⭐ Aligner les étoiles
Nous étions hier matin au 58 de la rue Mouzaïa, à Paris, à l’invitation de Patrick Rubin. Une belle occasion de visiter cet ancien bâtiment de bureaux de la Sécurité Sociale, construit par André Remondet et Claude Parent dans les années 1970. Il a été transformé récemment par Canal Architecture pour accueillir des logements étudiants, un espace de coworking, des ateliers d’artistes et un foyer de l’Armée du Salut. C’est le début de la nouvelle vie de ce bâtiment profondément remanié, mais qui garde son âme grâce à une intervention attentive au génie du lieu. Le bâtiment d’origine comme sa transformation méritent le détour. Nous prendrons le temps de vous raconter prochainement ce travail exceptionnel, mais c’est bien ça le problème : il fait exception. Pendant que ce bâtiment se refaisait une beauté, combien d’autres disparaissaient sous les coups des engins de déconstruction pour laisser la place à des produits neufs standardisés ?
C’est un alignement d’étoiles improbable qui a permis de prolonger la vie du 58 de la rue Mouzaïa. Car si ce bâtiment n’était pas classé, il était repéré et sa façade brutaliste ne pouvait laisser indifférent. Il a aussi l’intelligence d’un bâtiment bien conçu, sain et qui n’impose pas sa trame de voiles béton à tout nouveau futur. C’est aussi à un bailleur social conscient et consciencieux qu’est revenue la (lourde) charge de lui donner une seconde vie. Un bailleur qui a su se faire accompagner d’une équipe de maîtrise d’œuvre rompue à l’exercice (difficile) de la transformation. Mais ce fut quand même une aventure, entre les surprises cachées derrière des diagnostics toujours imparfaits, des contraintes réglementaires peu enclines à la discussion, des compromis nécessaires sur le programme, et bien sûr quelques surcoûts.
Nous ne pouvons pourtant plus jeter nos bâtiments comme des gobelets en plastique. L’exceptionnel doit devenir la norme, et la destruction l’exception. Parce qu’une part massive des bâtiments qui peuplent nos villes doivent muter en profondeur pour se décarboner. Parce que, faute de réhabilitations globales, une partie d’entre eux ne seront rapidement plus habitables au temps de l’énergie chère et des étés torrides. Par ce que démolir tout ça générerait des montagnes de déchets dont on ne saurait que faire. Par ce que tout reconstruire nécessiterait d’extraire plus de matériaux que ce que l’on a sous le coude, et émettrais plus de carbone qu’on ne peut se le permettre. Parce qu’on a de toute façon, nous n’avons pas le temps de tout recommencer, et que la ville est trop belle pour renoncer à la réparer.
Il y a bien entendu des méthodes et des outils pour s’engager dans une transformation massive de notre patrimoine et être au rendez-vous des crises du siècle. Mais ce qui ressort avec constance des échanges, c’est que certains projets de transformation associent à leur chevet l’intelligence d’une conception initiale qui laisse un avenir ouvert, avec la bienveillance d’acteurs qui s’engagent à lui en donner un. Des professionnels qui renoncent aux « c’est plus cher que le neuf », « c’est trop compliqué », « on va perdre de la SDP » pour affronter la complexité et s’engager dans l’aventure de la transformation. C’est la convergence d’investisseurs, de promoteurs, de bailleurs sociaux, d’architectes, de programmistes, d’ingénieurs et d’entreprises conscients et compétents. Les étoiles que nous devons apprendre à aligner.
— Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)
PS : Je serai à la Rencontre Nationale des SCOT à Besançon ce jeudi et vendredi. N'hésitez à venir discuter entre deux tables rondes !
Partons cette semaine au Japon, avec Camille Picard qui nous parle de vieillissement de la population et de l’habitat flexible au Japon et en France. Un habitat japonais autrefois adaptable et léger, désormais construit de béton et soumis à un rythme d'obsolescence rapide.
📆 Les 15, 16 et 17 juillet, l’association Hameaux Légers organise son 1er festival de l'habitat réversible et participatif "Les Palourdes". Venez profiter des conférences, ateliers, activités (dont une fresque de la ville) ainsi que des concerts en soirée. Il se déroulera sur le site de l’Escampette à Saffré (44). Un lieu écologique et conviviale! (Informations)
🎙️ Podcast. Vincent Béal est invité au micro de la Fabrique Urbaine pour discuter déclin, dévitalisation et décroissance urbaine. Des territoires français en déclin, mais de façon “modérée”, sans abandon complet de ville, comme cela a pu être le cas aux Etats-Unis. Bien sûr, Vincent Béal explique les liens avec la baisse des activités industrielles, mais met aussi l’accent sur les pertes de service public dans ces contrées. (La Fabrique Urbaine)
🚸 Disparition groupée. On est souvent surpris quand on croise des enfants dans la rue en pleine journée : “Ah oui, on est mercredi après-midi… Ah oui, ça doit être les vacances scolaires…”. On perd l’habitude de les voir dehors, libres. C’est ce que Clément Rivière, maître de conférences à l’Université de Lilles, appelle “la fabrication des enfants d’intérieur”. Et ce n’est pas tant lié aux écrans qu'à cette ville dessinée pour la voiture, dangereuse et polluée. Et si on multipliait les rues aux enfants, les dessins sur les trottoirs et autres réappropriations de l’espace public ? (Urbis le Mag)
🔀 Transformation radicale. Michèle Raunet, notaire, prend la plume pour nous rappeler l’urgence de transformer nos habitats : crise écologique, oui, mais aussi crise démographique ! Les 75-84 ans seront 6,1 millions en 2030, une croissance de 49% par rapport à 2020. 23 millions de logements sont concernés par la rénovation énergétique. Adapter ces logements implique une dépense globale de 690 milliards d’euros ! Une transformation massive qui va demander de la rapidité et de la finesse, tout en associant de nombreux acteurs, notamment, surprise, des particuliers. (Pavillon de l’Arsenal)
📖 Réinventer la ville, de Nicolas Ledoux (le cherche midi, 2022) Disons le tout de suite : on adore les dessins aux si belles couleurs de Benjamin Adam ! Ils donnent tout de suite envie de lire cet ouvrage. Nicolas Ledoux amène aussi beaucoup d'exemples internationaux et français, photos à l'appui, pour partager des expérimentations de cette ville du futur qui s'invente déjà sous nos yeux... Un chapitre riche sur la nature en ville, et un sur la ville frugale, notre dada. Pas sûr par contre qu'on puisse parler de JO frugaux, mais c'est tout un débat ! Un bel ouvrage qui synthétise les réflexions en cours sur nos villes.
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