Grande Porte des Alpes : Atterrissage
Il y a un peu plus d’un an, la Grande Porte des Alpes n’existait pas. Et pourtant aujourd’hui les gens se pressent au Château de Saint-Priest pour évoquer son avenir. Il y a du monde, beaucoup de monde réuni pour parler de cet espace singulier qui aspire à devenir un territoire. C’est le moment du retour vers le présent. Une sorte de compte rendu de voyage dans le futur, établi par les trois équipes mobilisées dans la démarche : Lafayette, 51N4E et Devillers et Associés. Pas le futur, mais des futurs, car chacune a choisi sa voie propre, avec trois directions plus complémentaires que contradictoires. C’est le moment de ne surtout pas choisir entre elles, car il est loin le temps où l’on décidait de son futur, mais c’est le moment d’en débattre. Alors, suivons chacune des équipes.
Des futurs au présent
L’équipe Lafayette acte de la fin de la conquête de l’est, longue histoire de l’expansion urbaine lyonnaise. Pendant longtemps, l’horizon dégagé de la Porte des Alpes a donné l’impression que c’était le territoire de tous les possibles, apte à accueillir tous les usages. Alors, les objets urbains pionniers se sont alignés d’ouest en est dans une forme de ruée foncière. Mais le modèle du strip à l’américaine comme la consommation de terres agricoles font désormais partie du passé. Il faut inventer autre chose. L’équipe propose d’inverser la tendance en basculant l’axe est du développement vers l’intensification d’un axe nord-sud à construire. Ils partent d’un transport en commun structurant et s’appuient sur les délaissés entre les infrastructures et les plaques urbaines pour créer un nouveau parc linéaire. C’est aussi l’idée d’y créer de nouveaux espaces publics intenses qui viennent se glisser dans les interstices pour tisser des liens entre des ensembles qui se vivent aujourd’hui de façon autarcique. C’est aussi l’occasion d’intensifier les formes urbaines et d’accueillir des entreprises stratégiques.
La Grande Porte des Alpes est un territoire de géants qui ont permis la montée en puissance de ce territoire : parc d’exposition, aéroport, parc tertiaire et industriel, golf, zone commerciale, plaine agricole. L’équipe 51N4E a focalisé son attention sur ces grandes pièces monofonctionnelles qui sont menacées d’obsolescence par les évolutions des modes de vie ou du climat, mais qui demain peuvent s’engager dans de vrais processus d’adaptation. Le parc tertiaire, espace marqué par une vacance qui se développe et des espaces de stationnement surdimensionnés, pourrait devenir un vrai morceau de ville en accueillant habitat, paysage, eau et vie. A l’heure du ZAN, il n’est plus question d’étendre les tènements productifs. Mais il n’est pas question non plus d’arrêter le développement économique. Il faut donc le penser différemment. Ainsi, la vaste zone industrielle pourrait passer à un modèle plus intensif en se transformant en campus productif avec la mutualisation d’espaces de production, la densification du bâti, la création d’axes dédiés à la logistique et un maillage de continuités vertes. Quant à l’aéroport, peut-être demain sera-t-il dédié au vol vertical ? Les vastes espaces libérés pourraient alors devenir un vrai refuge climatique pour les grands Lyonnais, en le dédiant au végétal et à l’eau.
Cette question de l’eau est le fil conducteur de l’approche de l’équipe D&A qui constate l’assèchement des sols, la diminution de la ressource, la détérioration de sa qualité et les risques de ruissellement liés au changement du climat. Tous ces enjeux concernent directement le périmètre, situé sur une nappe d’importance stratégique pour l’alimentation de la métropole. Dans ce futur, la filière agricole s’est adaptée autour de l’agroforesterie, avec la plantation massive du secteur pour créer un inverseur local de climat. Le nouveau massif forestier est associé à un cycle de l’eau repensé par la captation des eaux de pluie, la valorisation des eaux grises et la création de fermes à eau, pour constituer une nouvelle infrastructure qui protège la nappe et régule le climat local. En s’immisçant dans les zones économiques, commerciales et résidentiels, cette infrastructure devient une formidable opportunité de leur transformation Reste à inventer un mode de faire à la hauteur de l’enjeu. Car pour libérer des espaces, régénérer les sols, structurer les infrastructures hydrauliques, planter et gérer ces espaces, il faudra nécessairement une gouvernance d’exception.
