’urbanisme chronotopique ?
On a nécessité de penser de façon articulée l'espace et le temps. Comme discipline, les historiens s’intéressent au temps, les géographes et les urbanistes plutôt à l'espace. On bricole depuis des années pour tenter de réarticuler espace et temps. Ces tentatives ont pris des noms, des acceptations scientifiques ou techniques différentes. Il y a eu d'abord la Time Geography développée dès les années 60, notamment dans les pays scandinaves qui s’est intéressée aux parcours des individus. Elle s'est appelée « chrono-géographie » en France, mais avec un succès limité. Dans les années 70, a même existé un ministère de la qualité de la ville et de la vie, qui avait lancé des expérimentations dans des villes sur les questions de l'étalement des horaires, sur l’été, sur l’étalement des vacances scolaires, mais on l'a oublié. A la fin des années 90, on a été influencé par les réflexions menées en Italie sur la mise en place de « bureaux du temps ». Les villes italiennes ont eu à intégrer et organiser les temps, parce que les femmes arrivaient sur le marché du travail, que le partage du temps de travail domestique n'était pas suffisamment avancé et qu’il fallait imaginé des services. La loi Turco leur a donné ce pouvoir. Les villes italiennes se sont retrouvées à devoir représenter les offres et dynamiques spatio-temporelles, à imaginer les lieux et scène d’information et de conciliation et ont pu expérimenter.
En France, on a répondu à un appel à projets de la DATAR qui nous a accompagnés dans une démarche de prospective-action inédite croisant réflexion théorique et expérimentation. On a travaillé sur des scénarii pour demain en sollicitant tous les réseaux de chercheurs en Europe. On a testé la mise en place de bureaux, agences, maisons des temps et de la mobilité dans les villes et territoires pionniers. On a observé et multiplié les partenariats avec les associations, les acteurs publics et privés pour proposer des outils chronotopiques. Par exemple, qu’est-ce qu’un site industriel avec des flux entrants et sortants différemment selon les jours ou les temps de la semaine ? L’idée était de construire des représentations de la ville qui ne soient pas celles d’une entité figée, mais qui mettent en évidence la dynamique, la pulsation. On a donc créé des outils de cartographie spatio-temporelle et on a appelé « chronotopie » cette liaison espace-temps rythmée.
Il y a eu des débats sur les questions du droit à la ville, le droit à la nuit, les enjeux du midi-14h, du 17h-19h, etc. On a expérimenté des réseaux de bus de nuit, des événements nocturnes, des démarches d’ouverture entre midi et deux, des décalages d’horaires de crèches… Cela joue plutôt sur le soft que sur le hard de la ville. Cela a notamment permis de créer un réseau interdisciplinaire de techniciens, chercheurs et élus qui ont travaillé ensemble sur tous ces enjeux. Il existe toujours des bureaux du temps en France dont une partie regroupés dans l’association Tempo territorial et ces questions sont désormais intégrées par les agences d’urbanisme et par certaines collectivités avec un intérêt renouvelé depuis la pandémie. Il y a eu une appropriation plus large de la question des temps ou de la question de la nuit, de manière symbolique et parfois plus opérationnelle.
C’est finalement peut-être plus complexe de réorganiser les plannings que de construire de nouveaux bâtiments. Cela touche les transports, l’espace public, les horaires d’ouverture des services publics… Pourrais-tu donner des exemples sur les types d’objets qui ont été travaillés dans ces politiques ?
Dans la structure associative montée en Franche-Comté, on a travaillé sur le temps et la mobilité. Il s’agissait par exemple, de mettre en accord les horaires complexes des sites de production ou de loisirs – comme les stades de football - avec ceux des transports. Nous ne sommes plus dans une société 8h-midi, puis 14h-18h et après 22h, tout le monde au lit. C’est devenu plus complexe que cela et cela demande de nouvelles articulations ou synchronisations. Comment répondre à la demande liée à ces horaires atypiques ? Les transports à la demande, le décalage des transports à des horaires atypiques sont des solutions possibles. Comment accepter un travail de nuit s’il n’existe pas de crèches aux horaires adaptés ? Faut-il accepter ce temps en continu de l’économie ? Cela mérite un débat public si on ne veut pas que la réponse ne pèse sur les plus faibles qui n’ont pas vraiment le choix.
