Impulser le métabolisme urbain
Justine Emringer est cheffe de projet Métabolisme urbain chez Plaine Commune. Nous avons parlé de leur démarche métabolisme urbain, du rôle de la collectivité comme liant, et des conseils pour passer à l'acte sur d'autres territoires.
Chez Plaine Commune, une démarche de récupération, revalorisation et réutilisation des matériaux de chantiers a été lancée en 2015. Plaine Commune n'est pas n'importe quel établissement public territorial. Il regroupe neuf villes de Seine-Saint-Denis (Aubervilliers, Épinay-sur-Seine, L'Île-Saint-Denis, La Courneuve, Pierrefitte-sur-Seine, Saint-Denis, Saint-Ouen-sur-Seine, Stains et Villetaneuse) et plus de 400 000 habitants. C'est un territoire qui fait face à de nombreux projets d'aménagement, notamment dans les 14 quartiers prioritaires politique de la ville, mais aussi du fait de l'installation des infrastructures pour les Jeux olympiques : 40% du territoire aura muté d'ici 2050. C'est dans ce contexte qui donne un peu le tournis que Plaine Commune a lancé le projet Métabolisme urbain, piloté par Justine Emringer.
Ces aménagements génèrent énormément de flux sur le territoire. Des flux entrants pour construire et des flux sortants dus aux démolitions et aux réhabilitations. C'est pour cela qu'on a lancé la démarche "économie circulaire et métabolisme urbain" dès 2015, afin de réfléchir à comment refermer la boucle des matériaux. Comment faire de nos déchets des matières premières pour nos constructions, pour améliorer notre résilience ? On est encore très dépendants de l'extérieur pour se fournir en matériaux et gérer nos déchets de chantier.
– Justine Emringer, cheffe de projet Métabolisme urbain chez Plaine Commune
Une première étude de diagnostic du métabolisme urbain sur le territoire a été lancée en 2015. Cela a été un réel électrochoc pour les élus, car même s'ils étaient déjà sensibilisés aux enjeux, être face à des chiffres leur a permis de réaliser l'ampleur du problème. L'étude a révélé que plus de quatre millions de tonnes de matériaux entraient et sortaient sur le territoire chaque année, dont un tiers uniquement pour le BTP. Cela revient à onze tonnes de déchets par an et par habitant sur le territoire de Plaine Commune. À cela, ce sont ajoutés les déchets liés aux chantiers des JOP et aux gares du Grand Paris Express. Quatre millions de tonnes de terre vont être excavées sur le territoire d'ici 2030.
Une telle masse de flux et de déchets a nécessité d'organiser et de structurer la démarche "métabolisme urbain" rapidement. La collectivité a été aidée par des cabinets de conseil pour faire les diagnostics des mines urbaines et pour mettre en place un plan d'action. Afin d'avoir une cohérence en interne, la collectivité a créé en 2017 un poste à plein temps dédié au métabolisme urbain dans le BTP, la majorité des flux, pour coordonner et animer la démarche.
Tout un réseau s'est mis en place au sein même de la collectivité. Je travaille aussi bien avec mes collègues des directions de l'aménagement, que ceux de la rénovation urbaine ou ceux des espaces publics. Cela nécessite donc une montée en compétence des équipes en interne. Je suis experte et référente, mais ce sont eux qui mettent cela en œuvre dans leurs projets. Cela demandait aussi l'accompagnement d'un groupement d'experts. On a eu un financement de la région Île-de-France, de l'ADEME Île-de-France et de la Caisse des dépôts et consignations de 2017 à 2020 pour recruter une AMO. Nous avons été accompagnés par Bellastock, Recovering, Albert & Co., Encore Heureux, Halage, Auxilia, le Phares et le CSTB, durant trois ans.
Mais quel rôle pour la collectivité dans tout cela ? Comment influer sur des chantiers qui ne sont pas toujours publics et qui concentrent un très grand nombre d'acteurs ?
Le premier rôle de la collectivité est d'impulser des démarches d'économie circulaire, donc de s'assurer que c'est bien pris en compte dès la phase de conception jusqu'à la mise en œuvre sur les chantiers. Concrètement, on fait signer une charte d'économie circulaire à nos partenaires qui listent des exigences qui vont au-delà de la réglementation. Par exemple, on demande un diagnostic PMD (produits, matériaux, déchets) sur les chantiers de démolition de toutes tailles. Sur les chantiers de construction neuve, on demande qu'il y ait 1 % du montant des travaux qui soit alloué à l'achat des matériaux issus du réemploi. Si du béton est utilisé, on demande qu'il y ait 5 % de matériaux recyclés issus de la déconstruction insérée dedans. Pour les espaces publics, on demande que 20 % du montant des travaux soient alloués à l'achat de produits de réemploi, réutilisation ou recyclage. Le premier rôle est donc déjà de fixer les exigences [...].
Deuxièmement, il faut outiller nos partenaires. C'est-à-dire mettre en place des outils qui vont leur permettre d'atteindre ces exigences. Par exemple, des formations dédiées à l'économie circulaire avec des sujets tels que : comment réaliser un diagnostic-ressource ? Comment intégrer l'économie circulaire à chaque étape de son chantier ?, etc. Cycle Up, Backacia et Corecyclage ont des plateformes en ligne sur lesquelles ils peuvent s'appuyer. Il y a aussi des plateformes physiques. On a aidé l'association Réavie à implanter sa première plateforme de réemploi à La Courneuve. C'est un outil précieux pour déposer et s'approvisionner en matériaux. C'est le Point P du réemploi.
