Habit'âge : vieillir au village ?
Vanessa Couvreux-Chapeau, coordinatrice de l'association Habit'âge, nous raconte dans cet entretien la renaissance de maisons réhabilitées en bourg rural, partagées par des personnes âgées.
Bonjour Vanessa Couvreux-Chapeau. Vous êtes coordinatrice d'Habit'âge, pourriez-vous nous en dire un peu plus sur cette association ?
L’association Habit’âge est née en décembre 2013 dans la commune rurale de Fontaine-Guérin, dans le Maine-et-Loire. C'est une situation familiale qui a fait émerger l'idée à l'origine de la création de l'association : la grand-mère de mon conjoint a intégré un EHPAD, car elle était veuve et vivait dans une maison peu adaptée. Elle était loin et nous ne pouvions pas aller la voir autant que nous le voulions. Petit à petit, nous n'avions plus grand-chose à se raconter et on ne pouvait la voir que dans sa chambre. Notre relation n’était plus aussi spontanée, elle s'est distanciée.
Par ailleurs, mon mari et moi étions passionnés de restauration du patrimoine. Nous avons fait le lien entre les bâtiments vacants dans le village où nous habitions et les personnes qui ne pouvaient plus vivre dans une maison devenue inadaptée à leur âge. Pourquoi alors ne pas proposer un habitat restauré dans le bourg, pour être chez soi, mais à plusieurs ? L’idée est née comme cela fin 2013, et nous avons créé l’association à cinq personnes : un ancien directeur d’EHPAD, un médecin, une ancienne élue investie dans l’aide à domicile, mon conjoint et moi-même.
J’ai un parcours d’aménagement et de développement du territoire, ce qui m'a aidé à bien positionner l'association dans son contexte territorial. À Fontaine-Guérin, il y avait des lotissements qui se construisaient en périphérie, alors qu’il y avait du patrimoine bâti inoccupé qui se dégradait en centre bourg. Il nous fallait revaloriser ces lieux et leur trouver une nouvelle utilité, en permettant aux personnes âgées de vieillir au village.
Nous avons fait le choix du milieu rural et de bâtiments en cœur de bourg, c’est un des piliers de l’association. Le deuxième est de lutter contre la précarisation des personnes âgées, qu'il soit économique ou lié à l’isolement. Tout le monde a le droit de vieillir libre, dans des logements confortables et bien entourés.
Pendant cinq ans, nous avons tous travaillé bénévolement. La première maison Habit’âge a ouvert en juillet 2017 à Fontaine-Guérin. Et puis, nous nous sommes laissés prendre au jeu du développement, avec à ce jour trois salariés et un conseil d'administration élargi. On a maintenant plusieurs projets en Maine-et-Loire..
Pourquoi intervenir uniquement dans les territoires ruraux ?
Nous sommes attachés à ces territoires car il y a très peu d'offre d'habitat adapté. Si on habite dans un village, il faut toujours aller ailleurs, dans la commune ou la ville la plus proche, qui proposera une solution d’hébergement adaptée. Nous avons envie d’agir sur le maintien des centres dans des petits villages.
De plus, en montant notre projet à Fontaine-Guérin, nous nous sommes rendus compte que la question de l’habitat lors du vieillissement était une question taboue. Quand un changement devait avoir lieu, c’était souvent subitement, suite à une hospitalisation par exemple, qui ne permet plus de rentrer chez soi. Nous nous sommes dit qu’il fallait trouver un espace-temps, où les jeunes retraités et les moins jeunes puissent réfléchir tranquillement, quand tout va bien, à ce qu’ils veulent : comment ils se projettent dans leur habitat en vieillissant, quel cadre de vie ils souhaitent ? Et pas ce que veulent uniquement les enfants et les médecins.
Nous avons alors développé des ateliers avec des partenaires locaux du Maine-et-Loire pour que les mairies et leurs habitants se saisissent de cette question. C’était aussi l’occasion pour nous de développer une activité plus structurante dans l’association avec un modèle économique renforcé.
Pourriez vous expliquer le processus de création d'une maison Habit’âge ?
La première expérience est un peu spécifique, car on habitait le territoire. Néanmoins, on avait fait des réunions publiques et des ateliers. On a eu de la chance d’avoir notre premier locataire qui signait son bail de location six mois avant la fin des travaux, ce qui a permis de nous conforter dans notre idée. C’était le papa d’une connaissance, Joël.
Nous ne faisons pas vraiment ce qu'on appelle de "l’habitat participatif", dans le sens où ce ne sont pas les habitants de la maison qui la conçoivent. Par contre, nous sommes bien dans la démarche, cela fait partie de notre méthode de faire travailler les personnes âgées sur le projet en amont.
