🏴‍☠️ Mal de terre

C’est un de ces petits ouvrages qui se lisent d’une traite. Cela pourrait juste être l'histoire édifiante d’un parisien qui trouve refuge sur l’île de Porquerolles pour échapper à la canicule. Mais c’est bien sûr beaucoup plus que cela. C’est moins la chaleur, que les angoisses provoquées par un monde qui s’effrite et les responsabilités personnelles associées à chacun de ses gestes, que tente de quitter Nicolas Schultz.

Mais l’île fait partie du monde, et elle est même le théâtre d’une surexploitation qui menace son fragile équilibre. C’est l’occasion de prolonger in situ les réflexions sur les nouvelles classes géosociales engagées par l’auteur avec Bruno Latour dans leur dernier ouvrage :

Un nouveau climat règne sur Porquerolles, son territoire change et les gens s’allient différemment, combattent de nouveaux pirates et les affrontent dans une lutte des classes inédite. Ici et ailleurs, la perte des terres se fait sentir sous les pieds des peuples à des degrés divers et, en réaction, des classes convergent dans la lutte pour la protection de leurs territoires. La terre tremble et, avec elle, le paysage des classes se modifie, de même que ses hiérarchies, ses intérêts, ses luttes et ses modes d’exploitation.

Mais c’est aussi l’occasion de revenir sur les conflits qui s’agencent entre les générations. Car on parle fréquemment de ces actions de jeunes qui, faute de mieux, en viennent à lancer des soupes dans les musées ou à créer des embouteillages sur le périphérique parisien. On évoque moins souvent le destin de ces retraités qui claquent l’héritage dans un gros SUV ou qui font des ronds dans l’eau à bord d’improbables paquebots. Mais ceux que l’on n’évoque jamais, ce sont ces grands-parents qui ont fait ce qu’il faut toute leur vie pour préparer la place des générations qui suivent, mais réalisent qu'ils leur ont inconsciemment savonné la planche :

À présent (ma grand-mère) était horrifiée de voir combien la situation avait changé et donnait une autre signification à son passé. Ses petits-enfants ne croyaient plus au caractère sacré de son horizon. C’était déjà difficile à avaler, de s’apercevoir sur ses vieux jours que ses croyances étaient caduques, mais la situation était pire que ça. Elle se rendait compte que tout ce pour quoi elle s’était battue était précisément le piège qui s’était refermé sur ses descendants. Non, les gens de sa génération n’avaient pas mis leurs héritiers à l’abri, et ils ne leur avaient pas non plus offert un avenir radieux. Ils leur avaient confisqué leur terre, leurs horizons, et jusqu’à leurs conditions d’existence.

Une génération trahie, trompée ou qui s’est trompée, mais qui comprend et que l’on doit comprendre. Car c’est de l’alliance objective de jeunes et moins jeunes que le mouvement prendra, tous touchés par le mal de terre et capables de prendre ensemble le large.

— Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)

PS : Rappel pour les nantais·es, Jean-Laurant Cassely sera en table ronde le 8 décembre à 18h30 à l'Ecole d'Architecture, animée par Sylvain et Franck Renaud. A jeudi ! (Place Publique)

Pour découvrir la pensée de Nikolaj Schultz, on vous propose de regarder cette conférence donnée à Sciences Po avec Bruno Latour, en début d'année 2022, sur la nouvelle classe écologique.

📅 Le 14 décembre, conférence en ligne et à Grenoble à propos des enjeux de santé et de vulnérabilité dans nos villes et nos territoires. (Fondation AIA)

🎙️Podcast. Une enquête au sein du quartier de la Boissière à Nantes, le long de la ligne du tram 2. Deux journalistes et sociologues y suivent la vie des habitant.es pendant plus d’un an, entrecoupés par des entretiens de chercheur.es. (La bonne cage)

🍃 Renaturer. Bien sûr qu’il faut laisser de la place en ville, pour créer des ilots de fraicheur, lutter contre la pollution atmosphérique et contribuer au bien-être des populations. Oui, oui et encore oui. Mais attention : de quelle nature parlons nous ? Quelle place voulons nous bien lui donner ? Quel regard portons nous sur elle ? Car si il s’agit bien d’une solution contre le changement climatique, il ne s’agit pas de LA solution. La renaturation ne doit pas devenir l’arbre qui cache la forêt. (Tema archi)

💌 Newsletter. On vous en a sûrement déjà parlé, car Bulletin c’est un peu votre petite dose de bonne humeur hebdomadaire : c’est doux, poétique, rigolo et informatif ! Cet hors-série spécial ville nous a bien plu. Au menu : des villes égalitaires, des immeubles qui s’embrassent, des kit moineaux, de mamies espionnes, de villes à hauteur d’enfants, et de bien d’autres choses encore… (Bulletin)

🏘️ Bimby. Les premières expérimentations de densification douce, lancées en 2015 dans quelques petites villes et villes moyennes, pointent leur nez. Ca y est, on commence à voir les résultats, et cela fonctionne : des maisons poussent dans des jardins privés devenus trop grands. Un processus amorcé par les collectivités, mais qui coïncide très bien avec les intérêts des habitant.es. (La Gazette des Communes)

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