Chez Angèle

Récit d'une journée chaleureuse Chez Angèle, tiers-lieu rural, culturel et populaire, situé à Peillac, village de moins de 2000 habitants, en Bretagne.

Chez Angèle

Mercredi 29 septembre 2021. Il fait déjà frais, mais le soleil est haut dans le ciel quand nous arrivons à Peillac, petit village de 1900 habitants, à la frontière du Morbihan, de l’Ille-et-Vilaine et de la Loire-Atlantique. Nous nous garons sur un parking au milieu du village, entre l'Eglise et la supérette Proxi. Il doit bien y avoir une boulangerie, peut-être même un bureau de tabac, mais ils ne sont pas autour de la place-parking du village.

C'est quelques centaines de mètres plus loin, en longeant la départementale qui traverse le bourg, que nous arrivons devant une belle bâtisse en pierre, agrémentée d'une terrasse en bois. Nous voici "Chez Angèle". Pour l'anecdote, parce qu'on adore ça, ce lieu s'appelait il y a encore quelques mois "Chez Antoine". Mais il faut dire qu'Antoine passait plus de temps à lever le coude au bar, pendant que sa femme Angèle gérait le restaurant. Elle a aussi été la première femme conseillère municipale, faisait du théâtre et fabriquait des chapeaux. Vous verrez à la lecture du récit, il apparaît évident de donner son nom au lieu que nous allons visiter. Donc, bienvenue Chez Angèle !

Chez Angèle, c'est d'abord un grand bâtiment avec un restaurant au rez-de-chaussée, une grande salle à tout, et un joli jardin. Mais c'est aussi, quand on monte aux premier et deuxième étages, un espace de coworking avec des salles de réunion, des bureaux, une mini-cuisine et un cabinet de soins « bien-être ». Cet établissement est un ancien hôtel-restaurant qui a ouvert ses portes en 1948, comme pension de familles, où des parisiens venaient passer leurs étés. C'est ensuite devenu un restaurant routier, mais dont l'activité a largement baissé suite à la pandémie.

Ce tiers-lieu rural, appelons le comme ça, est à l'initiative de moult personnes motivées, mais plus particulièrement du collectif Le Fauteuil à Ressort. Il s'agit d'un regroupement d'indépendants qui souhaitaient travailler ailleurs que dans leur maison. Ils ont ouvert des locaux en 2016, d'abord au-dessus d'un bistro dans le bourg de Peillac, puis Chez Angèle depuis de juillet 2021, après des travaux dans le bâtiment. Ce collectif cherchait un espace plus grand que leur seul petit étage pour pouvoir « faire vivre le village", comme ils disent, en proposant des résidences artistiques, des salles d'exposition, etc. L'autre collectif phare de ce lieu est La Compagnie des Possibles, une structure de soutien au spectacle vivant, qui a permis les premiers investissements dans le lieu, comme le rachat rapide du fonds de commerce.

On répond à une attente : avoir un bureau à proximité de chez soi, si possible sans avoir besoin de prendre la voiture. Mais aussi de développer une dynamique de mutualisation des informations, d'échanges de bons procédés et d'entraide. Cela ne s’invente pas, c'est en se voyant tous les jours qu'on peut imaginer tout ça.

— Alexandra Fresse-Eliazord, coach et consultante en communication

L'objectif du lieu ? Répondre au développement du télétravail en milieu rural en proposant des espaces de coworking et ouvrir un café-restaurant populaire et culturel accueillant des activités habitantes. Rien que ça. Mais rassurez-vous, l'équipe semble bien motivée ! Vous l'aurez donc compris, il existe bien deux espaces dans le lieu : aux étages, les anciennes chambres revisitées en bureaux et salles de réunion, occupées par une trentaine de travailleurs, et le rez-de-chaussée, un bar-restaurant et une grande salle véranda, ouverte à toutes et à tous pour accueillir des activités habitantes. Ces activités vont du club tricot, en passant par la danse et le yoga du rire.

Bon, c'est bien beau, ça a l'air super sympa, mais comment est-ce que ça peut bien se financer ?! Et bien honnêtement, ce n'est pas simple et le lieu est encore en phase expérimentale pour tester sa viabilité financière. Le modèle est basé sur les recettes que peuvent apporter le restaurant et le coworking pour rembourser les charges mensuelles, qui s'élèvent à environ 3 000 euros. La salle d'activité est aussi louée, mais seulement si l'activité est payante. L'investissement de départ et les travaux ont été pris en charge par plusieurs associations présentes sur le tiers-lieu. La SARL, nouvellement créée "Le Fricot d’Angèle", les rembourse petit à petit. Et, petit coup de pouce, les propriétaires leur ont fait un loyer gratuit pendant six mois, le temps des travaux. Le lieu fonctionne sans subventions, malgré de nombreuses demandes... Mais cela permet aux collectifs de garder leur indépendance et de développer leur sens de la débrouille. Ils ont cependant été aidés par des experts juridiques et comptables pour structurer le projet, ainsi que par la Panoplie Agile, consultants nantais qui les ont aidés à définir la raison d'être du lieu, dans l’idée de garantir des valeurs communes. Ajoutez à cela un petit benchmark des structures similaires existantes, et vous avez une équipe à peu près compétente, mais surtout très motivée.

Et tous ces collectifs, associations, entreprises dans un même lieu, ce n’est pas un peu le bazar ? Si, mais cela se gère. Une collégiale est organisée tous les mois pour discuter des projets et de l'organisation du lieu. Et dans les étages, le collectif du Fauteuil à Ressort propose un fonctionnement très militant et participatif : les prix sont attractifs, mais chacun fait sa part avec une organisation tournante en "Tête de fauteuil" pour gérer l'association ou en "Tête de balais" pour s'occuper du ménage.

Je ne sais pas vous, mais moi, je ne connais pas beaucoup de tiers-lieux ruraux qui ont un tel dynamisme. Il faut le dire, la commune de Peillac est un terrain propice, car il y existe un terreau culturel local important, avec plus de 50 personnes travaillant dans le domaine de la culture. Pour un village de moins de 2000 habitants, ça fait beaucoup. Mais ce besoin d'espaces pour développer des activités culturelles a donné envie à d'autres professions de s'installer dans ce type de lieu et a révélé le besoin plus important d'un espace ouvert et convivial sur la commune.

Quand on a réfléchi à faire un tiers-lieu, les élus nous ont dit qu'il fallait faire ça à Redon, dans le pôle multimodal de la gare. Mais nous étions hyper attachés à notre village. On est déjà souvent sur la route, alors on n’avait pas envie d'avoir besoin de faire des kilomètres pour travailler. En plus, cela nous permet de participer au développement local de notre commune.

— Anthony Sérazin, comédien

Ce projet donne envie, c'est indéniable, mais il ne faut pas être naïf, cela n'a rien d'un long fleuve tranquille. Il faut sans cesse adapter le projet, se dépatouiller des contraintes, et s'organiser collectivement, ce qui est une force, mais ce qui demande aussi de faire des concessions. Le point d'achoppement du lieu est le peu de liens qu'il y a avec la collectivité, assez réticente aux expérimentations en tout genre.

On peut avoir l'impression qu'on fait n'importe quoi, mais non. On fait différemment avec de nouvelles façons d'imaginer notre quotidien.

— Anthony Sérazin, comédien

Place à l'expérimentation. De notre côté, on attend le retour du soleil pour venir manger un plat végétarien en terrasse.

Frédérique Triballeau · dixit.net · Janvier 2022

Pour aller plus loin :