❤️‍🔥 Bâtir des infrastructures sociales de résilience

❤️‍🔥 Bâtir des infrastructures sociales de résilience

Difficile de planter des certitudes sur les cartes quand le sol se dérobe. Il nous faut tracer une géographie du doute, tout en questionnant la longue traîne des investissements du XXe siècle pour nous concentrer sur le déploiement de nouvelles infrastructures de résilience. On pense souvent aux réseaux et aux équipements techniques qui permettent à nos villes de fonctionner, mais n’oublions pas les infrastructures sociales. Ce sont celles qui tissent les liens qui améliorent la vie au quotidien, et sont essentiels quand les choses tournent mal.

Partons à Chicago, en juillet 1995, pour comprendre combien elles sont importantes. Il fait chaud cet été-là, le mercure monte même pendant quelques jours au-dessus de 40 °C. Mais il faut plusieurs semaines pour de réaliser que l’évènement météorologique était en fait une vraie catastrophe sanitaire qui a tué plus de 700 personnes. Eric Klinenberg a mené une « autopsie sociale » de cette catastrophe. Les canicules nous ont depuis appris combien elles ne frappaient pas à l’aveugle, alors sans surprise la géographie de la mortalité à Chicago recoupe celle des inégalités. Ce sont prioritairement les quartiers afro-américains les plus pauvres qui sont touchés, avec comme principales victimes les personnes âgées mortes de la solitude. Mais les inégalités sociospatiales ne suffisent pas à expliquer tous les décès de cette tragique semaine. Deux quartiers voisins, Englewood et Auburn Gresham, ont connu des taux de mortalité très différents, alors qu’ils sont tous deux habités par une population afro-américaine pauvre, avec une proportion de personnes âgées identique. Quels sont donc les secrets de la résilience d’Auburn Gresham ? C’est la présence d’une « infrastructure sociale » dense et vibrante. C’est comme cela que Eric Klinenberg nomme les rues animées, les commerces, les équipements publics et les organisations communautaires qui créent du lien, favorisent l’entraide et protègent de l’isolement. Le quartier d’Englewood avait au contraire subi trente ans de crise à bas bruit, avec la perte de la moitié de sa population et de ses commerces, laissant ses rues abandonnées à la criminalité.

Chaque coup de chaud sur nos villes relance les débats sur l’adaptation de nos villes, mais les infrastructures sociales sont systématiquement oubliées. C’est pourtant elles qui feront la différence face à des chocs dont l’ampleur dépasse de plus en plus fréquemment la capacité des institutions à assister les populations. Cela demande bien sûr de moyens, mais surtout du temps, de la persévérance et des femmes et des hommes qui savent tisser des liens. Mais le jeu en vaut la chandelle, car l’infrastructure sociale pour les temps de crise est aussi celle qui améliore le quotidien. Les liens qui les unissent ont autant protégé les habitants d’Auburn Gresham de la canicule qu’une climatisation, et leur espérance de vie est aussi supérieure de cinq ans à celle des habitants d’Englewood.

Pour aller plus loin :

– Sylvain Grisot (Twitter/Bluesky/Linkedin)

PS : Si vous avez des talents pour la relecture et un peu de temps dans les jours qui viennent, faites moi signe en répondant à ce message, je finis d'écrire un truc...

🗓️ 29 sept — 1e Oct. Le Festival International de Géographie de Saint-Dié-des-Vosges, c’est toi jours d’échanges entre géographes, chercheurs, universitaires, enseignants, écrivains, illustrateurs et le grand public. Cette année, c’est le Chili qui est à l’honneur. (FIG)

📻 Acoustique urbaine. Balade auditive avec Sara el Samman à La Défense, sonosphère isolée de son territoire. On y entend des bruits bien spécifiques : les talonnettes qui claquent sur le trottoir, quelques klaxons de SUV et roulements des escalators du métro. Mais quelle place pour d’autres sonorités ? Comment faire pour que d’autres êtres vivants puissent s’entendre et communiquer ? C’est une invitation à ajouter une trame blanche, en plus des trames vertes, bleues et noires, dédiée au son, voire au silence, dans la conception des paysages urbains. (PCA Stream)

🗞️ Urgence. Édition spéciale de l’hebdo « Le 1 », en partenariat avec le Festival International de Géographie, et POSPU sur une thématique importante : « l’Urgence ». On y retrouvera les échos de projets de recherche et les regards d’experts et d’acteurs engagés dans la gestion des urgences. À retrouver chez votre marchand de journaux (Le 1 hebdo)

💶 Financement. Prenez d’un côté des collectivités en première ligne des impacts des du bouleversement climatique, et en charge d’une bonne part des efforts de décarbonation et d’adaptation à mener : rénovation des bâtiments pub, transformation des pratiques de mobilité, redirection de la fabrique urbaine, développement d’infrastructures technique et sociales de résilience. Et puis de l’autre un état qui réduit leurs capacités d’investissement en faisant peser sur elles des efforts de désendettement qui le concerne en premier chef, et qui est incapable de proposer de nouvelles modalités fiscales pour assurer leur autonomie financière. Non, décidément, François Thomazeau de l’Institut de l’économie pour le climat a bien raison, quelque chose ne tourne pas rond. (Le Monde)

📖 D’un quai à l’autre. Tout a commencé par une surprise, celle de voir Jean-Laurent Cassely préfacer un ouvrage de George Orwell. Mais c’était une grave erreur de ma part, George Orwell ne s’est pas limité au dystopique 1984 qu’on lui connaît tous, il a aussi réalisé un magnifique travail d’enquête dont le Quai de Wigan rend compte. La première partie de l’ouvrage est une description précise de l’Angleterre de l’entre deux guerres. Pas celle des élites dont on a l’habitude, mais celle de la misère. C’est aussi la peinture d’une société déjà avide d’énergie, mais concentrée à l’époque sur le charbon, exploité dans le nord de l’Angleterre. Mais ce n’est pas un travail de description hâtive, c’est le résultat d’une immersion de plusieurs mois de George Orwell, qui a vécu avec les mineurs avant d’en raconter la vie. C’est une peinture assez terrible qu’il en fait, mais jamais misérabiliste.

La transition vers le Quai de Ouistreham s’impose donc. L’époque change, le lieu aussi, mais les misères se ressemblent. C’est celle des petits boulots du nettoyage, la face cachée de capitalisme qui fait suite à l’effondrement de la grande industrie. C’est un quotidien fait de temps partiels qui s’accumulent, d’une précarité vécue comme une évidence entrecoupée d’entretiens à Pôle Emploi. On retrouve dans les écrits de Florence Aubenas la misère d’Orwell mais aussi une méthode, car elle a fait le choix de changer de vie pendant plusieurs mois, pour toucher la réalité de ses mains.

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