Hôp hop hop, tiers lieu poétique

Au cours de nos voyages à travers la France, on en profite pour s’inspirer de tout de ce qui se fait. Cette fois-ci, notre route nous a mené à Besançon, dans le Doubs, où nous avons fait la rencontre de Anna Otz, co-créatrice d’un tiers lieu éblouissant, signé du nom de l’association Hôp Hop Hop.

Hôp hop hop, tiers lieu poétique
Vue depuis une salle de Hôp Hop Hop, sur le centre ville de Besançon, source : dixit.net

Au cours de nos voyages à travers la France pour des conférences, des missions de conseil et des animations de la Fresque de la Ville, on en profite pour s’inspirer de tout de ce qui se fait, s’applique et se partage. Cette fois-ci, notre route nous a menés à Besançon, dans le Doubs, où nous avons fait la rencontre de Anna Otz, co-créatrice d’un tiers lieu éblouissant, qui porte le nom de l’association Hôp Hop Hop.

Ce collectif s’est installé dans une ancienne friche, une dépendance de l’ancien hôpital Saint-Jacques bâtie à la fin du XVIIe siècle, qui accueillait autrefois un arsenal militaire. Puis, il s’est transformé en fac de médecine, cette dernière ayant libéré une partie des lieux il y a quelques années... 1,8 hectares sont donc restés inoccupés jusqu’à ce qu’un collectif s’empare des lieux à titre “temporaire” pour les faire vivre et accueillir des activités culturelles et créer un véritable tiers-lieu. Le mot d’ordre de l’association : expérimentation. Chaque nouvelle idée est bonne à prendre.

C’est avec beaucoup d’intérêt que nous avons pu parcourir les salles réinvesties par toutes sortes de corps de métiers. Une décoration est pour le moins décousue, des panneaux peints à la main, des néons d'époque et des escaliers en pierre. S'ajoute du papier kraft, des citations philosophiques collées entre chaque porte et Febee, la gardienne du bâtiment qui nous accueille. Du mobilier de récup’, chiné aux quatre coins de la ville, ponctue les couloirs et apporte une touche de convivialité. On vous emmène donc à la rencontre de ces pionniers pour comprendre les tenants et aboutissants de la création de ce nouveau lieu, suivie par Febee, le chien mascotte de Hôp hop hop (que serait un tiers-lieu sans son chien iconique?) !

Affiches que l’on peut trouver sur les murs ou les portes des bureaux

La naissance du projet

En 2018, le collectif s’est vu confier à titre temporaire les clés des 2000m² de l’Arsenal par le CHU de Besançon. Après avoir posé ses valises et fait un coup de ménage, il a lancé un appel à candidatures pour accueillir toute personne se sentant portée par le projet et ayant besoin d’un espace de travail. Photographes, graphistes, compagnies de théâtre, couturières, artistes, architectes… 47 personnes ont aujourd’hui un espace de travail ou de création sur place. En échange, ils participent et font vivre le lieu. 3 salles polyvalentes sont également mises à disposition de tous pour différents évènements : ateliers, projections, réunions, répétitions, conférences… Au total, c'est un collectif de 60 personnes qui s'est installé dans ces lieux, en comptant les bénévoles, les salariés et les locataires.

Il y a un rayonnement, que même nous, on ne maîtrise plus trop. On voulait qu’il y ait de la vie tous les jours, que ce ne soit pas juste un lieu événementiel où on va venir faire un concert de temps en temps. C’est pour ça qu’on a créé les espaces de travail. Les résidents partagent un bureau ou bien ont leurs ateliers à eux. L’idée était que ce soit vraiment pluridisciplinaire, on ne voulait pas qu’il n’y ait que des artistes, mais brasser un peu les milieux. (...) C’est un truc que les gens apprécient beaucoup ici, de pouvoir créer des choses entre eux, d’échanger. Puis des fois, ça donne lieu à des projets auxquels ils n’auraient pas pensé s’ils ne s’étaient pas rencontrés ici.

— Anna Otz, co-créatrice de Hôp Hop Hop

A l'origine, c'est 3 architectes, une urbaniste et un menuisier qui s'associent autour d'un café avec l'idée de créer un tiers lieu participatif, pour accueillir tous types de structures, boîtes et corps de métier, et leur fournir un espace de travail abordable, pensé sur le principe de réhabilitation et de circuit court. Ils ont donc signé une convention d’occupation temporaire avec le CHU.

