OFS/BRS ? Quand le logement se libère du foncier.

Et si on dissociait le sol du bâti pour proposer des logements abordables ? On en parle avec Hélène Reynaud, consultante en immobilier résidentiel et aménagement. Petite mise au point sur les BRS et les OFS !

OFS/BRS ? Quand le logement se libère du foncier.

Sylvain GRISOT > Hélène Reynaud, bonjour. Tu es consultante senior en immobilier résidentiel et aménagement chez Adequation, un bureau d’études indépendant qui intervient sur les stratégies immobilières. Aujourd’hui, on va parler d’un sujet un peu technique : les OFS et le BRS, acronymes dont la profession raffole ! Il y a un vrai problème pour proposer du logement abordable dans les métropoles les plus attractives, c'est pourquoi le Bail Réel Solidaire (BRS) a été créé. Cet outil intervient au travers des fameux Organismes Fonciers Solidaires (OFS). L’idée principale est de dissocier le foncier et le bâti en séparant la propriété du sol de la propriété du bâti. Mais avant tout, peux-tu revenir sur ce que sont les OFS et les BRS ?

Hélène REYNAUD > Il faut tout d’abord comprendre que pour mettre en place un Bail Réel Solidaire, il faut qu’une structure porte ce bail : c’est là qu’intervient l’Organisme de Foncier Solidaire. On (le ménage) devient alors propriétaire du bâti à un prix abordable, réduit par rapport au marché du libre, mais la contrepartie est de verser une redevance foncière à l’OFS pendant toute la durée du bail. C’est-à-dire que si j’achète un logement en BRS, je suis propriétaire des murs, mais « locataire » du foncier. Et le jour où je déménage et où je revends mon bien, l’organisme foncier reste la structure qui porte le foncier. Un autre ménage achète le bâti, et de nouveau, reversera une redevance foncière. L’intérêt de ce dispositif est de garantir un logement abordable sur une durée très longue. Cela rentre dans le dispositif d’accession sociale et permet de proposer des logements à des ménages qui n’ont pas les capacités financières de se loger dans le parc actuel au vu de l’augmentation des prix.

On parle notamment de ces métropoles où les prix explosent, et où même les ménages aux revenus normaux n’ont pas les moyens de rentrer dans un processus d’acquisition. Quels types de ménage ce dispositif concerne-t-il ?

Comme c’est un dispositif d’accession sociale, il y a effectivement des conditions de revenu, mais aussi des conditions de prix de vente, qui sont plafonnés. Pour faire simple, chaque commune a un zonage A, B, C et le plafond dépend de ce zonage. Le zonage traduit la tension du marché : quand on est sur un zonage A ou A bis, le plafond va être plus élevé que quand on est sur un B, parce que les prix de l’immobilier sont plus élevés sur ce zonage.

Ce dispositif s’adresse aux ménages modestes, voire aux ménages intermédiaires car dans certains secteurs, comme en Ile-de-France ou dans l’espace franco-genevois, la tension du marché est tellement forte que même les ménages aux revenus corrects (cf un niveau moyen) ne peuvent se loger. Un ménage où chacun gagne un SMIC ne va pas encore avoir les moyens d’acheter un bien parce qu’on est sur des espaces fonciers à 6 000 euros du m². Ces ménages-là n’ont donc pas d’autres choix que de s’éloigner des centres, alors que cela complique leur quotidien. Le dispositif est donc d’abord à destination des ménages modestes, mais il fonctionne aussi pour des ménages intermédiaires. Il faut aussi que les ménages soient solvables pour éviter de rentrer dans un système de copropriétés dégradées : où on aiderait les ménages à devenir propriétaires, sans qu'ils aient les moyens de garantir l’état du bien.

Cela a donc la vocation d'être une alternative à l’acquisition d’un pavillon trop éloigné des centres. Le prix du sol revient à la charge de l’OFS, ce qui permet quelque part d’effacer ce coût pour les ménages. L’effet important est aussi la maîtrise des prix par la collectivité. Comment est-ce que cela fonctionne ?

