La Grande Porte des Alpes : Premiers pas

Récit du lancement de la consultation Grande Porte des Alpes portée par la Métropole de Lyon : dans quel territoire voulons nous vivre et habiter demain ? Comment dialoguer autour des transitions à mener ?

La Grande Porte des Alpes : Premiers pas

Il y a déjà un air de vacances. Les tramways sont orphelins des meutes d’écoliers pour l’été, et les gares sont pleines d’une foule en plein exode. Et il fait beau. Rien de caniculaire, mais rien qui ne justifie non plus d’avoir chargé mon sac d’un pull et d’un imperméable.

La porte des Alpes qui voulait devenir grande

La Porte des Alpes. Un territoire servant de la ville qui voudrait devenir grand. C’est en tout cas l’intitulé de la consultation lancée par la Métropole de Lyon : « Consultation internationale d’urbanisme sur le territoire de la Grande Porte des Alpes ». C’est un parfait témoignage de l’urbanisme de la seconde moitié du XXe siècle, qu’il faudrait peut être classer et ne plus toucher. Les enfants des écoles viendraient le visiter, comme on visite d’autres lieux de mémoire de nos erreurs funestes. C’est une suite de centres commerciaux, de friches, de délaissés routiers, d’équipements massifs et de nappes de parkings. Le tout agrémenté d’un aéroport d’affaire et délayé dans des spaghettis d’infrastructures. C’est aussi et surtout un espace attachant et habité, mais pas encore tout à fait un territoire.

J’arrive dans un site immense, une enclave arborée d’une douzaine d’hectares dédiée à la protection d’enfants en danger : l’Institut départemental de l’enfance et de la famille. Un lieu qui réfléchit à son avenir, lui aussi, et à son dialogue avec la ville au-delà de ses murs protecteurs. On s’y retrouve pour un café avant de prendre la route. Les trois équipes mobilisées pour la démarche, la Métropole sous ses différentes facettes et ses partenaires. Le sujet est vaste et systémique, il traverse les branches de l’organigramme de l’institution et se niche dans ses interstices. Beaucoup de monde pour un sujet compliqué. Beaucoup de monde, mais pas encore assez, car nombreux sont les acteurs du lieu qui ne sont pas là.

L’idée est de faire de la prospective à long terme sur ce vaste espace, en croisant les regards de trois équipes pluridisciplinaires réunies ici pour la première fois. Prendre le temps d’une année pour fixer le cap, sans se dépêcher de faire, ni s’obliger à produire un épais document réglementaire. Comment engager un dialogue fructueux autour des transitions à mener ? La méthode pourrait-elle essaimer ailleurs ? On verra.

Survoler la mosaïque

Malgré une topographie globalement plane, il a ici quelques cols infranchissables constitués par les infrastructures et les grandes emprises, comme celle du parc des expositions, de l’aéroport ou du centre commercial. Il y a cette géographie bouleversée par quelques décennies d’aménagement par grandes plaques, mais aussi les frontières institutionnelles et la géopolitique locale qui brouillent encore plus le regard, jusqu’à se demander si la Porte des Alpes existe vraiment au-delà d’un périmètre d’étude.

On nous avait promis son survol, mais on se retrouve dans un bus, à imaginer la vie de l’autre côté des murs antibruit de l’autoroute. Voici l’arrière-cour du Auchan avec ses réserves incendie, ses poubelles et ses quais logistiques. IKEA et Leroy Merlin se sont déjà fait la malle, constituant peut-être le front avancé de l’obsolescence commerciale. Le vaste projet imaginé pour prendre le relais a lui aussi été abandonné. Alors la friche du Leroy Merlin sera déconstruite, et l’ancien IKEA s’invente un avenir en changeant de couleurs.

Des champs. Au loin, les boîtes du Parc des Expositions, des grappes de camions d’occasion, et un quartier de bureaux avec vue sur l’autoroute. Le bus en sort opportunément. Un parc de loisir, des chevaux, des blés mûrs pour la moisson et un arrêt de tramway. Des tours. Des barres. Un projet de ferme urbaine et quelques immeubles défiscalisés tous neufs, plantés le long des rails du tramway. Un château, le lycée et une ZAC qui ressemble à une ZAC. Un drive, la Mairie et une autre ZAC construite sur les ruines d’une immense barre qui bloquait le passage. D’autres vont connaître prochainement le même sort.

