La Fondation des Terrains Industriels de Genève

Entretien avec Guillaume Massard, directeur général de la Fondation pour les terrains industriels de Genève, acteur du temps long, à la fois aménageur et gestionnaire de l'ensemble des zones industrielles du canton.

La Fondation des Terrains Industriels de Genève
Image FTI

Sylvain GRISOT > Bonjour Guillaume Massard, vous êtes Directeur général de la FTI, la Fondation pour les terrains industriels de Genève. J’aimerais tout d’abord revenir sur l’histoire de la FTI et sur les motivations qui ont mené à la création de cette structure

Guillaume Massard > Une fondation de droit public, du nom de Fondation des terrains industriels Praille-Acacias (FIPA), a été fondée en 1960. À l’époque, les marais qui se trouvaient en bordure de Genève ont été asséchés, car il y avait besoin de place pour accueillir de nouvelles activités industrielles et artisanales. L’État souhaitait garder la maîtrise foncière à long terme, tout en donnant la possibilité à une entreprise privée d’acquérir le droit de construire et d’opérer un bâtiment pour plusieurs décennies à ses frais. Celle-ci devait cependant s’engager sur plusieurs conditions de gestion et de retour au terme du contrat, pour remettre le terrain à l’État s’il le demandait. Ce montage permettant de dissocier la propriété du terrain de celle du bâtiment s’appelle un droit de superficie. A l'époque déjà, ces contrats étaient complexes et volumineux, mais plutôt simple juridiquement parlant. Aujourd'hui, ils sont très complets, et intègrent des articles nouveaux en lien avec les enjeux de durabilité des activités industrielles et artisanales, au cœur d’un environnement urbain.

Au fil du temps, la fondation a étendu ses missions sur l’ensemble du territoire cantonal. L’État définit le cadre légal et les politiques publiques, ainsi que les prérogatives de chacun sur les zones industrielles. La FTI est l’interface entre les acteurs publics et privés, est un pôle de compétences et de connaissances, proche du tissu industriel et artisanal, et par conséquent, des entreprises. Nous sommes un opérateur urbain, actifs dans la gestion de patrimoine industriel (terrains et bâtiments) et le développement de projets immobiliers, utilisant le droit de superficie comme instrument de valorisation foncière. Depuis quelques années, la fondation s’est vue encore adjoindre un certain nombre de missions. Celui de contrôler l’éligibilité des activités dans la zone industrielle, par exemple : qui peut s’y installer, qui ne peut pas. Une ville de la taille de Genève a tendance à s’étendre et à reporter ses activités économiques moins propres et à moins forte valeur ajoutée à l’extérieur. La particularité de Genève est que nous ne pouvons pas repousser ces activités au-delà de la frontière française. Si nous ne leur donnons pas la possibilité de trouver des surfaces, c’est toute l’économie locale qui en pâti.

Il s’agit d’une forme de gentrification fonctionnelle. J’ai pu faire une visite avec l’EPF de Haute-Savoie, sur un territoire qui subit l’avancée des zones commerciales au détriment de l’activité industrielle, qui ne peut pas payer les mêmes valeurs foncières.

C’est ça. Genève a donc créé une zone d’affectation protégée, de 3% du territoire cantonal, qui fait grincer des dents quelques acteurs. Ces terrains sont dédiés au secteur secondaire, et accueillent quelque 4'700 entreprises et 71’000 emplois générant 15.5% du PIB, contribuant à une résilience importante de l’économie. Genève a su garder des leaders mondiaux de l’horlogerie, de la chimie et tous les sous-traitants qui vont avec, des sièges européens d’entreprises globales, de la production de pointe, des nombreuses startups, etc. Après deux ans de période Covid, le secteur secondaire semble s’en sortir finalement bien. C’est toute la résilience de l’économie de Genève. Je pense que si on n’avait pas ça, on serait beaucoup plus sensible aux crises et aux effets de croissances-décroissances des différents secteurs d’activité.

Marcher sur deux pieds, plutôt que d’être hyper spécialisé. Mais revenons sur ce choix très précoce des droits de superficie, c’est-à-dire une dissociation entre la propriété du sol et celle du bâti, avec un acteur d’intérêt collectif, qui veille à la pérennité de l’usage du sol. Est-ce que dans les motivations initiales, lors de la création de cette fondation, il y avait déjà une prise de conscience du caractère fini du foncier disponible ?

