đŸšïž La ville Ă  l’imparfait

đŸšïž La ville Ă  l’imparfait

Il y a plus de 20 ans, j’ai passĂ© quelques heures Ă  Ă©changer avec celui qui Ă©tait sans doute le dernier habitant du dernier bidonville de Marseille. Kahoul ThaĂŻeb avait 82 ans et sa « cabane » Ă©tait cernĂ©e par des logements sociaux tous neufs. Les habitants de la rue « Passe-Passe » avaient tous Ă©tĂ© relogĂ©s, et il ne restait plus que lui et sa bicoque sans eau courante. Alors que tout le quartier se lamentait sur l’ambiance perdue et les solidaritĂ©s qui s’effritent, lui rappelait la rĂ©alitĂ© crue de la vie dans un bidonville :

Moi : Les gens me disent « avant c’était mieux ! »
Lui : Non ! Quel mieux ? C’était des cabanes !
Moi : Ils me disent « on se voyait plus, c’était plus sympa comme ambiance »
Lui : Oui, mais les uns sur les autres. Qu’est-ce que c’est bien ? C’est pas bien ! Les cabanes, qu’est-ce que c’est ? Y a les cafards, y’a les punaises, y’a de tout dedans ! Les cabanes c’est pas bon !

Je n’ai pas suivi la suite de l’histoire de Kahoul ThaĂŻeb, mais la fin Ă©tait dĂ©jĂ  Ă©crite. J’espĂšre qu’il a fait attendre le projet urbain pendant de longues annĂ©es, avant de tirer sa rĂ©vĂ©rence. Et puis un tractopelle est venu faire disparaĂźtre sa cabane insalubre. C’était le dernier bidonville de Marseille, sans doute un des derniers en France mĂ©tropolitaine. Avant qu'ils ne reviennent.

Je me suis retrouvĂ© quelques annĂ©es aprĂšs Ă  arpenter les bidonvilles nichĂ©s dans les pentes escarpĂ©es de Mayotte. Un travail de terrain tout ce qu’il y a de plus concret, Ă  compter les cases, recenser les habitants, repĂ©rer les fosses sĂšches et construire des sanitaires et des logements en dur. Une course dĂ©sespĂ©rĂ©e aprĂšs la misĂšre, les marchands de sommeil, les maladies et les risques naturels. Une course perdue d’avance, mais qu’il faut Ă  tout prix mener.

Depuis, en France mĂ©tropolitaine, avec l’explosion des valeurs, les nouveaux mouvements migratoires et l’effondrement de certaines solidaritĂ©s, les bidonvilles sont revenus. Ils sont revenus avec toutes les autres facettes du mal-logement qui prennent aussi de l’ampleur : squats, personnes Ă  la rue, camps de caravanes, logements insalubres
 Pour faire disparaĂźtre ces situations insupportables, encore faut-il accepter de les voir. À coup d’expulsions, de dispersions et de logements d’urgence, nous masquons le problĂšme au lieu de le rĂ©soudre. Nous refusons de voir la ville imparfaite, de travailler avec ses dĂ©fauts au lieu de la policer systĂ©matiquement. Il faudrait enfin admettre que l’intervention urbaine ne vise pas Ă  crĂ©er la ville parfaite, finie, mais Ă  accompagner un processus, le guider, l’amĂ©liorer. Elle doit ĂȘtre Ă  l’écoute du rĂ©el, de ce qu’est la ville et non pas de ce qu’elle devrait ĂȘtre.

Car les solutions au mal-logement existent pourtant. Elles passent par le partage de constats objectifs d’une situation encore dĂ©gradĂ©e par la pandĂ©mie, l’investissement massif dans le logement social et les dispositifs d’accompagnement des plus fragiles, mais surtout par une prioritĂ© donnĂ©e au logement inconditionnel. Loger d’abord, tout le monde, accompagner ensuite.

La vie de millions de Français.es est bien loin des images feutrĂ©es des #Ă©coquartiers ou des #smartcities. C’est important, c’est essentiel, c’est l’essentiel. C’est pour cela que nous donnons cette semaine la parole Ă  Christophe Robert de la Fondation AbbĂ© Pierre, qui affronte depuis des dĂ©cennies ces rĂ©alitĂ©s. C’est aussi pour cela que nous avons donnĂ© 1 % de notre chiffre d’affaires Ă  la Fondation, et vous pouvez faire de mĂȘme.

— Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)

PS : Grande nouvelle, nous relançons la vente des jeux de la Fresque de la Ville avec un nouveau tirage (par lots de 3 et lots de 10), dans la limite des stocks disponibles. A vos fresques !

La fondation AbbĂ© Pierre est engagĂ©e dans l’accĂšs au logement pour tous. Elle prend notamment la parole dans le dĂ©bat public en publiant tous les ans un rapport sur le mal-logement, dont la parution de la 27Ăšme Ă©dition rappelle l’immensitĂ© des besoins. Retrouvez l'Ă©change que nous avons eu avec Christophe Robert, le directeur gĂ©nĂ©ral de la Fondation.

đŸ—“ïž Jeudi 7 juillet Ă  Lyon, venez assister Ă  la confĂ©rence d'Alexandre Monnin sur "La redirection Ă©cologique, mĂ©thode de transformation de nos territoires ?" animĂ©e par Sylvain. (Grande Porte des Alpes)

📐 De la capacitĂ© d’une institution Ă  agir. Entretien avec Christine Leconte, prĂ©sidente de l’Ordre des Architectes, qui plaide pour que l’habitat soit d’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et non un produit financier. La profession d’architecte a besoin de revenir au cƓur de la vie publique pour fabriquer une nouvelle culture de l’habiter.

Je considĂšre l’acte d’architecture comme une maniĂšre de spatialiser la dĂ©mocratie. Notre rĂŽle aujourd’hui est donc de trouver notre juste place, non au-dessus des autres mais Ă  leurs cĂŽtĂ©s dans une forme d’agora.

D’ailleurs, elle a Ă©crit un petit livre avec Sylvain ! (Topophile)

🏡 SociabilitĂ©s pĂ©riurbaines. Les banlieues, c’est pauvre, c’est triste, et il n’y a que des bagnoles. Et si on sortait un peu des clichĂ©s ? Bien sĂ»r que l’impact Ă©cologique de ce mode d’habiter est grand, mais cela existe. Il nous faut donc maintenant faire avec et encourager les sociabilitĂ©s qui s’y dĂ©veloppent. Des transports en commun, des commerces, de la centralitĂ©, des jardins potagers, une maison en plus sur une grande parcelle... Les pĂ©riurbains peuvent ĂȘtre les lieux de tout ça. (Usbek & Rica)

🧬 L’ùre pĂ©nurique. La question Ă©nergĂ©tique et la sortie du fossile ne sont qu’une des facettes des redirections Ă  mener. Olivier Hamant, avec lequel nous avions eu un bel Ă©change il y a quelques mois, nous rappelle dans cette tribune l’importance de la crise qui touche la biodiversitĂ© et les perturbations des cycles de l’azote et du phosphore. Il tisse aussi des pistes d’action toujours inspirĂ©es du vivant, entre collaboration et dĂ©centralisation. (Le Monde)

📖 Les fables du Belon, d’Alexis Fichet (2022, Editions ApogĂ©e) Un petit livre de fables, ces histoires enfantines qui font rĂ©flĂ©chir les adultes, tirĂ© de rencontres, marches et discussions autour du Belon, une riviĂšre bretonne. La poĂ©sie est douce, parfois comique, souvent grinçante, et invite Ă  un regard plus humble sur notre environnement. Traduction en breton incluse. Et l’éditeur est l’un de nos favoris ;)

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) Mais d’autres annĂ©es passent : un couple parisien / Tombe amoureux du lieu et de son charme ancien. / Ils aiment la rĂ©gion et l’air de la mer, / Ils feront du moulin leur maison secondaire. / Ils feront la toiture, rĂ©novent les vieux murs, / Installent le wifi et des spots Ă©clairants. / Et comme ils ne viendront que quelques jours par an, / Sur tout le pĂ©rimĂštre, ils plantent des clĂŽtures. / Le domaine est privĂ©, on ne s’y salue plus. / FermĂ© comme une coque, interdit aux passants, / Son nom est sur la carte mais il n’existe plus. / Ainsi peut disparaĂźtre un morceau du prĂ©sent. / Le martin est restĂ©, il parcourt le terrain, / PĂȘche quelques vairons, et salue les mĂ©sanges. / PropriĂ©tĂ© privĂ©e, cela ne lui dit rien,  / Il ne fait pas de bruit, et passe comme un ange.

dixit.net est une agence de conseil et de recherche urbaine. Tous les mercredis, nous décryptons les grands enjeux de la ville et de ses transitions. Si vous la lisez pour la premiÚre fois, c'est le moment de vous abonner à cette newsletter.

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