đ„Â La Cite des hospitaliĂšres en transition
Il pleut, un peu, et jâattends le bus avec mon sac lestĂ© de bouquins. Cap vers un lieu dâexception qui sâinvente un nouveau futur : la CitĂ© des HospitaliĂšres, nichĂ©e au cĆur de MontrĂ©al au pied du Mont-Royal. Sur le tablier dâun pont, un tag explique pourquoi ce boulevard se prend pour une autoroute : «âTrashing the planet one car at a timeâ».
Le site est immense, et la rue qui le dessert complĂštement dĂ©foncĂ©e. Les engins de chantier sâagitent, tout Ă leur course contre lâhiver qui commence Ă pointer son nez. Je trouve quand mĂȘme le numĂ©ro 251, en me glissant derriĂšre une barriĂšre de chantier. DĂšs lâentrĂ©e, la longue histoire de ces murs de granit sâimpose au visiteur. Construite en 1861, la CitĂ© des hospitaliĂšres a longtemps Ă©tĂ© un espace de soin et de recueillement animĂ© par des religieuses cloĂźtrĂ©es. Câest une architecture massive et durable, qui contraste avec les constructions dâaujourdâhui. Les ailes du bĂątiment dĂ©limitent un vaste jardin clos, Ă lâambiance apaisĂ©e qui tranche avec le bouillonnement des boulevards adjacents.
Ces derniĂšres dĂ©cĂ©nnies, les pratiques de soin ont progressivement Ă©tĂ© reprises et dĂ©placĂ©es par les autoritĂ©s publiques, mais les sĆurs sont restĂ©es et se sont repliĂ©es dans des espaces toujours trop grands, jusquâĂ dĂ©cider finalement dâengager la cession du site. Câest la Ville de MontrĂ©al qui a fait son acquisition en 2017. Un geste politique fort dans un territoire oĂč les collectivitĂ©s nâont pas lâhabitude dâintervenir sur le marchĂ© foncier. Cette acquisition est une façon de prolonger lâĆuvre des sĆurs, mais aussi de calmer les appĂ©tits du secteur privĂ© pour ce lieu dâexception.
Mais que faire dâun site aussi important, central et chargĂ© dâhistoireâ? Les volumes sont immenses, avec plus de 6000 m2 parfaitement entretenus et libres de toute occupation. Sâengage alors une rĂ©flexion qui dĂ©bouche sur la dĂ©signation en 2019 dâEntremise, une entreprise dâĂ©conomie sociale et solidaire dont sâest la vocation, pour structurer une phase dâurbanisme transitoire. LâidĂ©e nâest pas juste de gĂ©rer une occupation temporaire en attendant de prĂ©ciser un projet de transformation, mais bien de tisser le projet in situ en agrĂ©geant une communautĂ© dâacteurs pour tester les usages potentiels des lieux. Les premiĂšres occupantes sont finalement les sĆurs, restĂ©es sur place, qui font le pont entre lâhistoire longue de ces murs et leurs futurs possibles. Une forme de continuitĂ© assurĂ©e par 7 lignes directrices dĂ©finies avec elles, qui structurent lâensemble du projet : lâhospitalitĂ©, lâenseignement, la guĂ©rison et la reconnexion, le bien commun, la crĂ©ativitĂ©, la rĂ©conciliation, et le leadership des femmes.
AprĂšs quelques retards liĂ©s Ă une pandĂ©mie mondiale dont on a pas mal entendu parler, lâactivation des lieux dĂ©bute en juin 2021 avec la mise en place dâun hĂŽtel Ă projet qui accueille des initiatives pour un temps court, puis la montĂ©e en charge progressive dâune occupation plus durable des espaces. Câest lâouverture dâun lieu jusquâici rĂ©solument clĂŽt, avec lâaccueil dâacteurs identifiĂ©s via Ă un appel Ă projet, et retenus en fonction de la cohĂ©rence de leur projet avec les 7 principes directeurs, la capacitĂ© technique des espaces Ă les accueillir et la continuitĂ© avec lâhistoire des lieux.
