Le projet a sa maison
La Maison du Projet, bâtiment d'inspiration "cradle to cradle", dans le quartier de la Lainière (Roubaix). Nous nous sommes intéressés à la modularité du bâtiment, mais aussi à la friche en tant que ressource et à la création de filières circulaires dans le bâtiment.
Un bâtiment d'apparence un peu low-tech dans un quartier d’activités en reconversion. À 200 mètres, un panneau qui indique qu'on passe de la ville de Roubaix à celle de Wattrelos, à quelques kilomètres de la frontière belge. Nous sommes devant la Maison du Projet, dans le quartier de la Lainière. Émilie Durigneux, en charge de l’animation du bâtiment de l'aménageur Ville Renouvelée, nous reçoit à la fin d’un atelier participatif de bouturage.
Ancien fleuron de l'industrie textile, le quartier de la Lainière s'inscrit dans un vaste plan de revitalisation et de restructuration des espaces Nord-Est de la métropole lilloise. Une concession d'aménagement a été signée entre la Métropole Européenne de Lille et la SEM Ville Renouvelée pour la période 2014-2026 sur 33 hectares. Un quartier d’activités habité va venir remplacer ces friches industrielles, en mixité d'usage : 30 % de logements et 70 % d'activités économiques sont prévus. Les espaces publics sont en cours de réalisation et les premières maisons ont été livrées début 2021. C'est au centre de ce quartier en travaux que se tient la Maison du Projet, vitrine de la démarche d'économie circulaire.
La Maison du Projet du quartier de la Lainière est à la fois le lieu de ressources du projet urbain, mais aussi du développement économique du site et de l’animation du territoire. Il témoigne également de l’histoire industrielle textile du site. La concession d’aménagement prévoyait de construire le premier bâtiment français référencé « Cradle to Cradle » ("du berceau au berceau"). Si l'architecture contraste avec celle du quartier, la maison a été pensée comme un lieu qui lui redonnerait vie .
Ce bâtiment pilote a été conçu par l'agence d'architecture EKOA. Il a ouvert ses portes en 2016, au démarrage des premiers chantiers dans le quartier, et construit en seulement quatre mois. Ce bâtiment était l'occasion pour Ville Renouvelée de poser l'enjeu des filières : quel rôle a l'aménageur pour faire émerger de nouvelles filières et pour les soutenir ?
On est vraiment sur un bâtiment pilote et il a fallu faire émerger des filières, des habitudes. Les filières ont déjà beaucoup évolué depuis la création du bâtiment : pas toujours en cradle-to-cradle, mais de façon générale autour de l'économie circulaire. En tant qu'aménageur, on s'est rendu compte de l'impact et du rôle qu'on pouvait avoir sur ces sujets d'économie circulaire.
— Émilie Durigneux, chargée de missions dynamiques sociales chez Ville Renouvelée
La maison est mobile, et même mutable : avec des fondations métalliques plutôt qu’en béton, elle a été conçue pour être démontable. Nous pourrions imaginer de la déplacer dans un autre quartier, voire de lui donner une autre forme. Il est d'ailleurs aussi possible de lui ajouter des extensions, selon les besoins. Le mobilier est, lui aussi, déplaçable et transformable. Il s'agissait vraiment d'un des premiers objectifs de la maison : être évolutive, car on ne connaît pas du tout l'avenir de ce lieu.
Le bâtiment n'a pas de fondation béton. On est sur une ossature métallique avec des pieux enfoncés dans le sol, donc qu'on peut extraire, dans l'idée que ce bâtiment puisse être démonté et remonté ailleurs sous la même forme ou sous une autre forme, selon les besoins. (...) Ce qui a vraiment été pensé, c'est la multiplicité des usages. Le bâtiment devait donc être hyper souple. Pas tant dans ses murs, mais les zones doivent pouvoir être utilisées pour un maximum d'usages différents. Avoir un lieu de ressources sur le projet urbain, mais aussi d'animation du territoire pour faire revenir la vie à l'intérieur de la friche, avoir un lieu de mémoire, mais aussi un lieu de développement économique, avec des formations de la mission locale, par exemple. (...) On peut très facilement démonter la partie cafétéria pour la mettre dans une autre salle.
Dans le choix des matériaux aussi, l'ensemble a été pensé par les architectes pour être réversible. Des simulations ont été réalisées pour imaginer la création de nouveaux bâtiments avec celui-ci en réutilisant des éléments des murs, du plancher ou de la toiture. Une ou deux maisons individuelles pourraient être construites sans ajout de nouvelles matières.
Le chauffage est dissocié selon les pièces et selon les activités qui se déroulent dans chacune : les bureaux ont besoin d'être plus chauffés, alors que la grande salle d'activités l'est très peu car elle est moins souvent utilisée. La chaudière fonctionne à l'énergie solaire et au bois. Les panneaux solaires thermiques ont été installés sur la toiture pour chauffer l'eau courante et préchauffer celle de la chaudière. La façon dont est construit le bâtiment permet une ventilation naturelle. C’est également le premier bâtiment public équipé de toilettes sèches, ce qui nourrit forcément quelques discussions entre utilisateurs.