Je ne sais pas exactement comment cela s’est passé à l’époque, mais il y avait un enjeu d’investissement public, notamment autour du rail. Genève a fortement investi dans les peignes embranchés pour la logistique ferroviaire. Il y avait donc une volonté de maîtriser le foncier autour de ces infrastructures. Puis, avec le succès rencontré sur les secteurs Praille et Acacias, est apparu le souhait des communes d’accueillir de nouvelles zones industrielles.

Il y a aussi ce qu’on appelle des zones d’affectation qui sont régies par la Loi sur l’aménagement du territoire : on peut déclasser une zone dans un autre usage. Effectivement, il y a eu des périmètres du canton qui étaient en zones agricoles qui ont été déclassées en zones industrielles. Aujourd’hui, l’ensemble des enjeux environnementaux fait qu’on a plutôt tendance à construire la ville sur elle-même. C’est un principe que l’on applique et auquel on croit. Nous savons que le déclassement de nouvelles zones industrielles dans les années à venir n’est pas envisageable, ce qui renforce notre position pour défendre celles qui existent. Ainsi, si on ne va pas chercher de nouvelles surfaces d’assolement en surface agricole, il ne faut pas ramener la ville non plus dans les 3% réservés aux emplois industriels. Nous devons donc veiller au développement et au renouvellement des périmètres industriels existants tout en veillant à leur intégration au tissu urbain voisin. Cependant, la FTI reste un outil public et in fine, c’est le politique qui décide.

Quand même un outil de poids ! Si j’ai bien compris, vous avez la quasi-totalité des parcs d’activité en gestion, avec des bâtiments d’entreprises privées, mais aussi des bâtiments en propriété, que vous louez ?

Il y a 564 hectares de zones industrielles. La fondation gère l’éligibilité des entreprises dans toutes les zones. Celle-ci est définie dans un règlement spécifique, appelé le RAZIDI. Dans les zones, il y a principalement du secondaire, de la logistique et des activités assimilées, avec de la production ou une activité administrative liée à cette production. Il y a aussi de l’innovation, tout ce qui est lié à l’économie digitale. Cela fait partie des orientations de Genève dans sa stratégie économique.

Lors des demandes d’autorisation de construire, les affectations sont vérifiées. La FTI préavise ainsi toutes les autorisations de construire. Si l’activité n’est pas conforme, il existe des dérogations. Selon le RAZIDI, la FTI émet un préavis consultatif pour les dérogations, et c’est le Département de l’économie et de l’emploi, qui prend la décision. Dans ce cas, nous sommes finalement plutôt une porte d’entrée pour les entreprises qu’une entité publique décisionnaire. Il y a une triangulation vertueuse qui permet d’éviter qu’un des acteurs abuse de sa position.

De plus, la FTI est propriétaire d’à peu près 20% des terrains situés dans les zones industrielles. Ce sont tous des terrains industriels que nous avons pour mission de valoriser. Il existe ainsi plus de 250 droits de superficie constitués et nous en développons régulièrement de nouveaux. La durée des droits de superficie commence à partir de 30 ans et implique la construction d’un bâtiment. Mais pour des surfaces de stockage par exemple, nous établissons des baux à loyer de 10 ans, renouvelables. Quand il n’y a pas de bâti ou que l’on pense pouvoir valoriser le foncier autrement dans une perspective à long terme, alors on fait un bail temporaire. Et puis une fois que la valorisation foncière est possible, un droit de superficie est conclu avec un acteur identifié pour sa contribution à l’économie genevoise.

L’Etat de Genève nous demande également d’augmenter notre maîtrise foncière, en achetant de nouveaux immeubles (terrains et/ou bâtiments). Il est possible également de faire des acquisitions par Sale and Lease-back. Des acteurs veulent se séparer de leur actif, ils nous le vendent et nous leur louons pendant plusieurs années. La FTI l’a fait par le passé pour aider certaines entreprises, car c’est aussi notre mission de soutenir l’économie. Nous sommes donc propriétaire d’une trentaine de bâtiments, représentant près de 110 000m2 de surfaces brutes de plancher, orientées artisanat et activités secondaires légères, avec un taux de vacance de 0,2%. C’est donc plein ! On a une politique de prix qui est complémentaire au marché : ce sont souvent des bâtis un peu vétustes, en attente de mutation, que l’on valorise petit à petit. Parfois, nous entreprenons des rénovations lourdes, voire des démolitions-reconstructions afin de développer de nouveaux projets. Depuis 2017, il est demandé à la FTI d’accroître la capacité à construire nous-mêmes des bâtiments et à les opérer, afin d’avoir un parc de bâti répondant aux besoins du marché, complémentaire au marché privé. On densifie ces bâtiments et on essaye de garder des loyers accessibles.