Pour inventer un futur a un tel lieu, il faut accepter de tĂątonner. Si les niveaux du bas se peuplent progressivement, des questions de sĂ©curitĂ© incendie font que les Ă©tages tardent encore Ă dĂ©couvrir leur nouvelle vie. Câest aussi ça lâurbanisme transitoire, un dialogue permanent et souvent complexe entre enjeux techniques, rĂ©glementaires et usages, sur un fond de sobriĂ©tĂ© de moyens. Câest un parti-pris justifiĂ© par des objectifs Ă©cologiques assumĂ©s, mais aussi par la nĂ©cessitĂ© dâamortir les investissement sur des dĂ©lais courts. Cela nĂ©cessite donc de trouver les bons Ă©quilibres programmatiques en renonçant parfois Ă certains usages trop contraignants, ou de contourner Ă©lĂ©gament la rĂšgle sans pour autant faire de compromis sur les fondamentaux. Câest tout un savoir-faire quâil faut dĂ©velopper pour traiter de ces enjeux, qui mobilise des compĂ©tences techniques pointues et des talents de nĂ©gociations avec les autoritĂ©s.
Mais le tĂątonnement ne porte pas que sur les enjeux techniques de lâoccupation transitoire, il sâĂ©rige ici en mĂ©thodologie de programmation pour dĂ©finir les futurs usages des lieux. Car il nây a pas de projet dĂ©cidĂ© en amont Ă coup dâĂ©tude de marchĂ© et de PowerPoint. Câest dâabord l'appel aux acteurs du territoire, puis leur confrontation au rĂ©el des lieux qui doit permettre de tester concrĂštement les graines de futur, et d'identifier celles qui peuvent prospĂ©rer. Il faut donc Ă©valuer tout ça en continu, ce qui est facilitĂ© par la prĂ©sence permanente de lâĂ©quipe dâEntremise, mais aussi dâun service de la Ville de MontrĂ©al.
Nous assistons donc Ă la transition dâun lieu emblĂ©matique, mais aussi Ă un changement de pratique qui sâengage plus largement pour la Ville. Alors que nos institutions sont organisĂ©es pour prendre le temps de penser, valider et mettre en Ćuvre des projets pĂ©rĂšnnes prĂ©cisĂ©ment dĂ©finis en amont, ici le processus est inversĂ© et lâon fait, avant de dĂ©cider rĂ©ellement dâun cap. Cette transition des pratiques nâest pas quâune question de compĂ©tence et dâorganisation, câest aussi un enjeu culturel. Car câest un pas important que dâadopter le tĂątonnement comme mĂ©thode et dâaccepter dâavancer sur des chemins incertains, alors que nos cultures techniques et les enjeux politiques cherchent Ă forger systĂ©matiquement des certitudes avant de passer Ă lâaction. Mais nos grandes transitions nĂ©cessitent de prendre des risques et dâapprendre Ă sâorienter dans le noir, trĂ©bucher et parfois accepter faire marche arriĂšre, pour trouver le bon chemin.
Entremise est le premier acteur professionnalisĂ© du transitoire au QuĂ©bec, oĂč les nombreuses initiatives restaient jusquâici localisĂ©es. La rĂ©currence et le croisement des expĂ©riences permettent Ă cette organisation de dĂ©velopper des mĂ©thodes et dâinitier de nouvelles dynamiques. Ă la CitĂ© des HospitaliĂšres et ailleurs, Entremise teste Ă©videmment des usages, mais invente surtout des modes de gouvernance et de gestion qui permettent dâagrĂ©ger des Ă©cosystĂšmes pĂ©rĂšnnes dâacteurs dans des configurations nouvelles. Car si la prĂ©sence dâEntremise est temporaire, ce nâest pas le cas des usages accueillis et de leur assemblage attentif. Elle est peut-ĂȘtre lĂ la vraie transition, pas tant dans lâinvention de nouveaux futurs Ă des espaces dĂ©laissĂ©s, mais dans le fait de semer de nouveaux lieux communs dans le coeur de nos villes.
â Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)
PS : Rendez vous le 13 octobre aux Cabanes Urbaines à La Rochelle (et oui, retour en France !) pour parler urbanisme circulaire. Une rencontre organisée par UrbagenÚse !
On visite aujourdâhui la CitĂ© des HospitaliĂšres, Ă MontrĂ©al, en compagnie de Marie Renoux, rĂ©fĂ©rente d'occupation transitoire chez Entremise. AprĂšs un siĂšcle et demi dâune histoire marquĂ©e par une vocation de soin et la prĂ©sence de religieuses cloĂźtrĂ©es, ces vieux murs de pierre sont en train de sâinventer un avenir par un processus dâoccupation transitoire aussi ambitieux que complexe. Mais si câĂ©tait plus que des usages qui se testaient ici, et que ce lieu dâexception devenait un nouveau commun ?
đ 21 octobre, en ligne. Dernier Ă©vĂ©nement de la Rue Commune, soutenue par lâADEME, avant la mise Ă disposition de son guide mĂ©thodo, en open source, pour transformer les rues de nos mĂ©tropoles. (Rue commune)
đïžPodcast. Telles une enquĂȘte journalistique ou une chasse au trĂ©sor dâanniversaire, partons Ă la recherche du futur ! Des podcasts qui reviennent sur les enjeux du prĂ©sent, sur notre rapport Ă lâavenir et qui rĂ©interrogent les mythes de maintenant pour imaginer les prochains. Quâest-ce que lâavenir ? Pourquoi est-il important de se projeter et dâĂ©crire les rĂ©cits des futurs ? Demain, avec qui, Ă cĂŽtĂ© de qui, oĂč voulons nous vivre ? (EnquĂȘte dâavenir)
đ Pirmil-les-Isles. On en parle beaucoup de ce projet urbain nantais (notamment dans le Manifeste), oĂč les enjeux climatiques sont au cĆur de la dĂ©marche. Lâoccasion de revenir sur le contexte et lâhistoire de cette ZAC avec Matthias Trouillaud, responsable dâopĂ©rations Ă Nantes MĂ©tropole AmĂ©nagement, mais aussi sur les grands principes dâattĂ©nuation, d'adaptation et de circularitĂ© du projet. (Novabuild)
đ DĂ©croissance. Incroyable comme ce mot vient nourrir les dĂ©bats, et peut nous faire tomber dans les extrĂȘmes. Parfois Ă raison, et parfois pour ne surtout rien changer. Ce long entretien de TimothĂ©e Parrique revient sur les fondamentaux : le mythe de la croissance infinie. En prĂ©fĂ©rant parler de sociĂ©tĂ© post-croissance, lâĂ©conomiste dessine un chemin du ralentissement. (Blast)
đ 90°, Ces territoires qui sâengagent. Pour une rĂ©volution Alimentaire ! (Edition Colibris, 2022). Ce petit numĂ©ro facile Ă lire et magnifiquement illustrĂ© propose des entretiens sur la relocalisation alimentaire. Il fait un excellent Ă©tat des lieux de la crise actuelle et en devenir de lâagriculture et de notre systĂšme alimentaire, qui âse nourrit de nos propres vulnĂ©rabilitĂ©sâ. Au travers dâexemples de collectivitĂ©s qui, partout en France, ont dĂ©jĂ commencĂ© Ă agir. De lâĂ©mancipation par les jardins, Ă une nouvelle rĂ©silience, en passant par une dĂ©mocratie alimentaire, on y dĂ©couvre des portraits, des histoires et des outils dâactions pour repenser nos façons de nous nourrir.
Alors que le nombre de paysans se rĂ©duit comme peau de chagrin, rendre notre systĂšme alimentaire plus rĂ©silient implique de se former et dâaccompagner une part croissante de la population pour produire Ă manger.