Les questions du télétravail, les plateformes de covoiturage, l’événementiel urbain (Nuit blanches…) et les ouvertures entre midi et deux pour avoir des animations en centre-ville ont été portées par les bureaux des temps. On a aussi développé une réflexion sur la manière d’associer les habitants temporaires - comme les touristes ou les gens qui travaillent dans la ville mais qui n’y habitent pas- à la concertation et à la production de la ville. On ne les consulte jamais quand on fabrique des espaces publics, alors que ce sont eux qui les utilisent le plus. Les touristes ou les travailleurs qui vont déjeuner dehors entre midi et deux, sont les premiers concernés par les bancs par exemple. Le touriste a un regard acéré sur les sites, la signalétique de la ville et l’hospitalité des espaces publics qu’il faudrait mobiliser.
On a aussi travaillé sur les questions d’égalité homme-femme dans leur présence dans la ville le soir. Plus on avance dans la nuit, moins il y a de femmes dans l’espace public. Il faut imaginer des outils de diagnostic comme des parcours urbains pour voir si les chemins sont suffisamment sécurisés, éclairés, etc et proposer des aménagements : arrêt des bus à la demande, éclairage. On y a travaillé avec des traversées nocturnes dans les villes européennes, dès le milieu des années 90.
Enfin, nous avons également travaillé sur les adolescents et les personnes âgées. Cela a mené par exemple à des réflexions sur le croisement et les localisations des crèches et des maisons de retraite dont on parle enfin depuis la crise sanitaire. Comment mettre ces deux publics à proximité afin qu’ils profitent l’un de l’autre, sans avoir à organiser quoi que ce soit ? On rentre aussi dans des réflexions sur les questions de mixité et de mixité temporaire, avec cette idée de récréer de l’évènementiel, comme les Nuits Blanches à Paris ou les « Night art » plus anciennes à Helsinki.
Peux-tu nous expliquer justement ce que sont ces « maires de la nuit » ?
Les « maires de la nuit » est une idée que j’ai portée en 1997 pour un appel à idées de la DATAR sur « les territoires de l’ombre » mettant en avant l’idée qu’il y avait une vie après le jour. 15% des salariés travaillent la nuit, il y a de plus en plus de commerces ouverts et d’activités dans nos villes illuminées. On est stimulés en permanence et une partie de l’activité reste en éveil mais les gens qui vivent à ces heures-là ne sont pas représentés. Quelle que soit la qualité des équipes municipales, elles n’ont ni les moyens ni le temps d’investir dans cette question transversale qu’est la nuit. La nuit est un territoire vécu, éphémère et cyclique avec ses acteurs, ses types d’activités, ses difficultés et ses intérêts. À la suite de ces réflexions, le collectif Bar-bars a lancé une élection symbolique des maires nocturnes dans un certain nombre de villes en France : Paris, Nantes, Toulouse, Lille, etc. Ce maire de nuit, élu sur les réseaux, est allé titiller les élus en leur demandant : qu’est-ce que vous faites pour le transport la nuit ? Qu’est-ce que vous faites pour les SDF la nuit ? Qu’est-ce que vous faites pour l’éclairage ? Qu’est-ce que vous faites pour éviter les conflits d’usages la nuit ? Qu’est-ce que vous faites pour les établissements de la nuit qui ont toujours l’épée de Damoclès de la fermeture au-dessus de leur tête ? Comment imagine-t-on des médiations entre ceux qui dorment, ceux qui travaillent et ceux qui s’amusent ? Comment prendre en compte ce temps qui est une espèce oubliée, un peu comme le dimanche ?
