Construire avec les terres du Grand Paris
Magali Castex est pilote du projet démonstrateur industriel Cycle Terre, chez Grand Paris Aménagement. Ensemble, nous avons parlé de la valorisation de la terre crue, de blocs de terre comprimés, de création de filières, mais aussi de la production en ville.
Quatre cents millions de tonnes de terre vont être excavées en Île-de-France d’ici 2030, pour les chantiers du Grand Paris. Cela fait beaucoup, beaucoup de terre. Tellement de terre qu’il apparaît presque évident qu’il faut en faire quelque chose. Cycle Terre, un projet de Grand Paris Aménagement, propose la réalisation d’une fabrique de production de matériaux en terre crue à partir de ces terres excavées, allant même jusqu’à la création d’une filière dans toute la région Île-de-France. Les terres excavées sont en général utilisées dans l’aménagement des parcs, le remplissage de carrières ou comme sous-couches routières. Mais en septembre 2021, la fabrique de Cycle Terre va être mise en service à Sevran. Elle produira de façon mécanisée des matériaux de construction à partir des terres excavées dans des chantiers du Grand Paris.
Nous avons pu nous entretenir avec Magali Castex, pilote de la démarche, afin de comprendre le déroulement de ce projet.
La terre est un vocable générique. Quand on regarde de plus près, il y a plein de granulométrie et de composés différents. On connaît le sable, les gravillons, les graves, les argiles, cela fait partie des composantes de la terre. On les retrouve en proportions diverses en fonction de là où l’on creuse[…]. Dans la fabrique, on va faire de la compression, ce qui contraint le gisement de terre nécessaire : il doit avoir un certain profil pour être compressé et tenir sous la forme d’un matériau.
— Magali Castex
La première étape du processus de production est donc le tri des terres. En effet, toutes les terres excavées ne permettent pas de fabriquer des matériaux en production mécanisée. Identifier les gisements de terre qui répondent à ce besoin est donc un moment clef.
Après l’extraction, une autre étape importante est le séchage de la terre. Quand la terre est extraite, elle est humide. Elle nécessite alors un temps de séchage, et donc d’entreposage, relativement long. Il faut viser une ou deux sessions de stockage de terre par an pour atteindre le volume valorisé par la fabrique Cycle Terre et lui laisser le temps de sécher.
On a choisi de ne pas forcer le séchage au départ, de ne pas l’accélérer, car on a réalisé des calculs de puissance énergétique qui ont montré que cela consommerait énormément. On a donc plutôt décidé de mobiliser du foncier pour entreposer la terre le temps du séchage. On aurait peut-être dû regarder quel est le coût d’immobiliser du foncier, mais notre choix s’est d’abord fait par le prisme énergétique. Une fois que c’est sec, il y a des opérations de criblage et de tamisage pour avoir une terre de granulométrie qui nous convient. Aussi, par rapport aux terres que nous avons à disposition, on ajoute du sable. Dans le gisement qui se trouve à côté de la fabrique, la terre contient trop peu de sable pour être compressée. Mais ce n’est pas du sable roulé comme celui dans le ciment pour le BTP, qui est en voie de disparition, mais du sable grossier et concassé, non lavé. A priori, ce sera aussi du sable de récupération.
Une fois le mélange entre la terre et le sable réalisé, le tout part dans une machine à compression pour créer une brique. Là aussi, un temps de séchage (au moins un mois) est nécessaire pour que la brique soit assez résistante pour être transportée. Des enduits et du mortier sont aussi réalisés à base de terre crue.
Dans la mise en œuvre du projet, l’enjeu de la certification s’est révélé très complexe. Les tests étaient nombreux, coûteux et la méthodologie à créer. Mais cette étape était nécessaire pour la création d’une filière, car elle permet de rassurer les partenaires, de passer à l’échelle supérieure de la production en gros volume et de convaincre les maîtres d’ouvrage. Mais même certifié, le matériau terre ne peut être utilisé pour n’importe quel usage :
La terre peut être tout à fait structurelle, avec la technique du pisé par exemple qui est beaucoup utilisée en Isère, parce que le sol s’y prête et que la granulométrie de la terre permet de le faire. La terre peut aussi être utilisée en structure de remplissage ou en cloison. Mais ce qu’il faut savoir, c’est sa fragilité au contact avec l’eau. La terre doit impérativement être protégée de l’eau, on va donc éviter de la mettre en façade ou dans une salle de bain. Ou alors, il faut que la façade soit protégée et ne soit pas sujette aux vents dominants qui viennent rabattre la pluie sur le mur [...]. La terre est un matériau qui apporte beaucoup d’inertie et qui permet de gérer l’hygrométrie en l’absorbant quand il y en a trop et en la relâchant quand il n’y en a pas assez. Cela permet une climatisation naturelle. Le contact avec le matériau terre permet aussi plus de confort et éveille les sens des gens qui sont au contact de la terre. Les habitants qui vivent dans de tels logements se sentent souvent très bien dedans et ont une sensation de bien-être. Après, comme je l’ai dit, il y a des endroits moins propices. Typiquement, dans un couloir d’école où les enfants viennent gratter la terre, ce n’est pas l’idéal. Mais en général, on ne gratte pas le mur de son salon. Il faut comprendre qu’on a vraiment pris l’habitude de pouvoir utiliser le béton n’importe où. Alors que quand on passe aux matériaux bio ou géosourcés, il faut utiliser les avantages de ces matériaux et les placer aux endroits où ils vont pouvoir révéler tout leur potentiel.
