Cherche habitat participatif, dense et désirable.
L'habitat participatif, souvent réservé à des collectifs motivés, s'avère aussi être un outil judicieux pour favoriser l'émergence d'un habitat plus résilient. Nous avons rencontré Pierre-Charles Marais, directeur de la SCI Regain, qui accompagne et coordonne des projets d'habitat participatif.
L'habitat participatif est avant tout une méthode de construction coopérative. Chaque projet peut prendre une forme différente : construction neuve ou réhabilitation, auto-promotion ou partenariat avec un bailleur, en centre-ville ou dans le rural… Cette coopération nécessite bien souvent un accompagnement, et c'est le rôle de Pierre-Charles Marais, architecte et co-directeur de la société coopérative d'intérêt collectif Regain et porte-parole du mouvement Habitat Participatif France.
L'habitat participatif peut se définir selon trois critères. Le premier indicateur, à peu près évident, est la participation des futurs habitants à la programmation de l'ensemble de logements. Avant même la conception architecturale, ils décident ensemble de leurs besoins et de leurs usages. Cependant, il ne suffit pas de faire son logement, chacun à son étage pour partager un habitat. L'habitat participatif est également défini par l'existence d'espaces communs qui complètent les espaces privatifs et peuvent donc offrir d'autres possibilités d'usages. Et le dernier critère est celui de la gestion : après la livraison, les habitants prennent en charge la gestion de l'ensemble immobilier.
Un projet d'habitat participatif présente l'intérêt d'ouvrir le champ des possibles du logement collectif, avec en particulier la question des espaces communs et partagés. Ces espaces vont permettre d'aller assez loin dans le potentiel de mutualisation et vont compléter les espaces privatifs du logement. Ils vont offrir un support à une vie collective qui est tout à fait intéressante. Au-delà du lien social, ces échanges apportent à la ville en termes de potentiel d'organisation et de prise d'initiative des citoyens.
— Pierre-Charles Marais, porte-parole du mouvement Habitat Participatif France
L'offre d'espaces communs est un support tout à fait pertinent pour favoriser l'intensification des usages. Ces lieux partagés peuvent également s'ouvrir sur le quartier et être de réels moteurs de la vie urbaine, une chance pour certains centres-villes en déprise.
L'implication des habitants très en amont du projet permet aussi de dessiner un logement adapté aux besoins actuels et d'anticiper des évolutions de ceux-ci. Cela peut notamment permettre de limiter la vacance liée aux inadéquations de la demande et de l'offre. Pierre-Charles Marais estime que cet investissement des habitants peut être la clé pour rendre désirable l'habitat collectif plus dense : la combinaison des logements peut ainsi être conçue finement avec les architectes, sans que la proximité avec « d’autres » soit perçue comme une agression. Dans des secteurs ruraux ou périurbains qui accueillent typiquement des projets de lotissements, Regain accompagne des projets d'habitat participatif d'une densité moyenne supérieure à ceux des lotissements voisins : entre 35 et 40 logements à l'hectare. Une densité voulue et choisie par les habitants eux-mêmes. En se libérant du critère du chacun son garage, son terrain et sa clôture, et malgré une densité supérieure, ces habitats offrent de généreux espaces extérieurs non bâtis et non imperméabilisés.
La densification des villes s'impose progressivement auprès des professionnels de la fabrique urbaine comme l'objectif requis pour répondre aux exigences des défis du siècle, tels que le changement climatique et la protection des espaces agricoles et de la biodiversité. Cependant, elle reste encore difficile à faire accepter à certains citoyens : l'habitat individuel fait encore rêver.
De mon point de vue, le rêve de la maison individuelle est moins une aspiration réelle qui touche à la maison en tant que telle qu'un échec de notre capacité à faire du commun et à bénéficier d'une certaine qualité de vie dans les ensembles de logements collectifs.
Selon Pierre-Charles Marais, l'échec de l'habitat collectif tient à deux éléments, l'un social et l'autre architectural. La gestion collective des copropriétés est encore aujourd'hui un grand impensé du logement collectif. Les espaces communs deviennent des lieux de conflits plutôt que de rencontres, un cercle vicieux que l'on expérimente souvent. Face au manque de compétences des habitants mais aussi des professionnels de la maîtrise d'ouvrage et des syndics pour animer le vivre ensemble, l'accompagnement de Regain permet aux d'habitants qui se lancent dans l'habitat participatif, d’acquérir les outils nécessaires à une réussite de la planification et gestion collective. Pierre-Charles Marais met également en cause l'architecture de ces logements collectifs : les programmes sont standardisés, les espaces communs réduits au minimum. Tout espace non commercialisé (non privatif) est vu comme une charge, une source de problèmes. Rompus à la rentabilité et à leur vision de « ce que les gens veulent », les promoteurs et bailleurs sociaux minimisent toute surface commune, limitant ainsi toute opportunité de rencontre et coopération au quotidien.
Culturellement, nous avons de vraies difficultés à faire ensemble. Au cours de notre vie on expérimente peu d'exemples positifs de coopération, que ce soit à l'école, au travail ou dans la vie quotidienne ; l'individualisme s’impose puisqu’il n’y aurait pas d’alternative. Cela se traduit dans le logement par la forme urbaine qui permet d'être entièrement autonome et de ne pas avoir la moindre obligation de coopération avec personne : le pavillon, la maison individuelle, avec son petit jardin. Même si le petit jardin et la maison sont réduits à une qualité minime, voire très mauvaise. Le luxe va consister dans le fait de ne pas avoir à coopérer avec des gens avec qui on n'a pas envie de coopérer. Le pari de l'habitat participatif, cela va être de s'appuyer sur la volonté de personnes qui ont envie de coopérer, et de les outiller pour que leur fonctionnement collectif soit à la fois durable et épanouissant.