Les grosses entreprises n’ont pas besoin de la FTI pour trouver un terrain ou des locaux. Mais pour les PMI/PME, la FTI intervient dans son rôle de facilitateur d’implantation. Nous proposons également à des investisseurs des droits de superficie pour construire des hôtels industriels, des bâtiments avec des affectations et des typologies propres. Le développement de projet immobilier industriel et artisanaux demande des compétences que seuls certains spécialistes immobiliers possèdent.

C’est différent lorsqu’il s’agit d’un artisan de PMI/PME qui n’a pas la capacité financière pour accéder à un terrain dans le canton de Genève. Par exemple, pour les activités de valorisation des matériaux minéraux (lavage, concassage, calibrage du gravier, sables et autres …) Ces activités gourmandes en m2, peu denses et génératrices de fortes nuisances, ne trouvent grâce aux yeux des propriétaires fonciers et des communes. Dans ce cas également, la FTI joue un rôle afin de trouver le lieu adéquat pour ces activités essentielles au bon fonctionnement d’une économie circulaire et locale.

Il y a des métropoles qui développent des politiques d’économie circulaire dans le secteur du bâtiment, mais qui manquent de place pour stocker, nettoyer, traiter. D’où la nécessité d’une intervention publique, mais qui reste compliquée en France, faute d’acteurs de temps long.

Je pose ma casquette de Directeur général de la FTI pour parler de ce sujet. Si on prend en compte le métabolisme urbain dans l’évolution d’une ville, il faut se demander quelles entreprises vont être attirées par quelle politique économique ? Quels types d’emplois ? Quels types de populations ? Quels types de consommateurs ? Et donc, quels types de logements doit-on construire ? Quels types de commerces ? Apporter des réponses à toutes ces questions dans les processus urbanistique n’est pas chose aisée. Afin de tenter de répondre au mieux à ces questions, le Pôle aménagement de la FTI, accompagné de mandataires, tente d’intégrer les réponses à ces questions dans le cadre des plans et règlements directeurs des nouvelles zones de développement industriel et artisanal (ci-après PDZDIA).

C’est très vertueux de faire de la place pour la matérialité dans la ville et de la rendre visible, mais aussi extrêmement compliqué sans acteur dédié. Vous faites aussi de l’accompagnement d’entreprises dans leurs évolutions et selon leurs besoins. Mais quel est le rôle de la FTI dans la densification et la mutualisation de ces espaces ? Comment avoir une utilisation plus rationnelle de ce foncier limité ?

Il y a différents axes de réponse. Tout d’abord, la FTI est co-planificatrice des zones industrielles. Les plans d’affectation se traduisent par des PDZDIA, qui définissent les aires d’implantation, la densité, les affectations, les voiries, les zones vertes, etc. Nous sommes coréalisateurs de ces plans avec l’Office de l’urbanisme. Cela nous donne déjà un premier regard sur ces zones.

Ces dernières années, nous avons développé le concept des pièces urbaines (ci-après PU), dont l’échelle est celle d’un groupe de parcelle. Par exemple : la FTI achète deux parcelles, situées à côté de deux propriétaires fonciers privés. Nous allons évaluer le potentiel à développer les quatre parcelles ensemble. Cela aboutit à une convention entre privés. Cette échelle intermédiaire permet d’apporter des solutions nouvelles pour la réalisation d’une voirie ou d’un parking mutualisé, mais aussi de travailler l’espace dans son ensemble pour valoriser les espaces de verdures et optimiser les espaces de production et de services aux employés, en mutualisant les salles de conférences ou des cafétérias d’entreprises.

En outre, le développement des PU favorise les synergies entre les acteurs. Par exemple, deux entreprises de transport et de construction occupaient des sites entre 8'000’m2 et 10'000’m2 chacune, dans des zones urbaines. La FTI leur a proposé un emplacement de 8’000 m2 dans une zone industrielle, en droit de superficie. Ce tour de magie est possible via la mutualisation des voiries, des accès, des parkings, des moyens de stockage et de levage, des salles de réunion, des vestiaires, etc. Elles vont aussi construire un bâtiment en R+3, alors qu’avant ils étaient de plein pied. C’est très clairement un montage immobilier densifié et mutualisé que prône l’écologie industrielle. Cela fait 10-15 ans que la FTI entreprend ce type de développement, favorisant le dialogue et la concertation avec ses partenaires

En animant ces réseaux et en accompagnant ces entreprises, la FTI a pu rendre cette rencontre possible. En divisant les emprises foncières par deux, mine de rien !