L’idée est qu’ici, les locataires bénéficient d’un espace qui n’est pas cher, mais en échange, ils doivent aussi donner une contribution qui est non monétaire, ils doivent aider au projet. C’est du temps pour aider à servir à l’éco-café ou ça peut être le tri à la recyclerie, la vente ou alors un peu de bricolage, parce qu’il y a toujours besoin de plein de choses ici, comme une affiche pour un événement. C’est selon ce que les gens ont envie de donner, mais ils doivent participer au projet.

— Anna Otz, co-créatrice de Hôp Hop Hop

Une location temporaire

Il s’agit d’un espace préservé “dans son jus”, comme à l'époque de la fac de médecine. Anna Otz nous explique en effet qu’ils voulaient éviter de réaliser trop de travaux de rénovation, car à tout moment l'association peut se voir demander de quitter les lieux, si le CHU le décide ou parvient à vendre le bâtiment. En effet, la location par l'association est précaire. Un contrat qui peut s’avérer arrangeant puisque cela leur a permis d'investir les lieux rapidement et à très faible coût, et les exempts de toutes sortes d'obligations, comme de faire construire un ascenseur, normalement obligatoire et très onéreux.

À l’origine, on a signé pour un an, et ça fait quatre ans qu’on est là. Mais on doit signer tous les six mois en avenant. Le CHU voulait s’assurer qu’ils pouvaient vendre à tout moment, et donc le contrat reste assez précaire.  Si ils y arrivent, on s’en va et on les laisse, on ne met pas de frein à la vente qui est déjà assez longue.

— Anna Otz, co-créatrice de Hôp Hop Hop

Aujourd’hui, ils sont bien installés et les choses ne semblent pas encore bouger du côté du CHU, notre guide croise les doigts pour que cela dure encore longtemps.

Un couloir qui rappelle les anciens usages du bâtiment

Un projet de “Hippies” ?

Pourquoi créer un espace pareil ? A quels besoins répond-il ? Quelles motivations de la part des créateurs à l’origine ? Qualifiés de "jeunes hippies au projet expérimental”, le CHU, les services d’aménagement de la ville de Besançon et les ingénieurs se sont demandés ce qui pouvait bien motiver ces jeunes à vouloir investir cette “ruine”. Pour Anna Otz, c’est l'innovation sociale avant tout, et c'est grâce à de bonnes rencontres, et l’aide d'un élu qui était dans l’enseignement supérieur et d’un ingénieur du CHU, très motivés par le projet, que cette dernière a pu aboutir.

Tous, on avait un peu envie de revoir nos façons de travailler. Les deux autres architectes avaient déjà un peu plus d’ancienneté dans le métier, mais principalement en agence, et ça les questionnait un peu, ça leur pesait. Ils avaient envie de passer dans le "faire". Le menuisier voulait avoir un atelier partagé de bricolage. On se rendait compte qu’il y avait plein de gens qui avaient beaucoup d’envie et des projets, ils n’avaient pas forcément les espaces pour les mener. Et qu’à côté de ça, il y avait des espaces vides dont personne ne faisait rien, donc on s’est dit : « Il faut qu’on mette ça en relation et puis qu’on arrive à créer quelque chose. »

— Anna Otz, co-créatrice de Hôp Hop Hop

L’un des bureau occupé par des artistes et colleuses

Finalement, l’espace a bel et bien répondu à un besoin de la part des habitants, puisqu'en 2 semaines, l'endroit affichait complet ! Il y a encore aujourd'hui une liste d'attente. Manifestement, les lieux ont fait venir des personnes motivées par un renouveau, un projet culturel et de reconversion d’un bâtiment historique.

On a fait deux semaines d’appel à candidatures et on s’était dit : « Au bout d’un an, on aura 30 personnes, on va remplir petit à petit. » Mais en deux semaines, c’était complètement plein, ça a vachement bien marché alors qu’on n’avait pas beaucoup communiqué en amont. Il y a eu un réseau de bouche à oreille qui s’est fait, des gens qui sont venus faire des visites. La plupart en avaient marre d’être chez eux, de ne croiser personne.