Difficile de ne pas s'interroger sur les portes placées en hauteur, sans escalier pour y accéder... Défaut de fabrication ? Et non, ce sont des espaces de stockage intentionnellement positionnés ici, car il s'agit de matériels peu utilisés, comme les pellets qui alimentent la chaudière ou les réserves d’eaux pluviales. Les mettre en hauteur permet de minimiser la surface prise au sol. Un escalier aurait aussi pris trop de place et serait plus complexe à démonter : une bonne échelle pour y accéder de temps en temps faisait donc largement l'affaire.
Si le bâtiment n'est pas labellisé "cradle to cradle" mais "inspiré", c'est parce que la moindre vis aurait dû recevoir la labellisation. En 2016, pionniers dans ce type de bâtiment, l'utilisation de certains matériaux ne paraissait pas toujours cohérente en terme environnemental.
Au-delà même du bâtiment, l'équipe de Ville Renouvelée s'est demandée comment utiliser au mieux l'existant sur l'entièreté du site de la Lainière et faire plus en économie circulaire.
On voulait tirer tout le monde vers le haut et faire avec ce qu'on avait sur le territoire. L'échelle du projet ne pouvait pas non plus permettre financièrement et techniquement de faire de l'économie circulaire pour chaque sujet. Mais on s'est demandé comment on pouvait faire pour réutiliser un maximum de matériaux sur site.
L’entreprise Neo-Eco, partenaire de Ville Renouvelée, a été missionnée pour réaliser la réutilisation sur le site de 250 000 m3 de remblais à excaver. Si le remblais n'avait pu être traité sur place, cela aurait demandé environ 20 000 allers-retours de camion. Un micro-usinage sur site a permis de moins les déplacer et de les valoriser directement en fond de voirie pour l'aménagement des espaces publics.
Une attention particulière a été portée à la nature déjà présente sur place. Une parcelle du site voisin a été transformée en pépinière pour replanter temporairement les arbres avant qu'ils ne soient réintroduits dans l'espace public. Le jardin de la Maison du Projet a aussi été utilisé pour faire plus de 700 boutures de saules. Le reste des arbres, qui ne pouvaient rester en place sur site du fait de l’intervention sur le remblais, ont été transformés en pellet et broyat.
On souhaitait réutiliser une partie de ces végétaux dans l'espace public. On s'est servi d'une parcelle pour en faire une pépinière avec une partie des arbres. Nous sommes en train de les réintroduire dans les espaces publics qui sont en cours de travaux maintenant. (...) C'était quand même un projet d'envergure qui nous a pris plus de 18 mois car cela requestionnait le site dans son ensemble. (...) Comment est-ce qu'on ramène de la végétation autre que la végétation codée friche ? Comment est-ce qu'on intègre les riverains et les scolaires dans cette démarche ? Comment, sur un terrain très minéral aujourd'hui, on réintègre de la biodiversité le plus vite possible, notamment pour changer l'image du quartier ? Par exemple, une ancienne voie ferrée va être aménagée en voie verte et des forêts urbaines vont être créées sur les merlons (buttes) en frange des futurs logements. (...) Comment, quand on aménage, on anticipe la végétation et les ressources du territoire ? Pour moi, la friche est une ressource.
Ramener des espaces de biodiversité et de nature en intégrant les riverains et les scolaires pose aussi la question de l'urbanisme transitoire et de la place qu'on souhaite donner au site dans le quartier malgré le chantier. Ville Renouvelée a engagé un partenariat avec Plateau Urbain pour étudier le profil d'urbanisme transitoire qui pourrait émerger sur le territoire. L'idée serait de gagner en complémentarité entre les projets d'urbanisme transitoire, car les espaces en friche en transformation ne sont pas rares dans la région.
Enfin, les expérimentations menées sur le site posent aussi la question des principes à prescrire aux futures entreprises qui vont s'installer dans ce quartier mixte. Un guide de solutions environnementales a été créé, et les structures sont accompagnées bien en amont pour comprendre les flux et les liens possibles à faire entre entreprises.
De nombreuses expérimentations pour plus d'économie circulaire dans l'aménagement ont été réalisées sur ce projet, et c'est encore loin d'être fini, mais cela requestionne beaucoup les habitudes de travail de chaque acteur. Développer des filières circulaires dans le bâtiment demande une énergie folle car il faut prendre le temps de convaincre chaque acteur pour qu'il opère, petit à petit, sa transition.
Un des freins, c'est que chaque sujet qui amène à conduire le changement doit requestionner tout à chaque échelle. Déjà aller chercher chaque interlocuteur et lui dire qu'il doit changer son habitude, cela demande une énergie incommensurable. Il y a le sujet de trouver les bonnes filières. C'est aussi une vraie prise de risque, notamment à l'échelle d'un projet de 33 hectares, à 63 millions d'euros. C'est pour cela qu'on ne peut pas faire de l'économie circulaire partout. Même si la Maison du Projet a été un vrai choix, promut par les collectivités.
Mais en attendant, on aurait bien participé à l'atelier bouture de ce matin !
Frédérique Triballeau · dixit.net · juin 2021
Pour aller plus loin :
- Cradle to cradle. Créer et recycler à l'infini, de Michael Braungart et William McDonough, Gallimard
- SEM Ville Renouvelée
- Bâtiments dits "cradle to cradle"