Le troisième axe, c'est d'être là, au quotidien, dès la rédaction des marchés pour conseiller sur les clauses à intégrer. On a des exemples simples sur lesquels nos partenaires peuvent s'appuyer pour inclure de nouvelles exigences dans leurs propres marchés.
La collectivité se révèle aussi être l'acteur incontournable pour mettre tout le monde autour de la table, même quand il n'y aurait aucune raison de se croiser. Mettre en place une démarche d'économie circulaire devient alors une opportunité pour sortir des silos.
La démarche a d'ailleurs été bien reçue par les acteurs du BTP dans leur ensemble, du moment que la demande était formulée clairement dès le départ.
La difficulté, si on ne formule pas clairement où l'on veut aller, c'est que les entreprises se retrouvent à faire des choses non prévues. C'est pour cela que notre rôle est vraiment d'anticiper au maximum les actions à mener à chaque maillon de la chaîne, pour que chacun puisse se l'approprier et se poser les bonnes questions [...].
On sait bien que l'économie circulaire va devenir la norme. Quand on rentre dans un chantier, on comprend bien que c'est du bon sens. Malgré tout, c'est un changement qui demande de nouvelles compétences sur les chantiers et de nouveaux process d'approvisionnement pour aller chercher des matériaux de réemploi. Il faut s'ouvrir à d'autres partenariats et à d'autres façons de faire [...].
D'expérience, ceux qui le vivent mal au début prennent leurs habitudes ensuite. Le deuxième chantier se passe mieux, le troisième encore mieux, et après, cela roule tout seul.
Si le rôle majeur de Plaine Commune est bien d'être le liant entre les acteurs du domaine du BTP, il faut aussi trouver des méthodes agiles pour éviter de bloquer des chantiers, souvent eux-mêmes peu flexibles. Une première idée de la démarche avait été de flécher des chantiers pour que des matériaux aillent de l'un à l'autre, mais cela se révélait très compliqué : le retard d'un chantier pouvait retarder l'autre, le matériau n'était finalement plus le bon, etc. De plus, un grand travail a été fait sur la démolition au début de la démarche, mais maintenant, les équipes de Plaine Commune souhaitent prendre le temps de mieux aiguiller la construction neuve et l'aménagement des espaces publics, car il y a beaucoup de demande. Pour autant, ce sont bien ces premières idées avortées, ou ces manques à combler, qui font de la démarche un tel succès.
Je referais tout pareil. C'est une démarche innovante, et qui dit démarche innovante, dit nécessairement qu'on va se planter à un moment ou à un autre. Il faut vraiment dédramatiser ce sujet-là, car chaque échec est instructif et permet de faire mieux la prochaine fois.
La méthode utilisée par Plaine Commune pour mettre en place sa démarche "métabolisme urbain" a été pensée pour être réplicable dans d'autres territoires, ce qui fait qu'elle est aussi fortement documentée. Ce qui va réellement changer d'un contexte à l'autre est évidemment le type de filières à développer, différentes selon les besoins et les gisements accessibles.
L'idée n'est pas d'avoir des objectifs très hauts dès le début. Si les acteurs du territoire ne sont pas prêts, la démarche va se planter. La première étape est de prendre connaissance de ce qu'on a localement dans la mine urbaine et de l'écosystème des acteurs sur le territoire.
La méthodologie consisterait donc à commencer par un diagnostic de la mine urbaine du territoire afin de comprendre ce que l'on a, ce qui peut être réemployé, réutilisé ou recyclé. Ensuite, un plan d'action pour valoriser ces matériaux et "déchets" peut être mis en place tout en communiquant avec les acteurs sur la démarche et en informant sur les matériaux disponibles. Cela demande de tracer les matériaux entrants et sortants afin de faire des matchs entre chantiers, et de travailler sur la demande des matériaux récupérés pour créer des débouchés. Une démarche similaire, qui s'appuie sur ces grands principes, peut être mise en place partout et selon toutes les échelles de collectivité.
Il faut rassurer et donner envie de l'économie circulaire. C'est du changement pour tout le monde et cela peut être difficile. Mais aller sur site, même des petites opérations, et organiser des retours d'expériences avec les élus et les techniciens, cela change tout. J'ai vu l'avant, où l'on me disait que l'économie circulaire était une mode qui allait passer ; et l'après, où ils étaient convaincus et ils en devenaient les porte-drapeaux, c'était génial !
Frédérique Triballeau · dixit.net · septembre 2021
Pour aller plus loin :
- La plaquette du projet Métabolisme urbain de Plaine Commune.
- Documents ressources (charte, annuaire, outils de traçabilité...) du projet Métabolisme urbain de Plaine Commune.
- Matière grise, le livre de l'exposition au Pavillon de l'Arsenal en 2015.
- Les études REPAR de Bellastock.
- La ville du réemploi, entretien avec Aniss Tlemsamani autour de la structuration d'un écosystème circulaire dans le bâtiment à Nantes et des enjeux du réemploi dans la ville.