— Anna Otz, co-créatrice de Hôp Hop Hop

Hôp hop hop est finalement une association qui s'est incarnée dans les murs de l'Arsenal. Il s’agit pour notre intervenante du premier projet de l’association, qui n’exclue pas une suite, dans d’autres espaces...

“L’association s’est créée par rapport à ce projet d’occupation du bâtiment de Saint-Jacques, mais on s’est dit : « Ça va être notre premier projet, mais il y en aura d’autres et on ne veut pas limiter l’objet à ça. » L’objet, c’est de redonner vie à des espaces qui sont sous-utilisés et d’y créer des lieux de convivialité, d’échange, d’expérimentation, des lieux un peu innovants socialement.”

— Anna Otz, co-créatrice de Hôp Hop Hop

Qu'est-ce qu'on y trouve ?

Très au delà d'un simple espace de co-working, cet endroit rassemble tout un panel de services, carrefours de rencontres et lieux insolites. Une recyclerie, où des bénévoles viennent récupérer des vêtements, les trier, les remettre en état pour la vente au sein d’une pièce au fond d’un couloir, qui se trouve être à côté d’une brasserie (!) et d’un atelier de menuiserie, où chacun et chacune peut emprunter des outils de bricolage... La forte odeur de houblon nous interpelle et on ne manque pas une conversation enjouée et joviale avec les 3 brasseurs de Hôp Hop Hop, qui fournissent le café participatif du deuxième étage en bière ! Ce café associatif, nommé l’Arscenic, emploi deux barmans à mi-temps et constitue un véritable lieu de rencontre entre les locataires, mais ouvre aussi le tiers-lieu à la ville, invite les habitants à découvrir un espace convivial, décoré avec des objets de récup’, des canapés et fauteuils chinés en brocantes, des chaises données par l’université d’à côté...

Un peu plus haut, on découvre une salle d'exposition, où les artistes présents dans les locaux et d’autres peuvent y présenter leurs œuvres. Mais notre coup de cœur, c’est la salle de bien-être, dédiée à la pause, la détente ou simplement pour faire la sieste ! Un projet de bibliothèque est également en préparation. Enfin, le clou du spectacle, c’est la sauna extérieur ! Une expérience sociale, une fois de plus, pour déborder sur la rue et interpeller les habitants. Depuis mars 2022, une petite cabine de bois chauffée est ouverte au public pour se détendre et intriguer les passants. Conférences, concerts et rencontres entre les locataires permettent aussi de réellement faire vivre l'espace et aux gens de se l'approprier.

Au début, l’installation dans les lieux nous a beaucoup occupés. On a, par la suite, questionné un peu les espaces extérieurs, et notamment la relation qu’on peut créer avec l’espace public à travers d’autres actions. Ca raccroche a des questionnements d’urbanisme et d’architecture qui pour nous sont le sens premier de tout ça. On s’est rendu compte que les gens aimaient beaucoup venir dans le lieu, mais ils ne se rendaient pas forcément compte de la dimension urbaine, du questionnement qu’il y avait derrière. C’est pour ça qu’on s’est mis à faire d’autres actions comme des cycles de conférences pour questionner tout ça.

— Anna Otz, co-créatrice de Hôp Hop Hop

Une salle de rencontre dans les locaux

Notre intervenante précise que les différentes pièces sont mise à disposition, mais sans en imposer leurs usages. Des salles polyvalentes sont mises à disposition des habitants non locataires pour toutes sortes d’activités. L’idée est de montrer qu’un espace jugé vétuste et inutilisable par le CHU peut trouver un usage autre. Le but est de travailler avec la ville, de “déborder sur elle”.

Des designers, couturières, écrivains, masseuses, sculpteurs, et même un escape game... la diversité d'activité qui se trouve derrière les portes dans les longs couloirs est incroyable. On souhaite à ce lieu de perdurer encore longtemps, ou de se déplacer dans un autre espace vacant le temps de quelques années. Pourquoi alors ne pas réinventer nos pratiques professionnelles d’aménageurs pour permettre une réappropriation de la ville, et cela en créant des lieux d’accueil générateurs d’échanges et de rencontres ?

Marine Meunier · Juin 2022

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