Notre deuxième locataire, Paulette, est venue à toutes les réunions. Puis, un jour, elle nous a demandé s’il restait des places. Cela l’avait rassurée de pouvoir suivre tout le processus. Ces deux premières personnes venaient du centre-ville de Beaufort, la ville centre proche : j’en étais très étonnée. Mais Joël m’a expliqué qu’il était obligé de prendre sa voiture par aller au supermarché, alors qu'être dans un plus petit bourg, c’était plus pratique. Paulette, quant à elle, voulait se sentir moins anonyme, avoir une certaine « sécurité sociale » en connaissant mieux ses voisins.
La troisième, Laure, est arrivée par se rapprocher de sa fille. Elle était un peu plus jeune que les autres. C’est sa fille qui avait trouvé l’annonce sur le bon coin. Nous savions que quand les gens cherchaient quelque chose, ils allaient d'abord sur ce site. Puis, Yvette est arrivée en décembre, 3 mois après l’ouverture de la maison. Elle a un handicap moteur. Avant, elle était en pleine campagne. Mais cela ne se passait pas bien : elle qui faisait tout dans la maison ne pouvait plus rien faire du jour au lendemain. La maison n’était pas adaptée et elle ne pouvait pas sortir toute seule ni faire la cuisine. Elle tournait en rond. Ce sont ses enfants qui ont trouvé Habit’âge. Elle avait alors 82 ans. Il n’existe rien en campagne pour loger des personnes en situation de handicap, ou alors les résidences sont loin et très chères. Maintenant, Yvette a 85 ans et elle est toujours chez nous !
Nous n’offrons pas de services en direct, comme les services infirmiers à domicile. Ils existent déjà sur le territoire, on ne va pas réinventer l’eau chaude. Par contre, les résidents sont bien acteurs de leur lieu de vie, ils ne louent pas simplement un appartement. Il y a un projet social, donc une recherche de lien et de convivialité. On se réunit, on discute ensemble pour améliorer le cadre de vie, aborder les sujets tabous de la maison ou organiser un repas tous ensemble. Nous avons également une équipe de bénévoles de proximité qui permet de soutenir le lien social et l’ouverture sur le village.
Vous planifiez ces moments d’échange plus formels ?
Disons que quand tout va bien, c’est spontané, et que quand ça va moins bien, nous les planifions. Globalement, on fait une réunion tous les trimestres avec les bénévoles et les locataires. Mais notre rôle est plus de soutenir et de coordonner plutôt que d'animer.
Les appartements font 45 m2 et il y a aussi une salle de 43 m2 dont les locataires ont la clé, qui peut être prêtée à des partenaires, comme des centres sociaux ou lors des cafés numériques seniors que nous organisons.
Comment est-ce que cela se déroule quand un locataire quitte le logement ?
Quand Joël - notre premier locataire - est décédé, nous avons dû en effet remettre son appartement en location. Mais la gestion est un peu compliquée, car il n’y a pas de liste d’attente réelle, ce sont souvent des personnes qui cherchent dans l’urgence et le profil est particulier. Sachant qu’il faut que la nouvelle personne s’entende bien avec les trois autres locataires ! Cela s’est mal déroulé une fois, on a donc décidé d’associer mieux les locataires à la sélection des nouveaux arrivants.
Nous recevons la personne et sa famille, expliquons le projet, visitons l’appartement, puis nous partageons un moment convivial autour d'un café avec les autres locataires. Il n’y a pas de votes, mais on se consulte pour sentir les choses.
Alain est arrivé il y a un an et a construit une profonde amitié avec Laure. Ils se donnent de l’énergie. Pendant le confinement, ils m’ont dit qu’ils étaient ravis de pouvoir être là tous ensemble, et surtout pas tout seul ! Ils se parlent, ils se rassurent et je leur faisais leurs courses. Paulette a déménagé à l’automne, pour être encore plus près de sa fille, elle commençait à avoir des soucis de santé. Quelquefois, c’est vrai, le collectif peut peser aussi, cela correspond à un moment de la vie, mais peut-être pas tout le temps.
Nous avons donc diffusé une annonce sur le bon coin, et là, coup de fil d’une jeune femme ! Nous en avons parlé en conseil d'administration et avec les locataires pour tester l’intergénérationnel. Bien qu'ils étaient d’accord, ils ont souligné que ce qu’ils aimaient dans la maison Habit'âge et le village, c’était la tranquillité.
Nous avons donc testé l’intergénérationnel pendant quelques mois. Puis avec l’arrivée de la Covid et du confinement, et l’évolution personnelle de la jeune femme, elle a volé vers un autre choix d’habitat. L’expérimentation a montré des avantages set inconvénients. Finalement, c’est une personne de 89 ans qui est arrivée dernièrement, et tout se passe très bien. Mais il n’y a rien d’écrit dans le marbre, on ne sait pas si on refera de l’intergénérationnel. Cela dépendra des gens qui partent et que ceux que l’on rencontre.
On a bien parlé de votre première maison, mais est-ce que d'autres existent ? Avez vous reproduit le processus ?