Le nom de « Porte des Alpes » — pas encore la grande — est déjà utilisé pour plein de choses. C’est manifestement le centre commercial qui a ouvert le bal. Ont suivi des projets urbains d’échelles variées, un bailleur social et un parking relais. Mais il y a aussi un hôtel, une biocoop, un échangeur, un arrêt de bus et une maison médicale « Porte des Alpes ». En cherchant bien, il y a sûrement un coiffeur et un bar PMU qui ont aussi adopté cette appellation. Ce n’est peut-être pas encore un territoire, mais il a déjà un nom, c’est déjà ça.

Passage par un petit quartier de logement construit il y a une vingtaine d’années, les arbres ont bien poussé. Il n’y a pas que de grandes boîtes dans le quartier, c’est aussi un espace habité. C’est bien une visite d’architectes : ils tapent sur tous les murs pour voir comment ils sonnent. Un champ de maïs, un rond-point, des jardins familiaux et le Mont-Blanc qui s’esquisse au loin. Les Alpes sont donc bien là. Un hôpital et un drôle d’hôtel à l’entrée d’un parc technologique qui témoigne de l’ambition de la toute fin du XXe siècle d’attirer les cols blancs à l’est de Lyon. Un parc qui commence à vieillir, mais bien. Une vaste prairie est devenue un réservoir de biodiversité, et les immeubles sont plantés au milieu des arbres. Ou l’inverse. Une forêt déboule même par surprise sous les roues de notre bus. Pas moins de 30 000 arbres ont été plantés là, il y a 30 ans, constituant une forêt qui semble toujours avoir été.

Un bassin de rétention des eaux pluviales, un immeuble de bureau, un parking et puis un champ. C’est le bout de la route. Il ne manque que le panneau « ici prochainement » planté dans cette prairie de treize hectares magnifiquement positionnés au cœur du quartier. Sur la carte, ce n’est qu’une inoffensive tache verte, mais c’est pourtant le front pionnier de la ville, sur lequel les voisins lorgnent. Et si tout ça restait vert ? Faut-il renoncer à une faim constructive, vieille de plusieurs des décennies ? Le projet urbain retient pour le moment son souffle, avec des bouts de rues déjà tracées qui n’attendent qu’à se prolonger.

Quelques usines. Toutes propres. Des boîtes semées sur l’emprise d’une ancienne piste d’essais de la fabrique de camions, qui continue sa vie sans elle. Un parc, un vrai, tout vert et surfréquenté par les urbains en mal de nature. Un hippodrome d’importance planté juste là, face à une publicité pour des machines à laver. Et puis on découvre l’Université. Un semis de gros objets architecturaux hétéroclites qui forment vraisemblablement le campus. Une bibliothèque en cours de déconstruction, pour laisser la place à un learning center. Un réseau de chauffage urbain trace sa route sous la route, pendant qu’un palmier précurseur profite du climat qui s’échauffe dans le jardin d’une petite maison.

On traverse l’autoroute pour retrouver un magnifique hangar délaissé. C’était ici qu’était le seul aéroport de Lyon, jusqu’aux années 1970 et la création de l’aéroport de Lyon Satolas — devenu depuis Saint Exupéry. Miraculeusement préservé des mâchoires gloutonnes des engins de déconstruction, ce hangar en béton a vu l’aviation y faire ses premiers pas.

Un site de santé des armées, vaste et en plein de vides, quelques immeubles et un fort. Des tramways qui se croisent. Une ZAC des années 90 qui ressemble à s’y méprendre à une ZAC des années 90. Des petites maisons ici et là, l’église, le cimetière et un petit marché. Un champ moissonné, un golf propriété de la métropole, des jardins familiaux et un centre de formation des CRS. Des petites industries. Un lotissement. Des petites industries, encore, plein, partout. Un champ encore, puis le vaste Parc des Expositions. Des friches agricoles et un vendeur de caravanes. On finit par vraiment prendre notre envol, en grimpant sur un magnifique château d’eau, pour enfin comprendre les liens qui unissent tous ces fragments épars.