Petit à petit, avec ce genre de symboles et d’élections, des exemples en Angleterre et aux Pays-Bas, des maires ont donné une fonction sur la nuit à un adjoint. J’ai accompagné les « Etats généraux de la nuit » à Paris, à Lausanne et à Genève. Cela a permis de poser un regard pluriel sur les nuits. Qu’est-ce que cela signifie réellement en termes de sécurité ? Qu’est-ce que cela représente en matière d’offre touristique ? Qu’est-ce que cela représente en termes d’emploi et en PIB ? Ces Etats généraux ont permis de mutualiser ces données. Des réseaux se sont organisés, avec des maires de nuit, des adjoints de nuit, des tsars de nuit à Londres et à New York…
Il ne s’agit pas d’ouvrir la ville 24 h/24 h, mais de la rendre soutenable. Le temps est une notion qui intéresse tout le monde, c’est à la fois la compétence de tout le monde et de personne. Ce n’est pas forcément celle de la région, du conseil départemental, de la ville, de l’État, des privés… Cela oblige donc au partenariat et à l’intelligence collective. Cela renvoie aussi au sensible, à des choses passées et à l’enfance. Le temps renvoie à la vie quotidienne et à des questions pratiques, comme la course effrénée des parents pour amener un gamin d’un endroit à un autre. Toutes ces petites choses qui renvoient à la vie quotidienne, à la proximité et aux petits arrangements qui donnent l’impression que les politiques ont encore un rôle à jouer sur le quotidien.
Il n’y a pas vraiment de spécialistes de ces questions. Il y a quelques personnes qui ont travaillé sur les temps et les villes - j’en fais partie et toi aussi - tout le monde a quelque chose à dire sur les temps et encore davantage sur la nuit. C’est rare. Par exemple, quand on parle d’économie, il y a des spécialistes et des données existantes. Mais sur le temps et sur la nuit, on a encore peu de données. Il faut commencer par faire le point, partager les informations, réfléchir à des solutions et expérimenter des solutions.
Finalement, les temps sont aussi un objet de dialogue peut-être plus démocratique que les autres car on touche aux usages et aux personnes dans leur diversité. La nuit pose des questions de mixité, d’accès des uns et des autres aux services et on découvre la ville avec un autre point de vue. Le temps de la fabrique de la ville est focalisé sur les décennies, pourtant la journée, la semaine, la saison sont sans doute des objets à aussi travailler. On a besoin notamment d’en refaire des objets politiques. Il y a eu beaucoup d’expériences, plus ou moins heureuses, pour gérer les temps de la ville. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on peut tirer de tout cela pour la ville de demain ?
Il y a la question de la souveraineté ou plutôt des emboîtements et échelles de souveraineté qu’il faut repenser en imaginant des hiérarchies. La réflexion peut se construire sur une base temporelle ou spatio-temporelle. Par exemple, si on ne veut pas que la ville s’étale, si on ne veut pas perdre de temps dans les transports, si on ne veut pas brûler de matières fossiles, il faut tenter de « faire la ville sur la ville ». Une réponse pourrait être d’élever la ville, une autre pourrait être de l’enterrer. Je propose de travailler sur les temps. C’est une clé très importante. Ce n’est pas de l’urbanisme circulaire, c’est ce que j’appelle, « la ville malléable ». Il s’agit de faire en sorte que chaque espace de nos villes, les espaces publics, les bâtiments, les rues, les appartements, puissent être travaillés du point de vue de l’intensification. L’intensification se fait par des espaces polyvalents et par une alternance de fonction et d’activités sur un même espace.
C’est ce qu’on a subi pendant le confinement : la table de cuisine est devenue un bureau, une table à langer, etc. Cela peut devenir insupportable. C’est le fameux magasin suédois bleu qui nous explique que le petit appartement peut devenir vivable et nous propose du tout convertible et tout réversible. Une réponse serait d’organiser la multiplicité des activités sur le même espace jusqu’à sa saturation. La deuxième réponse, qui est davantage la clé des temps, serait de faire non pas les choses de manière simultanée, mais de manière plus alternative. Sur un même type d’espace peuvent se succéder, tout au long de la journée, de la semaine ou de l’année différentes activités. Le matin, j’ai une activité administrative, l’après-midi, j’en fais un commerce, le soir, cela peut devenir un lieu de sociabilité et la nuit, cela devient un dortoir.