A mon sens, la maîtrise des prix fonctionne s’il y a un volume suffisant d’opérations en BRS. Aujourd’hui, on n’y est pas encore. Quand les collectivités créent des OFS, elles ont la volonté de maîtriser les prix, au moins pour avoir du logement abordable. Cela a forcément un impact sur le marché. Mais pour que l'effet soit vraiment significatif, il faut de la masse. Ce n’est pas nouveau d’avoir une structure qui porte le foncier avec des charges foncières maîtrisées selon le type de logement qui va être construit sur ce sol.

D’après Le Ministère de la Cohésion sociale : http://outil2amenagement.cerema.fr/retour-les-organismes-fonciers-solidaires-ofs-a1029.html

Cette charge foncière est finalement le prix du sol. Cette charge peut prendre jusqu’à 50 % de la valeur du logement, ce n’est donc pas une anecdote. L’idée de l’OFS est de neutraliser cette charge. Où est-ce qu’on en est du déploiement des OFS sur le territoire ?

C’est un dispositif porté par le gouvernement qui a explosé depuis 2018 avec plus 71 OFS agréés sur le territoire, 11 en cours de demande d’agrément et 24 en projet, pour obtenir l’autorisation du préfet de créer la structure. Chaque territoire essaye donc de créer son OFS. Les OFS peuvent être créés par des bailleurs, par des EPF (Etablissement Public Foncier), par des coopératives HLM… Les bailleurs le font notamment pour gérer leur propre patrimoine. C’est un outil qui va permettre d’accélérer la vente de biens anciens (c’est-à-dire la revente de patrimoine locatif social) ou alors d'agir sur des secteurs tendus là où c’est de plus en plus difficile de sortir du logement en accession sociale classique. On enlève en moyenne 15-20 % du prix à l’achat, ce qui représente le coût du foncier. On peut aussi mettre un prix de cession en BRS plus faible, ce qui fait une différence entre 30 et 50% de moins que le prix du marché. Comme il y a une redevance à verser ensuite, il faut bien qu’il y ait un prix attractif pour que le dispositif soit intéressant. Même là où la pression est moindre, le BRS reste intéressant car il garantit du logement abordable durablement. Par exemple, la collectivité finance un logement social en accession classique, une fois l’acquéreur devenu propriétaire, il peut le revendre plus tard au prix du marché. Le BSR permet de pérenniser le dispositif, la plus-value étant encadrée.

Un premier intérêt est donc bien de créer du logement abordable pérenne dans la collectivité. Mais un deuxième intérêt est aussi de solvabiliser des opérations qui ne seraient pas possibles autrement, notamment dans les territoires détendus où il y a aussi besoin de logement abordable. A-t-on une idée aujourd’hui du volume de logements concernés par ce dispositif ?

A fin d’année 2021 et grâce à notre observatoire en promotion immobilière à l’échelle nationale nommée PPF, nous avons pu dresser un premier bilan : autour de 700 mises en vente par an ces deux dernières années, un total d’au moins 70 opérations avec un prix moyen parking inclus, inférieur à 3.000 €/m² lorsque l’on regarde la moyenne à l’échelle de chaque région. Chaque OFS est aussi en train de stabiliser son modèle économique pour être pérenne. Ces organismes fonciers doivent pouvoir garantir le rachat du logement si le ménage ne peut pas le revendre lui-même. Si on parle de logement social, c’est aussi parce qu’il y a ce système de filet. Il faut donc que l’OFS soit assez solide économiquement. Certains OFS partent plutôt sur 100 logements annuellement, d’autres 1 000, d’autres sont intégrés à un bailleur social, donc plutôt sur des opérations de 20 à 50 logements par an. Ce sont des volumes très différents, il n’y a pas de modèle unique d’OFS.

Toujours est-il que le volume reste pour le moment limité, car on part de loin. La production de logement en accession abordable n’est pas très importante au regard du niveau de revenu des ménages.

C’est un point important, car on parle de crise du logement, mais on en parle de façon très homogène, comme si le logement était partout pareil. Il y a plus spécifiquement une grande difficulté pour beaucoup de ménages à sortir du locatif pour rentrer dans un processus d’acquisition. Le logement abordable est donc un peu la clé du système ?

Il faut faire attention aux termes « crise du logement ». Si on regarde le quantitatif, les ménages continuent d’accéder à la propriété, que ce soit dans le neuf ou dans l’ancien. Si on parle de crise du logement, c’est parce que le profil des personnes qui deviennent propriétaires a changé. Depuis les années 70, il y a un décrochage des ménages les plus modestes. La crise du logement, elle existe donc mais elle réside dans une catégorie des ménages qui ont des revenus faibles. Il n’y a pas de crise en termes de quantité, c’est plus complexe que cela.