Si le matériau terre ne peut pas être utilisé partout ou pour tous types d’usages, le vrai enjeu est de positionner le bon matériau au bon endroit pour qu’il soit le plus performant. Un mur porteur en terre est possible, mais son épaisseur sera importante, ce qui doit être pris en compte pour faire un choix. Il faut donc former les maîtres d’œuvre et les architectes pour qu’ils appréhendent mieux les avantages de ces matériaux selon les types de construction, et diversifient leurs prescriptions.
Il y a des tensions très fortes sur les ressources, parce que les maîtres d’ouvrage et les maîtres d’œuvre s’intéressent à leur bilan carbone, parce qu’ils veulent exploiter de nouvelles caractéristiques dans les matériaux, parce qu’ils veulent proposer une esthétique nouvelle et travailler sur le bien-être [… ]. Il y a tout un tas de raisons, cela en intéresse beaucoup, mais les connaissances sur le matériau terre doivent être améliorées.
Un des objectifs du projet Cycle Terre est donc de développer la formation et de multiplier le nombre de professionnels qui ont des qualifications en terre crue. Ils travaillent avec les centres de formations d’apprentis et le Plan Régional de Compétences. Une réflexion est en cours pour développer un centre de formation disposant d'un plateau technique pour des expérimentations. La ville de Sevran est d’ailleurs motrice dans cette action, la formation pouvant être un outil de développement territorial majeur.
Depuis le début du projet, je suis en copilotage avec la ville. Elle est vraiment intéressée par le projet pour les aspects renouvellement d’image, création d’une dynamique économique et d’emploi. C’était vraiment l’un des buts de Cycle Terre de montrer que l’aménagement n’est pas que nuisances, mais qu’on amène des éléments positifs sur un territoire. Pas seulement en termes d’emplois, mais prouver aussi qu’on est capables de transformer sur place, dans cette ville, de tels matériaux. Cycle Terre avait la volonté de proposer un modèle économique différent, qui ne serait pas sur une économie d’échelle, mais avec une fabrique plus petite qui s’insère dans la ville. C’est aussi pour cela qu’on a voulu une fabrique jolie, avec des matériaux de qualité et un dessin travaillé qui donne envie d’aller à l’intérieur. Qu’on puisse se dire qu’il y a de l’activité ici, mais que c’est beau et que cela donne envie. On relocalise la production et on la rend accessible.
Relocaliser la production en cœur de ville est aussi indispensable pour rendre la ville plus durable, faire la ville de la proximité et éviter la séparation des fonctions qui rendent la voiture (ou les heures de transport) encore si nécessaire. Mais, comme souvent quand on veut développer des filières en circuit court, il faut dégager des espaces pour des activités que l’on a pris l’habitude de repousser aux marges de la ville. C’est un des points de complexité du projet et un de ses apprentissages. Car Cycle Terre a été conçu dès le début pour être reproductible, il s’agissait même d’une demande de l’Union Européenne pour financer une partie du projet. L’idée initiale était aussi de construire une fabrique démontable, capable de se déplacer auprès d’autres projets urbains au bout de quelques années, mais la ville de Sevran a souhaité que le site soit pérenne. Qu’importe, ce sera le retour d’expérience qui irriguera d’autres territoires dans quelques années.
Le développement des matériaux bio et géosourcés est un pas essentiel dans la transition, et le projet Cycle Terre est un pas dans le bon sens. Mais malgré toute la complexité de sa mise en œuvre, seules 8 000 tonnes par an devraient passer par la fabrique, une fraction des terres excavées pour bâtir le Grand Paris. Mais qu’importe, c’est un projet pionnier qui a vocation à faire des petits ici et là, et Magali Castex nous rappelle que c’est aussi la question du « comment faire ensemble » qui est le véritable enseignement de la démarche.
Frédérique Triballeau · dixit.net · juin 2021
Pour aller plus loin :
- Le site de Cycle Terre.
- Le laboratoire CRAterre de recherche en terre crue.
- Le Pour aller plus loin, proposé par Magali Castex : les conférences d'Arthur Keller sur les défis systémiques.