Apprendre en marchant

Premiers retours sur une démarche singulière : Territoires Pilotes de Sobriété Foncière. Comment des villes moyennes expérimentent des méthodes alternatives à l'étalement urbain pour se développer sans artificialiser leurs sols agricoles.

Apprendre en marchant
Dreux

Le « ZAN » on en parle, mais ça va mieux en le faisant. Si l'objectif de « Zéro Artificialisation Nette » a émergé récemment, la volonté de réduire l’étalement urbain n’est pas nouvelle, mais les effets sur le réel ont tardé jusqu'ici. Les enjeux ne sont pourtant pas négligeables : atteinte à la biodiversité, pertes de terres agricoles, fragmentations sociales, intensification des mobilités carbonées… Mais depuis quelques années pouvoirs publics, professionnels et citoyens semblent vouloir converger vers un changement de modèle de la fabrique de la ville. Les articles de la loi « Climat et Résilience » consacrés à la lutte contre l’artificialisation des sols sont venus l’été dernier donner une forme concrète aux propositions des 150 de la Convention Citoyenne pour le Climat. Les acteurs de la fabrique de la ville s’organisent aussi, avec l’émergence un peu partout en France de projets qui tissent la ville sur la ville, comme autant d'alternatives concrètes à son étalement : urbanisme transitoire, transformation de bâtiments existants, bâtiment réversible, recyclage de friche, densifications douces… La pandémie et les confinements ont aussi fait prendre conscience à chacun de la nécessité de faire la ville autrement pour pouvoir y vivre mieux.

Expérimenter la sobriété foncière

C’est donc plus que jamais le moment de passer à l’action. Mais comment faire la ville autrement pour répondre aux enjeux du siècle comme à nos besoins qui changent ? La recette de la ville sobre en foncier qui se développe sans s’étaler reste à inventer, c’est bien pour cela qu’il faut en passer par une phase d’expérimentation. Alors quoi de mieux que de travailler au cœur de ces villes moyennes où rien n'est à priori gagné d'avance ? La souplesse du dispositif Action Cœur de Ville de l'ANCT permet d’y initier une démarche originale d’expérimentation proposée par le PUCA.

Par où commencer ? Il faut d’abord identifier quelques territoires prêts à se lancer dans l’aventure avec l'assistance d'une équipe de coordination nationale. Sept des villes ACV ouvrent donc le bal, après une phase de candidature mobilisant bien sûr les communes, mais surtout leurs intercommunalités. Impossible de parler d’étalement urbain et de développer ses alternatives en restant cantonnés à la seule ville centre. C’est donc tout le territoire qui s’engage dans cette voie.

Nous apprendrons donc en marchant, sous le regard attentif d’une vingtaine d’autres territoires réunis au sein du Cercle des Pionniers de la Sobriété Foncière. Cet espace de dialogue réunit régulièrement une centaine d’élus et de techniciens qui permet de partager régulièrement les avancées de chacun. Car l’innovation se niche partout, alors autant la partager.

Chacun sa voie

Mais pour partir en quête de cette sobriété foncière, il faut s’outiller. Car dénicher ce foncier disponible dans la ville du "déjà là" et trouver les moyens de l’activer ne pourra pas se faire avec les moyens du bord. Impossible pourtant de forger un outil standard répondant aux besoins de chacun, car les similitudes entre ces territoires sont rares. La diversité est immense en termes de dynamiques démographiques et économiques, d’accessibilité, de géographie ou de passif historique. Ce sont aussi des intercommunalités aux pratiques hétérogènes sur les questions de la sobriété foncière ou de PLUi, et aux capacités d’ingénierie internes très inégales. Alors puisque la ville moyenne moyenne n’existe décidément pas, il faut outiller chacun de moyens adaptés a ses enjeux propres.

Certains se sont donc appuyés sur les acteurs décidément clé que sont les Agence d’Urbanisme et les Établissements Publics Foncier. Mais tous les territoires ne sont pas dotés de tels outils, beaucoup ont donc recruté une ingénierie privée pour les accompagner, dont la disponibilité n’avait rien d’une évidence. Mais à l’issue d’une étape de recrutement — et sans doute grâce à la visibilité offerte par le programme — chacun a réussi à mobiliser une équipe dédiée pour mettre en œuvre une approche adaptée à ses besoins propres.

Premiers enseignements

Les équipes sont désormais à pied d’œuvre, d’abord pour identifier dans les périmètres urbanisés ces espaces ou ces temps de la ville qui pourraient être mobilisés pour répondre aux besoins de développement des territoires, puis pour tracer le chemin opérationnel de leur mobilisation concrète. Le cheminement commence à peine, ce n’est donc pas le moment d’en tirer des conclusions définitives. Mais les enseignements sont déjà riches. Ces premiers pas ont d’abord confirmé que mettre en œuvre la sobriété foncière ne se résume pas au déploiement d’un nouveau modèle généralisable à tous les territoires par un coup de baguette magique règlementaire. Elle ne peut passer que par des démarches localisées tenant compte du contexte local, des acteurs en présence comme de leur maturité sur le sujet.

Car c’est un second enseignement d’importance. Si la sobriété foncière soulève des questions en termes techniques, financiers ou méthodologiques, deux éléments sont essentiels : la prise de conscience des acteurs et un bon niveau de dialogue local sur le modèle de développement urbain. Car avant d’entrer dan le « comment » mettre en œuvre les alternatives à l’étalement urbain, encore faut-il partager localement une même perception du « pourquoi » c’est essentiel.

Et puis ce chemin ne peut se prendre seul. Il nécessite de tisser des collaborations denses au-delà des seules limites communales. Il exige aussi de s’entourer d’acteurs publics et privés en capacité de regarder autrement la ville telle qu’elle est, mais aussi de passer au concret des projets de transformation par nature complexes.

La démarche TPSF va permettre dans les mois qui viennent d’emprunter des chemins différents vers la sobriété foncière. Aucun ne sera le bon, mais tous permettront de capitaliser et d’éclairer les démarches des collectivités locales qui, partout en France, veulent aujourd’hui s’engager concrètement dans cette voie.

Sylvain Grisot · dixit.net · Mars 2022

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