Prendre le temps de l’acclimatation
Après un voyage dans les futurs, le retour au présent est parfois un peu brutal. Dans les échanges, c’est le devenir de l’aéroport qui cristallise l’attention, avec le rejet des hypothèses d’évolution de certains des futurs explorés. Mais l’horizon à venir du milieu du siècle est tellement distant qu’il est vain de vouloir déterminer aujourd’hui le devenir de cette infrastructure. C’est moins un désaccord sur les perspectives ouvertes que l’on entend qu’un refus d’envisager une sortie du statu quo. C’est donc d’un symbole dont il est question, et le témoignage d’un attachement qu’il faut entendre et penser. Et quand les futurs menacent le présent, il se défend en invoquant « la vraie vie », « le concret » ou la nécessité de « ne pas sacrifier le développement économique et urbain aux enjeux de décarbonation ». Mais il faut aussi entendre la part du doute, plus discrète, ouverte par une démarche prospective dont « on ne sort pas indemne ». Car même si « on a un peu de mal à se projeter sur demain », on convient que « le pire serait d’arrêter de réfléchir », pour citer certains élus.
Penser les futurs distants d’un territoire au temps de l’incertitude nécessite légitimement un temps d’acclimatation, pour apprendre à suspendre la décision et penser des futurs ouverts. Ce n’est pas simple quand il faut gérer en parallèle un présent qui encombre l’esprit. C’est une cohabitation sensible à négocier entre le présent et des futurs qui peuvent lui être contradictoires. Malgré l’urgence, c’est donc moins le moment de faire des choix que d’organiser des voyages collectifs d’acclimatation aux futurs. Ils permettront de faire comprendre les enjeux, de partager les troubles et d’identifier les attachements dont il faudra se préoccuper sincèrement.
Agir sur le foncier pour garder les futurs ouverts
Ce n’est pas encore un projet, mais déjà des perspectives convergent. Valorisation des délaissés, mixité des fonctions et des usages, adaptation des géants, plantation d’une forêt… Quelles que soient les pistes choisies, tout cela prendra de la place. Il ne faudrait pourtant pas attendre de voir les contours se préciser pour agir sur le foncier. Attendre, c’est le meilleur moyen de voir les dividendes de ces transformations se concentrer dans quelques mains et de laisser apparaitre des blocages qui risquent de remettre en cause la viabilité du projet. C’est maintenant qu’il faut faire les réserves foncières qui permettront de garder demain une vraie liberté de choix.
La démarche a aussi montré combien les secteurs agricoles et naturels promis à l’urbanisation étaient des lieux de fraîcheur essentiels pour la résilience du territoire. Elle a aussi révélé les potentiels d’intensification des espaces déjà urbanisés. Il va donc falloir dans un même élan préserver les secteurs qui devaient accueillir le développement et engager la transformation des espaces urbanisés pour proposer des alternatives. On retrouve aussi ici la nécessité d’engager une action foncière résolue, mais à court terme.
Les collectivités ont donc besoin d’un outil capable de suivre le fil de la réflexion engagée sur le périmètre, de créer les réserves foncières qui permettent de garder les futurs ouverts et d’agir immédiatement sur les espaces déjà urbanisés pour les densifier ou les renaturer.
Faire territoire
Alors oui il y a eu des tensions, mais surtout de l’attention et beaucoup de monde autour de ce qui n’était, il y a peu, qu’un périmètre théorique. Les futurs de la Grande Porte des Alpes ont prêté à débat et c’est tant mieux. Il y a eu aussi des demandes claires des acteurs du lieu à être entendu, et à structurer une gouvernance locale qui donne de la place à chacune et à chacun, c’est bien la preuve que le sujet est devenu important. Des gens, des liens, un lieu. Et si le processus avait permis de transformer un périmètre en territoire ? Un territoire n’est ni géographique ni administratif. Il n’existe pas a priori, c’est un construit, un processus, une dynamique. S’imaginer ensemble des futurs bien à soi permet de tisser des liens et de créer l’espace politique qui permet de penser les nouveaux enjeux. De faire territoire finalement.
— Sylvain Grisot, janvier 2024
Pour aller plus loin :
- Le supplément de la revue Urbanisme : https://www.urbanisme.fr/dossier/grande-porte-des-alpes-imaginons-le-futur-dun-territoire/
Les épisodes précédents sur dixit.net :