Chemin faisant

C’est grand la Porte des Alpes, plus de 1000 hectares, mais pas si immense que ça finalement. Ces grandes plaques hétéroclites s’articulent tant bien que mal dans un vaste assemblage qui reste malgré tout lisible. C’est un ensemble de fragments qui n’ont pas encore de trouvé de sens commun. Un lieu habité par quelques milliers de résidents, fréquenté aussi par des milliers de travailleurs, de clients, de visiteurs, d’étudiants — et traversé par beaucoup d’autres. Un lieu vivant, mais pas un bassin de vie. Un ensemble qui ne fait pas encore territoire, délaissé pendant quelques décennies par les regards aménagistes tournés vers d’autres horizons. Un espace négligé et donc plein de potentiels, vide de grands projets et donc plein de futurs ouverts

Un espace de paradoxes aussi. Un lieu fragmenté par les infrastructures les plus lourdes et dédié à l’activité économique, mais aussi un lieu de production agricole et qui accueille sans doute plus de boisements qu’il y a un demi-siècle. L’aéroport est le symbole même d’une industrie émissive lourdement questionnée, mais aussi la seule protection des sols agricoles qui l’entourent contre l’inexorable avancée de la ville. Alors, comment passer de tessons de poterie juxtaposés à un territoire mosaïque qui se tisse un destin commun ?

Si la Porte des Alpes ne fait pas encore territoire, c’est déjà un espace hautement symbolique des errements du passé, mais surtout précurseur des transformations à venir. Un espace « sentinelle », qui cumule les handicaps et les atouts pour affronter un futur agité. C’est donc un lieu important à un moment important, où l’on peut encore hésiter sur la méthode à suivre pour s’orienter au siècle de l’incertitude. Un moment où l’on voit poindre les crises, mais où il nous reste un peu de temps pour nous y préparer. Comme l’a très justement dit une participante « On se donne la liberté d’un exercice joyeux, mais dans quelques années on n’aura plus le choix. » Alors allons-y franchement, mais il ne faudra pas que les symboles du XXe siècle qui foisonnent à la Porte des Alpes, en fassent la coupable idéale. Expérimenter ce travail prospectif ne doit pas se résumer à faire un exemple. C’est un lieu singulier qui mérite lui aussi son futur propre, pour enfin faire territoire. On verra ensuite si la méthode peut essaimer ailleurs.

Alors bien sûr, il y aura des renoncements. Des futurs déjà écrits par certains acteurs des lieux devront aussi s’ajuster. Mais il ne se passera rien sans eux. Inutile donc de faire jaillir de belles idées ou de tapisser les salles de réunions d’images d’un futur qui fait rêver, si c’est sans celles et ceux qui vivent et font vivre la Porte des Alpes au quotidien. Tout passera par ce dialogue qui s’amorce à peine, avec une toute petite partie de celles et de ceux qui feront le futur des lieux. Il va falloir associer et embarquer de grands acteurs économiques et des petites PME, des clients de supermarché et des opérateurs aéroportuaires, des étudiants et des élus locaux. Autant d’acteurs dont le territoire vécu, l’horizon de temps, le langage et les intérêts divergent. Il faudra se garder d’aller trop loin trop vite, et donc sans eux.

Car tout cela doit atterrir. Les horizons distants de 2030, 40 ou 50 n’ont d’autres intérêts que de nous permettre d’éclairer le présent. Encore faudra-t-il expliquer la méthode à chacun. Le temps long, la prospective, les imaginaires et la grande échelle font peur. Ils ne servent pourtant qu’à agir concrètement ici et maintenant. Mais nous vivons une forme de disjonction de l’action et de la pensée, de l’imagination et du réel, de la stratégie et de la tactique. Tracer un avenir au lieu va nécessiter plus que de dessiner des cartes, il va falloir raconter un futur. Se raconter collectivement un futur habitable à défaut d’être souhaitable. Et chacun devra trouver ses mots propres.

Tout reposera donc sur une méthode qui n’est pas écrite. La destination reste à préciser, et inutile de tenter d’en deviner à l’avance la forme. Les chemins qui y mènent sont loin d’être tracés, mais déjà il faut avancer. Les trois équipes se sont engagées dans une démarche de collaboration, entre elles, avec la Métropole et les acteurs du lieu. Mais elles réalisent aussi que la démarche ne s’écrira qu’en marchant. Il faudra éviter les controverses stériles, les redondances comme les angles morts. S’appuyer sur les forces de chacun et faire aussi collectif, tout en naviguant à vue en suivant le cours d’un processus ou rien n’est écrit à l’avance. Une démarche aussi incertaine que le futur des lieux, et c’est peut être ça qui permettra d’avancer.

D’avancer vraiment.

Sylvain Grisot · Juillet 2022

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