Cependant, on perd des surfaces pour d’autres activités. La zone industrielle à l’ancienne est minérale et pensée exclusivement pour la voiture et les camions. Notre vision a 10 ans est d’ouvrir les zones industrielles et de les rendre attractives. Nous y développons donc des services comme des restaurants, des clubs de fitness ou des crèches. Nous soutenons aussi les développements de type bus, trams, pistes cyclables. Cela nous fait perdre des milliers de m2 en zone industrielle. Mais la densification nous permet d’en récupérer une partie et d’améliorer la qualité de vie de ces espaces. Le périmètre foncier constructible se restreint, et les espaces de production se verticalisent. C’est mieux pour la perméabilité des sols et améliore la qualité de vie des usagers au cœur des zones industrielles.

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À terme, cela permettra aussi de récupérer les surfaces de parking. C’est typiquement un des premiers objets mutualisables. Faites-vous un travail spécifique sur cette question ?

Oui. Tout d’abord, sur nos terrains. Lorsque l’on développe une PU, seul les parkings mutualisés sont acceptés. Ensuite, il arrive qu’un droit de superficie soit dédié uniquement à la construction d’un parking mutualisé. Dans ce cas, le superficiant (le bénéficiaire du droit de superficie), créé le parking silo et loue les places aux entreprises voisines. L’objectif recherché par cette infrastructure mutualisée, est de libérer les fonciers des parcelles du secteur dédiés au stationnement de véhicules, et ainsi optimiser les espaces de production et accroître la qualité des aménagements extérieurs.

La politique de mobilité du canton, et les attentes des communes limitent aujourd’hui les places de stationnement. Les parkings en silos, mutualisés, sont une réponse parmi d’autres.

Oui, il y a souvent un mille-feuille de compétences administratives. On peut peut-être quand même revenir sur votre rôle, car du point de vue français, vous êtes ce qu’on appelle un aménageur. Vous êtes maître d’ouvrage de travaux, notamment des infrastructures et des voiries. Mais quand il y a une infrastructure de transport, j’imagine que ce sont les opérateurs traditionnels qui s’en chargent ?

Dans les plans directeurs, il y a des voiries qui sont définies. Nous avons la charge d’acquérir les fonciers pour réaliser les infrastructures. Nous les construisons nous-mêmes, en étant financés par une taxe que nous percevons auprès des futures entreprises qui viennent s’installer. Enfin, nous ne gardons pas la propriété des voiries, qui sont cédées gratuitement aux communes qui doivent les entretenir. Nous sommes un substitut à la commune et au canton pour construire et équiper les zones industrielles. Parfois, sur de très gros projets, nous ne sommes pas en mesure de le faire entièrement et c’est l’État qui s’en charge. Dans ce cas, nous déléguons et nous participons au financement. Quand une zone est équipée, on peut encore faire des interventions. Par exemple, on plante des arbres, on fait des bassins de rétention à ciel ouvert et on y ramène de la biodiversité, on construit des pistes cyclables, nous amenons la fibre optique. Mais de nouveau, nous cédons ensuite à la commune qui s’occupe de l’entretien.

C’est bien une fonction d’aménageur version française, avec des temps forts sur lesquels vous amenez une ingénierie, même si c’est la commune qui gère in fine.

Vous avez commencé à aborder les questions financières. Il y a une taxe d’équipement payée par les futures entreprises, qui vous permet d’aménager les espaces publics, mais quelles sont les autres voies de financement ?

En effet, les aménagements et la viabilisation des fonciers est financée par la taxe d’équipement. Au moment du permis de construire, les entreprises payent une taxe en fonction des m2 construits. En général, nous avons déjà financé les infrastructures dont elles ont besoin, avant leur installation, mais cela alimente un fonds qui permet de payer les suivantes. La FTI construit entre 6 à 8 millions de francs d’infrastructure par an dans les zones industrielles. Ensuite, nous gérons un total d’actifs immobiliers de 637 millions de francs. C’est notre fortune, ce qui nous permet de nous endetter pour financer les futures opérations, qui sont censées augmenter nos revenus. En 2021, nous avons généré environ 40 millions de chiffre d’affaires, avec une marge brute de 28 000 000 liés aux droits de superficie et aux loyers. Les charges sont liées aux personnels, aux locaux et à l’entretien des bâtiments. Nous rétrocédons ensuite une partie à l’État de Genève. Nous sommes donc un contributeur net de l’État. Cette année, cette rétribution était de 5,9 millions. Le solde qui est investis pour acquérir du foncier, équiper des parcelles, construire des bâtiments, et rénover nos bâtis.

