đ HĂ©riter d'un futur
Transformer la ville existante, câest commencer par faire un tri dĂ©licat entre ce qui peut rester et ce qui doit disparaĂźtre. Un exercice pas simple qui nourrit des controverses Ă©piques dans le dĂ©cor feutrĂ© des comitĂ©s de pilotage ou les tribunes de la presse locale. Mais câest surtout trop souvent lâoccasion de faire deux erreurs regrettables.
La premiĂšre est de se focaliser sur les Ă©vidences et de chercher Ă conserver tout ce qui ressemble de prĂšs ou de loin Ă du «âpatrimoineâ», en lĂąchant ce mot qui vaut protection absolue. MĂ©moire et nostalgie se confondent vite, au risque dâoublier dâinventer un futur Ă ce qui est lĂ et de figer un bout de passĂ© dans une posture immobile. C'est oublier que la ville vit, bouge, change depuis toujours. C'est aussi oublier les usages dâaujourdâhui et les conditions technico-Ă©conomiques dâune transformation, pour courir le risque de l'Ă©chec.
La seconde erreur, câest de nĂ©gliger tout le reste, tout ce qui nâest pas labĂ©lisĂ© officiellement comme «âpatrimoineâ». Lâhabitude et la simplicitĂ© - lâhabitude coupable de la simplicitĂ© - revient souvent Ă ne conserver que ces points durs pour privilĂ©gier la tabula rasa pour tout le reste : le retour au sol nu par un salutaire coup de bulldozer. Combien de bĂątiments, qui nâont pas fini leur vie ou qui pourraient en connaĂźtre une nouvelle, ont Ă©tĂ© rasĂ©s faute de sâĂȘtre sincĂšrement posĂ© la question de leurs potentielsâde transformation ? "Trop compliquĂ©", "Plus cher que le neuf", "Ne correspond plus aux attentes du marchĂ©", la liste des excuses pour ne pas se poser de questions est longue et connue. Nous y avons collectivement perdu toute cette Ă©nergie grise et ces matĂ©riaux quâil faudra consommer Ă nouveau pour faire du neuf, mais surtout perdu du sens. Conserver lâexistant est aussi une contrainte crĂ©ative qui produit de la ville non standard en faisant germer les graines de projets dans lâexistant.
Pour sortir de ce dualisme simpliste entre patrimoine Ă©ternel et dĂ©laissement, peut-ĂȘtre faut-il changer de mot ? Le terme dâhĂ©ritage est moins ambigu que celui de patrimoine : on dĂ©cide dâaccepter un hĂ©ritage - ou pas -. Câest une dĂ©cision que lâon prend au prĂ©sent pour construire un futur, pas un regard nostalgique tournĂ© uniquement vers le passĂ©. En faisant un dĂ©tour par des objets singuliers du patrimoine industriel, lâentretien dâaujourdâhui avec Jean-Louis Kerouanton est particuliĂšrement Ă©clairant sur cette question :
«âQuand on hĂ©rite, câest pour en faire quelque chose. On a eu une transmission et on est lĂ pour avancer dans lâhistoire. Je nâai personnellement pas du tout une vision nostalgique de lâhĂ©ritage. Câest ce que je dĂ©fends auprĂšs de mes Ă©tudiants : si jâhĂ©rite, câest pour avancer. Le patrimoine est moteur de projet, pas de conservatisme. On peut continuer Ă conserver les choses au sens propre, mais pour continuer Ă faire sens.â»
Alors oui, «âfaire avecâ» câest sans doute accepter plus de l'hĂ©ritage de la ville existante quand elle est amenĂ©e Ă se transformer, mĂȘme du plus banal. Câest aussi faire des choix guidĂ©s par un regard sincĂšre sur ce qui est lĂ en oubliant les prĂ©jugĂ©s. Des choix Ă©clairĂ©s par des envies de futurs et fondĂ©s dans les traces du passĂ©. Des choix sans a priori pour accepter - ou pas - lâhĂ©ritage de la ville dĂ©jĂ lĂ : son bĂąti bien sĂ»r, mais aussi le vĂ©gĂ©tal, le sol, la mĂ©moire et mĂȘme ses histoiresâŠ
Bonne lecture.
â Sylvain
P.S. : Plus que quelques places pour notre webinaire avec Philippe Bihouix, directeur général d'AREP et auteur de "L'ùge des low-tech", ce jeudi 4 février à 13 h !
HĂ©riter d'un futur : LâĂźle de Nantes et les halles Alstom
Entretien avec Jean-Louis Kerouanton, maĂźtre de confĂ©rences Ă l'universitĂ© de Nantes, spĂ©cialiste des questions de patrimoine industriel, mais aussi vice-prĂ©sident de cette mĂȘme universitĂ© en charge de l'immobilier universitaire. On y Ă©voque les questions de patrimoine autour d'un objet singulier : les halles Alstom sur l'Ăźle de Nantes.
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đ Agenda.
- On y était : le replay du Club régional PLUI des Pays de la Loire sur la trajectoire Zéro Artificialisation Nette est disponible ici ! On y a discuté de limiter la consommation des espaces, de comment mesurer l'artificialisation, de zones d'activités et d'agriculture urbaine en passant par la réversibilité de l'urbanisme.
- à venir : dans le cadre des Assises de la Transition écologique organisées par Orléans Métropole, Sylvain interviendra lors du webinaire Mobilité durable : vers l'urbanisme circulaire et la ville des proximités, le mardi 09/02 à 14 h.
đïž Ămissions. Un Grand Reportage d'AurĂ©lie Kieffer et Catherine Petillon sur la fabrique de la ville solidaire, les nouvelles coopĂ©rations entre voisins suite Ă la crise sanitaire et la volontĂ© forte des citoyens de reprendre la main sur leurs quartiers.
đŹ Ă suivre. Le PUCA lance une consultation pour objectiver ce fameux exode urbain dont on a beaucoup entendu parler ces derniers mois. L'occasion de revenir aux faits et de sortir des analyses au doigt mouillĂ© ? C'est sans aucun doute nĂ©cessaire.
đ„ Coup de chaud. En Australie, le rĂ©chauffement climatique risque de transformer la ville Ă©talĂ©e en vĂ©ritable enfer : point dans cet article de Bloomberg Sydneyâs New Suburbs Are Too Hot for People to Live. LĂ -bas aussi, il va falloir changer de modĂšle de dĂ©veloppement, peut-ĂȘtre mĂȘme plus vite quâailleurs.
đ Fun. En Ecosse, les chasse neige ont tous un nom. Et pas nâimporte lequel.
dixit.net est une agence de conseil et de recherche urbaine. Tous les mercredis, nous décryptons dans notre newsletter les grands enjeux de la ville et de ses transitions. Si vous la lisez pour la premiÚre fois, c'est le moment de s'abonner à cette newsletter.