Les Coop' HLM

Est-ce qu’on pourrait revenir sur cette idée, un peu saugrenue pour la France, de la séparation de la propriété du bâtiment et du sol. Je suis chez moi, mais pas chez moi tout à fait. Quels ont été les précédents pour mettre cela en place ?

Les OFS ont été influencés par un mouvement né aux Etats-Unis, les Community Land Trust, qui ont émergé dans les années 70 et qui ont explosé dans les années 2000. Cela a ensuite été importé en Europe, notamment en Belgique et en Angleterre. C’est ensuite parvenu en France, mais finalement, ce n’était pas si nouveau, mais on y faisait peu attention.

J’habite à côté de Lyon et il y a beaucoup d’hospices civils. C’est très étonnant le nombre de parcelles qui leur appartiennent, alors que des personnes sont aussi propriétaires de leur appartement sur ces parcelles. Il y a aussi le principe des baux emphytéotiques, qui a ses limites car il se termine au bout de 99 ans et le propriétaire récupère aussi ce qui a été construit dessus. Ce qui est nouveau, c’est que cela se développe et que cela génère une nouvelle forme de mentalité. On cherche maintenant à banaliser le fait d’acheter son bien sans acheter le foncier.

Si on revend son appartement, il y a de toute façon une dépendance par rapport aux autres propriétaires, que l'on soit propriétaire du foncier ou pas. Cela paraît évident, même si ce n’est pas dans les habitudes. Pour rappel, on gère les espaces portuaires comme ça, car ils sont dans le cadre du domaine public, et ne peuvent donc être vendus. Mais il y a bien des entreprises qui s’installent sur ces terrains qui ne leur appartiennent pas, qui vont investir dans leur bâtiment et qui vivent fort bien. Ce n’est pas nouveau, mais cela répond à un fort besoin aujourd’hui d’avoir du logement abordable dans les métropoles attractives où les valeurs du marché explosent. Pour tracer quelques perspectives, quels types de projets pourraient nous inspirer cette dissociation du foncier et du bâti ?

On a parlé du BSR dans le logement, neuf ou ancien, mais il y a aussi du BSR qui peut être fait pour le locatif. Il y a un propriétaire du sol, l’OFS, un propriétaire de l’appartement et un locataire. Cela implique aussi un plafond de loyer de façon durable, ce qui peut avoir un vrai impact sur les prix.

Tous les décrets d’application du BSR ne sont pas encore rédigés et au fur et à mesure que les OFS se développent, ces décrets s’ajustent. C’est vraiment un processus itératif où tout n’est pas encore consolidé. Aujourd’hui on parle du logement, mais demain cela peut concerner tous les secteurs d’activités. Il y a des OFS qui souhaiteraient s’ouvrir à des activités économiques comme le commerce ou le tertiaire. Dans les territoires tendus, on rencontre les mêmes problématiques pour un artisan ou un petit commerce qui veut s’installer. Cela pourrait être une solution complète qui permettrait d’impulser une dynamique sur des territoires où l’on pourrait habiter et travailler. La suite est donc vraiment d’ouvrir le dispositif aux secteurs économiques dans leur ensemble.

C’est un constat largement partagé que la dérive des prix complique voire empêche la création de l'activité. Pour sortir de cette dérive on a besoin d'un opérateur, d'un acteur collectif, qui vient gérer ce sol commun et qui, à long terme, pourra être dédié à du logement ou des activités abordables. On en reparlera, car même si l’on tâtonne encore aujourd’hui sur ce sujet, les pistes sont vraiment intéressantes.

Les OFS ne sont pas forcément des structures publiques, mais ce sont des organismes qui sont agréés, sans but lucratif. Cela pose la question de savoir si les OFS pourraient être des organismes fonciers solidaires libres. Je laisse le débat ouvert.

Pour aller plus loin, on a rédigé chez Adéquation une publication sur les OFS avec des interviews de professionnels qui en ont créé.

Merci beaucoup pour cet échange et à bientôt.

Propos recueillis par Sylvain Grisot · dixit.net · Février 2022

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