On retrouve cette logique de fondation, c’est-à-dire que vous avez assez de capital pour vous adresser au réseau bancaire, et en même temps, une rentabilité des actifs qui vous permet de financer directement le fonctionnement et les investissements.

Finalement, je me demande ce qui est spécifique au contexte suisse, ou même genevois, dans sa situation géographique et dans son histoire. Qu’est-ce qui, selon vous, est spécifique et qu’est-ce qui pourrait être transposable ? Je vous pose cette question parce que la prise de conscience des espaces économiques de production est tout juste en train d’émerger en France. Mais quand on ne s’est pas posé la question depuis 30 ans sur comment faire avec l’existant, on n’a pas les outils, ni les compétences, ni les acteurs.

Le modèle de la FTI à Genève est unique en Suisse à l’échelle d’un canton. Celui de Fribourg est en train de monter une fondation analogue pour deux sites industriels en requalification. Certains autres cantons s’intéressent aussi depuis longtemps à ce qui se fait à Genève.

Je crois que ce qu’il faut retenir, c’est que c’est un merveilleux outil de requalification urbaine. Une fois qu’on a la maîtrise foncière et qu’on se donne les moyens, on peut accélérer des développements et faire le trait d’union entre plusieurs services et plusieurs politiques publiques. De plus, le fait de rester dans le temps long permet de suivre l’industrie dans son évolution constante.

Genève a quand même la particularité d’être coupée par un lac et un fleuve, d’être entourée par une frontière nationale, d’accueillir 30% du trading mondial et d’être le deuxième siège de l’ONU. La pression sur la ville est extrêmement forte et le territoire limité, ce qui se traduit par une explosion du prix du foncier. Mais même l’ONU a besoin de faire régulièrement cureter ses égouts. Donc si Genève n’est pas capable de proposer une activité de curetage à un prix concurrentiel, l’ONU va payer plus cher et elle a autre chose à faire avec son argent.

Le canton se rend compte de l’importance d’avoir un acteur transverse, qui est le trait d’union entre le public et le privé. Dans notre Conseil de fondation, toutes les orientations politiques sont représentées. Nous sommes peu sensibles aux aléas des législatures. Nous sommes un facteur de stabilité pour l’économie. Je pense que c’est ce qui fait qu’au fil des années, la fondation s’est renforcée et a été acceptée par l’ensemble des acteurs.

J’entends bien cette spécificité qui est cette hypertension sur le foncier, mais je me demande ce qui peut être transposable. Que pensez-vous de la présence sur le temps long ? Est-ce que le fait d’être encore là dans 10 ans, dans 30 ans, ne vous fait pas construire différemment ?

Si, nous réfléchissons chacune de nos actions et donc la construction pour du temps long. Nous sommes reconnu comme un pôle de compétences dans ce domaine. Notre rôle est de créer des écosystèmes industriels qui suivent l’évolution des outils de production, des pièces urbaines, des espaces de mutualisation et de densification. Mais aussi d’accompagner les acteurs privés pour faire valoir ces idées. Enfin, notre rôle est de garantir. La FTI est garante de lettres d’engagement, de conventions, d’accords, pour plusieurs décennies, et qui vont ressortir un jour. Nous centralisons toutes les données sur les affectations industrielles et artisanales, et nous garantissons la connaissance de son évolution. Cette stabilité est appréciée par les acteurs industriels, car ils savent qu’ils sont ainsi moins menacés par l’étalement de la ville. On vient réduire le risque d’être obligé de déménager, car c’est trop cher ou parce qu’on devient une nuisance. Par exemple, Firmenich et Givaudan, deux leaders mondiaux d’arômes qu’on retrouve dans 80% des parfums, ont pu rester à Genève, parce que le canton leur a garanti un accompagnement de qualité dans le temps long.

Enfin, le positionnement de la FTI est également un facteur clé. En tant qu’établissement publique autonome, elle est une interface indispensable pour le développement du secteur secondaire à Genève. Cet engagement est reconnu et représente un gage de confiance auprès du secteur privé.

Parfois, on peut avoir des projets d’aménagement urbain de secteur industriel, mais la ville continue d’avancer : la valeur du foncier grimpe et l’activité productive est repoussée toujours plus loin. Si on veut pérenniser des activités industrielles, il faut qu’un acteur sur le temps long assure la continuité de l’usage, en gardant au besoin la propriété du sol.

Je vous remercie pour cet échange extrêmement riche et inspirant.

Entretien par Sylvain Grisot, janvier 2023.