Vous allez me dire que c’est impossible, mais c’est tout à fait possible. Les places de nos villes mélangeaient autrefois une multitudes d’activités qui cohabitaient ou se succédaient à différentes échelles de temps. Mais l’urbanisme a séparé les fonctions et fait du zoning. Pour vivre ensemble, vivons séparés. Un espace où l’on travaille, un où l’on s’amuse, un où l’on s’approvisionne…La ville malléable, c’est permettre la polyvalence des activités au même endroit et d’avoir plusieurs activités qui se succèdent. Comment notre quartier ou notre immeuble peuvent-ils devenir des salles polyvalentes ? Rappelez-vous de ces outils qui dans les villages permettent la succession des occupations dans le même local : terrain de handball, terrain de tennis, dojo etc. Il faut regarder les bandes de couleur pour savoir sur quel type de terrain on est et respecter les horaires. Le problème de la ville aujourd’hui c’est que dès qu’on a une fonction, on fabrique un objet célibataire en périphérie pour répondre à la demande. Comment obliger à une « haute qualité temporelle » pour les espaces et bâtiments qui existent et pour les nouveaux bâtiments en obligeant à intégrer cette polyvalence ? Si on ne le fait pas, on va continuer à diluer la ville et les sociabilités.
Comment crée-t-on aujourd’hui des espaces bâtis ou des espaces publics qui peuvent accueillir plusieurs usages, anticipés ou non ? Il y a des enjeux de gestion et de désynchronisation pour éviter d’avoir une ville saturée comme l’ont été nos intérieurs pendant la pandémie. C’est aussi une piste de résilience, car ces espaces pourraient aussi accueillir des usages qu’on n’avait pas prévus selon l’évolution des besoins et face à des changements inattendus.
Il faut sans doute intensifier, faire la ville sur la ville, la rendre polyvalente, hybride, etc. Mais il faut aussi laisser des espaces libres pour l’improvisation et pour résister face aux crises. Si on n’avait pas eu les parcs, si on n’avait pas des espaces libres, je ne sais pas dans quel état psychologique et économique on serait. Il faut des rythmes et des moments d’arrêt. Il faut aussi des espaces de vide qu’on puisse se réapproprier et adapter selon les urgences sociales, sanitaires, économiques et environnementales. Il faut également des temps libres.
Éviter la sur-optimisation, éviter la saturation en laissant des espaces vides qui sont aussi des espaces et des temps de liberté. Pour prolonger la réflexion et les échanges, aurais-tu quelques conseils de lecture pour les auditrices et les auditeurs ?
Je conseille le bouquin de mes collègues Olivier Soubeyran et de Vincent Berdoulay L'aménagement face à la menace climatique, qui pose cette question de l'incertitude et la façon dont aujourd'hui on doit travailler dans cette période d'incertitudes. Et puis, il y en a un autre, le bouquin d’Ariel Kyrou Dans les imaginaires du futur . On dit qu'on est dans une société bloquée, qui réagit au coup par coup et ainsi de suite. Si on veut retrouver des marges de manœuvre, il faut aussi jouer avec les récits et les imaginaires.
Je vais rajouter Saturations : individus, collectifs, organisations et territoires à l'épreuve, et le Manifeste pour une politique des rythmes, des ouvrages collectifs auxquels tu as largement participé, « La ville 24h/24 » qui dès 2003, posait déjà les bases de cette réflexion sur les temps et les rythmes et le « Livre blanc des Etats généraux du droit à la fête » qui vient d’être publié. Merci beaucoup Luc Gwiazdzinski. À très bientôt pour continuer à parler des temps de la ville.
Propos recueillis par Sylvain Grisot · dixit.net · février 2021