C'est ce pari de la coopération heureuse qu'a fait le collectif de la Convention à Auch, dans le Gers. Un petit groupe d'habitants se sont rassemblés en 2013 pour acquérir un bâtiment ancien situé dans le centre historique de la ville et créer leurs logements. Cet ancien couvent, transformé ensuite en institut médicoéducatif (IME), était en friche depuis déjà 6 ans. Le site de 3 000 m² accueille plusieurs bâtiments totalisant 1 800 m² habitables. Ses caractéristiques relativement atypiques étaient boudées des promoteurs conventionnels.
Plusieurs problématiques s'entremêlent dans ce projet pionnier. Le bâtiment est niché entre plusieurs escaliers piétons typiques du centre de la ville, ce qui contraint considérablement l'accès automobile. Le collectif de la Convention en a fait une opportunité pour repenser leur mode de vie urbain au travers des mobilités douces. Par ailleurs, ce projet a été pour certains une rare opportunité d'accéder à la propriété, qui plus est en centre-ville. La diversité programmatique imaginée par le collectif permet aussi de redynamiser le centre avec des locaux d'activités et une salle dédiée aux activités associatives. L'énergie du collectif est mise au service du quartier et de la ville, une chance pour le centre d'Auch.
Ce sont souvent des lieux assez originaux qui vont stimuler la créativité des collectifs citoyens, qui n'ont pas besoin de plan standard. Les promoteurs, dans leur programme, n'ont jamais des espaces communs partagés importants, donc il y a toujours la question de concevoir des espaces avec des surfaces qui soient commercialisables. Le collectif a une immense flexibilité et la capacité de faire des choix pour lui-même. Le promoteur doit toujours faire des choix pour un potentiel client qu'il va réduire à une demande standard pour minimiser ses risques. Il se limite à du projet standard. Il est donc bloqué face à des lieux atypiques comme le sont les friches, qui, souvent, présentent une certaine complexité liée à la localisation dans le centre urbain avec des difficultés d'accès, de création de places de stationnement, etc.
Cet exemple atypique de réhabilitation d'une friche n'est pas l'apanage de tous les projets d'habitat participatif. Il illustre cependant le potentiel de cet outil de production de logements pour réinvestir les espaces délaissés de la ville. À Strasbourg, la municipalité a depuis longtemps saisi cette opportunité et a décidé de construire une véritable politique publique inclusive autour de l'habitat participatif.
En effet, l'habitat participatif sous la forme de l'auto-promotion est limité à un public de personnes qui disposent des ressources économiques suffisantes pour financer leur logement : la politique publique permet d’y ajouter des logements en locatif social ou en accession sociale à la propriété. Mais même avec des ressources économiques suffisantes, les collectifs ont de grandes difficultés à acquérir des fonciers en zone tendue, c’est pourquoi les projets se développent plutôt dans les zones rurales. La ville de Strasbourg a donc mis en place une politique publique de soutien à l’habitat participatif qui répond à ces enjeux en réservant du foncier pour l'habitat participatif, en outillant les porteurs de projets et en mobilisant des opérateurs du logement social. Depuis 2009, la ville lance des appels à projet dédiés à l'habitat participatif, qui permet à des collectifs d’acquérir du foncier pour y développer leur projet. Les futurs habitants disposent de l'accompagnement d'un assistant à maîtrise d’ouvrage. La ville va même plus loin en définissant également des orientations programmatiques pour des programmes d'habitat participatif : des logements privés classiques au locatif social, en passant par l'accession sociale à la propriété ou encore en locatif libre. De plus en plus de collectivités, à toutes les échelles territoriales, intègrent dans leur politique d'habitat la production de logements par la participation des habitants.
Cette diversité programmatique s'est enrichie au rythme des partenariats et des outils méthodologiques qui se sont affinés. Aujourd'hui, aussi bien à Strasbourg que dans n'importe quelle ville, on a mis au point des manières de travailler avec les organismes HLM, et on sait faire des projets de 20, 30, 40 logements. C'est une dimension tout à fait standard qui correspond aux projets que font les bailleurs traditionnels. À Toulouse, le quartier des Quatre Vents est le plus grand projet d'habitat participatif en France avec près de 90 logements. C'est un projet expérimental, qui ne va certainement pas manquer de présenter des difficultés parce que c'est le premier à cette échelle. Mais cela montre bien qu'on dispose aujourd'hui de solides retours d'expériences et d'outils pour faire du logement collectif qui sort un peu du cadre.
Ces projets révèlent bien l'ampleur des possibilités et des opportunités pour produire du logement différemment. Ces pionniers ouvrent la voie de l'urbanisme circulaire et donnent les clés de la réplicabilité : participation des habitants, adaptation et réserve foncière. Il ne reste plus qu'à passer le pas et prendre les chemins de traverse défrichés par ces pionniers.
Marine Frantz · dixit.net · Octobre 2021
Pour aller plus loin :
- Le site du mouvement Habitat Participatif France
- Séminaire du PUCA "Faire ville ensemble" - L’habitat participatif et la fabrique urbaine en 2019 à Strasbourg, avec notamment la présentation du projet de La Convention à Auch.
- L’invention de l’autopromotion à Strasbourg, Anne Debarre & Hélène Steinmetz