Marteler sans fin des arguments rationnels ne suffira pas à amorcer les transitions, il nous faut repeupler nos imaginaires de futurs positifs. Faire comprendre ET ressentir le besoin de bifurquer est une nécessité. J'avais tenté l'exercice en remplaçant l'introduction du Manifeste pour un urbanisme circulaire par l'intervention d'Antoine Gébeau, un élu local qui nous racontait depuis 2032 la transition engagée par son territoire dans les années 20. Je ne sais pas si ce discours fictif écrit du futur inspire les lecteurs, mais il fut une façon pour moi de donner du corps à l'ensemble du livre à l'issue de son éreintante rédaction. François Houste en a d'ailleurs tiré avec brio une petite histoire dans sa newsletter cette semaine.

Autre démonstration de l'importance des imaginaires, les textes tirés du concours de nouvelles positives que vous lirez ici dans quelques semaines : les mises en récit donnent le souffle aux idées. Elles ne les remplacent pas, mais permettent de les incarner (Vous verrez, il y a vraiment des textes très bien).

Pour amorcer les bifurcations, il nous faut remettre les imaginaires au cœur des écoles les plus sérieuses et des méthodes les plus rigoureuses. Rationalité et imagination sont nécessaires pour forger des futurs qui donnent envie de les vivre, quitte à associer professionnels, scientifiques, romanciers et politiques dans des attelages improbables et essentiels. Mais nous reparlerons de toutes ces histoires très prochainement.

D'ici là, bonne semaine.

— Sylvain

Note de lecture · Dans les imaginaires du futur d'Ariel Kyrou, ActuSF, 2020

Le dernier livre d’Ariel Kyrou peut intimider : un pavé très dense de 600 pages avec, dès les premiers instants, des concepts scientifiques qui peuvent rebuter. Mais cette plongée dans les deux imaginaires phares du moment que sont « la démesure technologique » et « l’apocalypse environnementale » est pourtant passionnante. Deux concepts qui mènent à une impasse théorique et peuvent empêcher tout passage à l’action. Les premiers chapitres de l’essai analysent des œuvres de science-fiction qui sont la matière première dans laquelle l’auteur déchiffre nos présents et nos visions du futur :

« Il n’est pas aisé, mais en revanche très instructif, de décrypter l’influence tangible des œuvres de science-fiction sur les pensées et les actes des apôtres du tout numérique. De tenter d’appréhender la capacité mobilisatrice et transformatrice, directe ou plutôt indirecte, du cinéma de la littérature, voire de la bande dessinée ou des jeux vidéo sur les représentations du futur des technologues de la Silicon Valley. (…) L’un des premiers enjeux d’une technocritique s’appuyant sur la science-fiction est de déshabiller le mythe fallacieux de notre toute-puissance technologique, se parant des oripeaux de la science. »

L’auteur nous guide dans les thèmes qui façonnent notre vision de l’avenir (proche ?), comme l’intelligence artificielle, la conquête spatiale ou la colonisation martienne, pour comprendre à quel point la science-fiction et les imaginaires qu’elle a créés ont permis de faire croire que tout cela est possible. Au travers de la fiction, la science devient une expérience vécue, personnellement et collectivement. Ariel Kyrou reste très critique des « technologues » comme Elon Musk ou Jeff Bezos, car si leur seul horizon est de faire la même chose sur Mars que sur Terre, voire en pire, cela lui semble vain…

L’auteur défend le rôle essentiel de la littérature de science-fiction (Philip K. Dick, Kim Stanley Robinson, Catherine Dufour, Sabrina Calvo, etc.), des séries télévisées (Games of Thrones, Star Trek, etc.) et du cinéma (L’Odyssée de l’espace, Her, etc.) dans l’émergence d’idées, de concepts et d’imaginaires en tout genre qui façonnent ensuite le réel en proposant des solutions pour imaginer d’autres futurs possibles. Ariel Kyrou est tout à fait convaincant quand il rappelle la force de transformation extraordinaire des mythes et des histoires : il suffit de réfléchir un instant aux mythes religieux et à la place qu’ils ont encore aujourd’hui dans nos sociétés pour s’en convaincre.

Et puis soudain, aux deux tiers du livre, apparaît une volte-face d’une vingtaine de pages d’Alain Damasio, qui se demande pourquoi imaginer le futur. Pour prendre de l’avance ? Anticiper ? Se positionner en tête de proue ? Rêver ?

« Quoi de plus précieux [que d’anticiper] pour tous les pouvoirs établis qui veulent le rester ? Et quoi de plus nécessaire, ces anticipations, à l’opposé, aux candidats résistants, à ceux qui veulent tordre, démanteler ou retourner le système, à ceux qui veulent reprendre un coup d’avance, squatter le futur avant que le présent qui vient ne les déloge ? Autant dire que les imaginaires du futur relèvent du champ de bataille. »

Cette bataille des imaginaires est finalement au cœur du débat, la science-fiction étant éminemment politique. La culture génère l’émotion, elle a donc un rôle plus important dans la « pré-scénarisation des comportements » que les tracts de militants ou les rapports du GIEC. Difficile pourtant de faire le tri entre les imaginaires : il y aurait un « cinéma et une littérature de l’altérité » qui laissent la porte ouverte, mais aussi d’autres qui barrent l’horizon. Les réflexions d’Ariel Kyrou nous invitent en tout cas à ouvrir nos réalités et à reprendre une place d’acteur dans l’imaginaire de nos futurs :

« Au-delà du divertissement, une projection dans les imaginaires du futur n’aurait guère de sens si elle ne permettait pas d’agir un tant soit peu sur les perspectives de notre avenir. D’accompagner nos rêves, nos pensées et nos actes pour une vraie bifurcation… [mais] Pas de bifurcation sans des choix, donc des conflits assumés. »

→ Dans les imaginaires du futur d'Ariel Kyrou, Éditions ActuSF, 2020.

Ouverture · Lire, écouter, rencontrer, voir...

📅On y était. Découvrez le replay du lancement du Groupe de Travail "Réemploi Réutilisation et Recyclage" de Novabuild qui vise à créer un écosystème circulaire vertueux dans le secteur du bâtiment dans les Pays de la Loire. Très bien.

🎙️Podcast. Décidément, ils sont forts ! On vous a déjà parlé de la newsletter de l'ADEUPA, mine d'or de veille, et voilà que l'agence sort son podcast ! Déjà deux épisodes de "Balades Sonores" qui se proposent d'explorer les futurs (heureux) de 2040.

📝Enquête. L'AdCF - Intercommunalité de France, la FédéSCoT, France urbaine et la FNAU réalisent une enquête pour mieux comprendre l'engagement des territoires sur l'urbanisme commercial. Si vous êtes impliqué dans les questions d'urbanisme commercial dans votre territoire, c'est l'occasion de partager votre regard sur le sujet.

😷Vaccination. Cet article de Bloomberg (EN) explique, grâce à des exemples américains et allemands, la méthode de vaccination de masse dans de grands sites transformés pour cet usage : des gymnases, des stades de foot, des parkings et même des musées d'art deviennent pour quelque temps de grands centres de vaccination. Cette transformation n'a rien d'évident, car il faut installer des cloisons temporaires pour créer des espaces de vaccination, mais aussi de repos, d'attente, le tout nécessitant une sécurité importante. Et les spécificités de la Covid-19 ne permettent pas de s'installer partout, car il faut un espace très aéré et frais. Exploration bâtimentaire de cette vaccination de masse.

🚗Anti-voiture. Oups! we did it again...

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