đïž Ceci n'est pas une crise
Si vous ne lâaviez pas encore remarquĂ©, câest la crise. Lâimmobilier neuf sâeffondre, lâaccĂšs au logement se complique, la construction patine, les bailleurs sociaux sont Ă la peine, les amĂ©nageurs ont du mal Ă commercialiser et les collectivitĂ©s commencent Ă encaisser le choc. Les observateurs bien informĂ©s rivalisent dâobservations bien informĂ©es, pronostiquant une crise «âplus dure que la derniĂšre foisâ» et se risquent mĂȘme Ă annoncer une date de sortie plus ou moins lointaine. Alors les plus libĂ©raux membres de la profession qui appelaient il y a peu Ă lâallĂšgement des contraintes administratives demandent une action rĂ©solue de lâĂtat, et vont sans doute bientĂŽt exiger la collectivisation des terres.
Mais il y a une erreur sur le diagnostic, car ceci nâest pas une crise. Une crise a un dĂ©but et une fin, mais il nây aura pas de sortie cette fois-ci. Lâindustrie immobiliĂšre se confronte aux limites planĂ©taires, comme le paquebot touche lâiceberg que son capitaine faisait semblant de ne pas voir. Il nây aura pas de fin, car ceci nâest pas une crise, un mauvais moment Ă passer ou lâouverture dâune parenthĂšse. Câest la fermeture dâune longue parenthĂšse pendant laquelle le bĂ©ton a coulĂ© Ă flots, les ressources Ă©taient illimitĂ©es, lâargent pas cher et le foncier agricole infini. Câest la fin brutale de la ville facile, et le dĂ©but dâun nĂ©cessaire changement de cap.
Les difficultĂ©s de financement, la hausse des prix des matĂ©riaux et le manque de terrains ont trop longtemps masquĂ© un enjeu plus fondamental : la spĂ©culation fonciĂšre. Pourtant, le foncier urbain, par nature limitĂ© et non renouvelable, ne peut ĂȘtre traitĂ© comme un bien ordinaire. Et cette question touche dâautres secteurs moins visibles que lâhabitat, mais tout aussi essentiels. Le marchĂ© seul est incapable de produire du logement abordable dans les territoires attractifs, de recycler des friches, de maintenir les commerces de centre-ville, dâĂ©viter que la production ne soit Ă©vincĂ©e des mĂ©tropoles, et il ne saura pas encaisser les pertes de valeur liĂ©es aux nouveaux risques. Nous sommes arrivĂ©s au bout dâun systĂšme oĂč la propriĂ©tĂ© du sol est associĂ©e Ă une spĂ©culation sur des temps de plus en plus courts.
Nous devons inventer autre chose, et certains nâont pas attendu lâeffondrement du chĂąteau de cartes pour sây mettre. Câest le cas par exemple de la fonciĂšre Bellevilles qui travaille sur le temps long de la ville en investissant dans des projets dâintĂ©rĂȘt collectif lĂ oĂč câest nĂ©cessaire : villes moyennes, villages, banlieues, zones pĂ©riurbaines. Elle intervient sur le financement, mais aussi sur le montage et la gestion des projets liĂ©s Ă lâĂ©conomie sociale et solidaire, lâinclusion sociale ou les transitions avec une double exigence : lâĂ©quilibre Ă©conomique et le partage de la valeur, en assumant la recherche dâune rentabilitĂ© limitĂ©e. Ce nâest pas tout Ă fait un groupuscule dâilluminĂ©s la tĂȘte remplie de rĂȘves, mais une Ă©quipe de plus dâune vingtaine de personnes qui mĂšne des projets trĂšs concrets partout en France dont certains dĂ©jĂ livrĂ©s, et qui vient de faire une levĂ©e de fonds de 4 millions dâeuros. Est-ce que cela change le systĂšmeâ? Non, pas encore, et Bellevilles nâa pas lâambition dâĂȘtre partout. Mais le modĂšle peut essaimer en inspirant dâautres acteurs, et il dĂ©montre surtout quâune autre façon de faire la ville est possible.
â Sylvain Grisot (Linkedin)
PS : Dernier rappel ! Avec plus de 700 exemplaires de Redirection urbaine prĂ©commandĂ©s, câest dĂ©jĂ une belle rĂ©ussite, mais vous pouvez encore soutenir le projet en passant commande avant le 31/12 et bĂ©nĂ©ficier du port gratuit avec le code MERCI.
PS2 : Votre newsletter fait une pause jusquâau 10 janvier, non sans remercier trĂšs chaleureusement ses 16272 abonnĂ©s (câest stupĂ©fiant). Ă la rentrĂ©e on retrouve un nouveau bouquin, de nouvelles tĂȘtes et un nouveau cap. Portez-vous bien !
đïž 18-19 Janvier. Sciences Po et Villes Vivantes organisent deux jours de dĂ©bats autour de la place des habitants dans les processus de construction, avec un programme trĂšs prometteur. (Organic Cities)
âïž Chocs climatiques. Pour gĂ©rer lâinĂ©vitable, pour Ă©viter lâingĂ©rable, nous avons devant nous un chantier qui est aussi un projet de sociĂ©tĂ©. Ce nâest pas tout Ă fait un choix : la crise climatique est lĂ . Mais ce nâest pas seulement une obligation. Cela peut ĂȘtre la voie non seulement pour ĂȘtre plus en sĂ©curitĂ©, mais aussi pour mieux vivre. (Le Soleil)
đŹ Espoir. Dans son livre "Hope Matters: Why Changing the Way We Think Is Critical to Solving the Environmental Crisis", Elin Kelsey, chercheuse en environnement, prĂ©sente des exemples de rĂ©silience Ă©cologique pour illustrer l'importance de l'espoir dans la conservation des Ă©cosystĂšmes cĂŽtiers et ocĂ©aniques. Elle s'oppose au fatalisme face Ă la crise environnementale et invite Ă remplacer la vision pessimiste par une argumentation factuelle qui renforce notre capacitĂ© Ă affronter les enjeux actuels. Elle souligne Ă©galement l'importance de la crĂ©ation d'aires marines protĂ©gĂ©es pour la restauration des Ă©cosystĂšmes marins. (Hakai)
đ DĂ©veloppement territorial. Repenser les relations villes-campagnes par Magali Talandier, 2023. Voici un manuel qui peut aisĂ©ment sortir de lâuniversitĂ© pour aller dans les foyers, les bureaux et les mairies. Câest un texte dense et trĂšs fluide qui permet de prendre du recul sur les enjeux de dĂ©veloppement territorial, et une bonne occasion de lutter contre les prĂ©jugĂ©s et les idĂ©es reçues colportĂ©es ici et lĂ . (Dunod)