Les champignons de Bruxelles

Visite guidée de la ferme urbaine Le Champignon de Bruxelles, qui s'est glissée dans les sous-sols du marché d'Anderlecht à Bruxelles, à la recherche des shiitakés et des pleurotes. Quand l'agriculture s'invite en ville et donne de nouveaux usages à des lieux délaissés...

Les champignons de Bruxelles

Alors que nous passons un weekend en famille à Bruxelles, entre visite guidée du centre-ville, musée Magritte et pause fricadelle, l’idée germe de faire une visite un peu originale : une champignonnière au cœur du marché d’Anderlecht, dite les Champignons de Bruxelles.

Après avoir marché vingt minutes depuis le centre historique, nous débarquons dans une tout autre ambiance, avec une population plus diversifiée, des épiceries aux produits tout droit venus d’Afrique de l’Ouest et des restaurants marocains. Il s’agit d’Anderlecht, un quartier au sud-ouest de la ville, plus connu pour son équipe de foot que pour sa champignonnière ! Un immense marché se dresse entre deux métros : il y a foule, les prix sont particulièrement attractifs et les fruits tous plus exotiques les uns que les autres. Dans ce joyeux chahut émerge un hangar d’où sort un homme avec un bonnet : c’est Thibault, notre guide. Pas sûre que nous aurions trouvé l’entrée tout seuls...

La visite commence. Nous déambulons dans des sous-sols spacieux et impressionnants : les caves de Cureghem. Elles sont détenues par la société privée des Abattoirs. Après avoir servi à différentes activités, elles ont pendant longtemps été utilisées comme un lieu événementiel, accueillant le salon de l’érotisme, l’exposition “Body Worlds”, des cadavres dépecés ou autres soirées “underground”... Ambiance ! Malheureusement, un grand incendie a eu lieu à Bruxelles en 2000, l'occasion de durcir les normes de sécurité. Ces événements troubles ne furent évidemment plus autorisés dans ces caves et la société des Abattoirs chercha des porteurs de projet pour donner un usage aux lieux. La ferme urbaine des Champignons de Bruxelles s’est donc installée ici, grâce à un contrat de location très avantageux pour une telle surface en pleine ville : elle utilise aujourd’hui 3 000 m2 pour sa production, avec un potentiel d’agrandissement jusqu’à un hectare. La température, toujours entre 11 et 19 °C est idéale pour la production de champignons.

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La visite débute par un film sur la diversité, la beauté et les pouvoirs des champignons. Les touristes, dont je fais partie, s’exclament : “Oh, que c’est beau !”, “Mais non, c’est vrai ?”. En effet, le film nous vante les mille et une capacités du champignon, que ce soit en termes nutritif, médicinal, mais aussi les nouvelles utilisations qui en sont faites, comme le champignon mangeur de plastique. Très bien ! Mais ce qui m’intéresse vraiment dans tout ça, c’est pourquoi s’installer en ville ? Une champignonnière ne serait-elle pas mieux en campagne ?

Quentin Declerck, directeur marketing des Champignons de Bruxelles, nous explique. Être en ville leur donne de nombreux avantages : la ferme est entre deux stations de métro, elle est donc très accessible à la fois pour ses employés, mais aussi pour organiser des visites avec le public ou des événements privés. Mais plus encore, “les fermes qui se trouvent hors de la ville doivent quand même venir vendre leurs produits en ville”. Les Champignons de Bruxelles, quant à eux, produisent et vendent en circuit court, ce qui leur évite un déplacement de plus. La plupart des livraisons se font directement à vélo dans Bruxelles à des restaurants et des magasins bio. Quelques distributeurs transportent les champignons dans toute la Belgique : la ville pourrait-elle nourrir (un peu) les campagnes ?

Mais Bruxelles regorge aussi d'un déchet bien connu… les drêches de bière ! Il s’agit des céréales qui infusent dans l’eau (l’étape dite du brassage) pour obtenir du moût qui, grâce à l'action des levures (encore un champignon), fermente pour devenir de la bière. Mais ces céréales sont ensuite retirées et plus utilisées. Si certains s’amusent à les transformer en pain ou en pâte, il reste quantité de drêches. Et qui s’en nourrit avec plaisir ? Le mycélium, champignon en devenir !

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C’est avec cette idée d’utiliser les drêches de bière comme substrat de culture que les Champignons de Bruxelles se sont lancés en 2014, après que les deux fondateurs, Hadrien Velges et Sevan Holemans, aient lu L’économie bleue de Gunter Pauli : créer une ferme urbaine qui puisse être la plus circulaire possible. Cependant, les drêches de bière ne suffisent pas pour faire pousser les champignons, il faut y ajouter du bois, du pellet plus précisément qui se mélange bien avec les drêches. Une fois consommé par les champignons, ce substrat est ensuite envoyé dans des fermes pour être réutilisé dans le sol. Pas de déchets, et la boucle est bouclée !

Évidemment, ce n’est pas aussi simple, surtout si le but est d’avoir une production suffisante pour arriver à un équilibre économique. Je vous épargne les détails (allez à Bruxelles faire la visite !), mais on passe par la pasteurisation des substrats sous sacs plastique, l’insémination du mycélium en laboratoire sous pression, l’incubation, puis la fructification des champignons, jusqu’à la coupe pour être vendus frais ou déshydratés si on souhaite les garder plus longtemps.

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Il est cependant encore difficile de ne produire aucun déchet. Vous l’avez bien compris, le mycélium se développe dans des sacs en plastique, d’où sortent les champignons pendant la pousse. L’équipe des Champignons de Bruxelles n’a pas encore trouvé de moyens de s’en séparer, à moins de perdre toute productivité. Les nettoyer demande trop d’eau, ce qui n’est donc pas mieux. Ils sont alors pour le moment “seulement” recyclés. L’utilisation de four pour la pasteurisation et le chauffage dans certaines pièces est aussi énergivore. La vapeur chaude du four est cependant récupérée pour déshydrater les champignons quand ils ne sont pas vendus frais.

Un autre point de questionnement est l’ancrage dans le quartier. Anderlecht est, nous l’avons dit, un quartier encore populaire : “Il est impossible pour nous de concurrencer avec des champignons de Paris vendus 1 euro le kilo sur le marché !” rappelle Quentin Declerck.

C’est avec une envie extrême de manger des shiitakés que nous ressortons de la visite, mais pas besoin d'en ramener. Eh oui ! les Champignons de Bruxelles ont fait des petits : vous pouvez notamment retrouver l’interview de Romain Redais, producteur de champignons sur l’île de Nantes !

Frédérique Triballeau · dixit.net · Janvier 2021