Ce sont souvent des opportunités. Nous avons identifié un bâtiment à Combrée lors d’une fête de famille. Nous l'avons visité : on y voyait déjà une maison Habit’âge. Nous sommes allés voir les élus pour savoir s’ils avaient déjà un projet d'habitat senior, car nous ne sommes pas là pour concurrencer. En l’occurrence, ils n’avaient pas encore de projet et ils aimaient bien l’idée. Après, nous avons rencontré les acteurs professionnels du territoire et les habitants. L’accueil était très positif. À la fin de l’étude d’implantation, nous avons créé un comité de pilotage avec les personnes-ressources du territoire et des habitants. Nous nous rencontrons très régulièrement, le comité est au cœur de l’ingénierie avec nous. Ils facilitent la mise en œuvre sur le territoire. À côté, nous organisons des réunions publiques pour travailler le projet architectural. Mais chaque projet est toujours différent, c'est par opportunité et rencontres. Nous sommes également en cours
d’étude d’implantation sur la commune de La Boissière-sur-Evre, toujours en Maine-et-Loire, suite à une sollicitation, cette fois-ci, des élus.
Nous nous sommes également lancé comme défi de travailler essentiellement avec les entreprises du territoire, pour soutenir les artisans. Sur Fontaines-Guérin, sur 400 000 euros de travaux, 200 000 ont été dépensés à moins de 10km et les autres 200 000 à moins de 30km. C’est important pour nous de s’inscrire dans une dynamique de soutien de l’économie de proximité.
Peut-on revenir sur ce point justement : comment fonctionne votre modèle économique ? Qui fait l’investissement ?
Pour la première maison à Fontaines-Guérin, au début, nous sommes directement allés voir les banques, qui nous ont conseillé de créer une SCI. Alors, nous en avons fait une et nous avons investi plus de 140 000 euros à quatre. Cela nous a permis d’avoir un prêt pour acheter le bien et de faire les travaux. On a eu différentes exonérations avec les prêts locatifs sociaux, et l’association est allée chercher des fonds et des subventions pour l’équipement et l'aménagement du lieu.
À Combrée, c’est l’association qui porte tout l’investissement, avec un budget d’un peu plus d’un million d’euros. Nous avons déjà notre carte de visite avec la première maison ouverte, c’est donc plus facile d’aller voir les collectivités locales. De plus, à Combrée, il y a une OPAH pour revitaliser le centre bourg avec des moyens financiers complémentaires à la clef. Nous rencontrons aussi des entreprises, pour être soutenus financièrement, et faire d’Habit’âge un vrai projet de territoire. On est vraiment dans cette perspective de posséder le foncier, cela nous laisse plus de marge de manœuvre pour co-créer avec les habitants et être garant du projet social.
Pour notre troisième projet, le bâtiment appartient à la mairie. Nous sommes donc en train de créer d’envisager avec les services un montage juridique différent.
Les mairies commencent-elles à faire appel à vous directement ?
Oui, mais nous sommes une petite équipe et nous nous sommes fixés un plan de développement raisonné. Nous ne souhaitons pas faire 10 maisons en trois ans, ce n’est pas du tout l’objectif. Nous ne nous positionnons pas comme promoteur
immobilier ou prestataire, mais comme de réels partenaires. Nous sommes aussi beaucoup sollicité par l’extérieur pour comprendre comment nous avons réalisé la première maison. On réfléchit donc à un format de formation, à la bonne façon d’essaimer l’idée dans d’autres régions.
C’est dans ces sollicitations que j’ai entendu le terme "d’urbanisme circulaire" pour la première fois. Je me suis dit que c’était exactement ce qu’on faisait, même si ce n’était pas dans une métropole. Par le renouvellement urbain, la proximité, on donne un autre usage à des bâtiments déjà existants…
Vous avez tout à fait raison, ce concept concret se décline aussi au niveau des bourgs ruraux. Il y a là aussi des problèmes d’étalement urbain, de logements vacants, de perte de proximité, etc. Et c’est bien pour cela que nous réalisons cet entretien, pour montrer qu’on peut faire différemment !
Oui, on nous a beaucoup dit qu’on s’embêtait à rénover et que ce serait plus simple et moins cher de construire neuf. Mais il en est hors de question, alors qu’il y a déjà tout ce bâti qui existe. Nous souhaitons par notre action limiter l’artificialisation des sols. Nous essayons aussi de faire de mieux en mieux en écorénovation, mais on y va progressivement. Pour finir, on essaye aussi de retracer l’histoire des bâtiments. On a commencé à travailler avec l’association Globe Conteur, une troupe de théâtre, et la mairie de Fontaines-Guérin pour retracer l'histoire populaire des lieux de la commune (nouvelle). Il y a aura donc parmi ces lieux la maison Habit’âge !
Propos recueillis par Frédérique Triballeau · CC-BY dixit.net · Octobre 2020