Quand la métropole déborde
Et si nos métropoles administratives n’étaient pas à l’échelle des enjeux métropolitains ?
Et si nos métropoles administratives n’étaient pas à l’échelle des enjeux métropolitains ? Alors que la lutte contre l’étalement urbain est un objectif des documents d’urbanisme depuis deux décennies, la dynamique d’artificialisation des sols autour des métropoles questionne l’efficacité des cadres réglementaires existants. Cette planche analyse la situation dans l’aire urbaine nantaise en y questionnant les effets du périmètre de Nantes Métropole en matière d’artificialisation des sols.
Une dynamique démographique métropolitaine qui accélère l'étalement urbain
Le concept d’artificialisation des sols est polysémique, mais les définitions réglementaires l’associent aujourd’hui au changement d’usage de sols passant du statut d’espace naturel, agricole ou forestier à des usages urbains. C’est donc un processus synonyme d’urbanisation qui peut prendre des formes très diverses, mais aux impacts toujours significatifs : réduction des surfaces agricoles, atteinte aux milieux naturels, intensification des mobilités carbonées , ségrégations socio-spatiales ... Objectif central de tout un arsenal législatif, la lutte contre l’artificialisation des sols repose sur des données issues des fichiers cadastraux et récemment devenues accessibles, qui permettent de constater l’ambleur du phénomène tant à l’échelle nationale (environ 30 000 hectares artificialisés chaque année, soit une surface équivalente à une vingtaine d’aéroports Notre-Dame des Landes), qu’à des échelles territoriales plus fines.
Ainsi, à Nantes, la dynamique d’artificialisation dépasse les frontières de la métropole (administrative) et ses 24 communes (645 000 habitants) et transforme le territoire beaucoup plus vaste de la métropole vécue, composé des 108 communes de l’aire urbaine (960 000 habitants). Cette dynamique est portée par une forte croissance de la population, l’une des plus importantes des aires urbaines françaises, croissance majoritairement tirée par le solde migratoire, avec 7 500 nouveaux arrivants par an.
Des modalités d'artificialisation des sols très contrastées dans l'aire urbaine
Ce dynamisme démographique induit mécaniquement la création de logements à l’origine des trois quarts de l’artificialisation des sols, et génère sur la période 2011-2016 un rythme d’artificialisation très proche entre la métropole (hors Nantes) et le reste de l’aire urbaine, avec respectivement 0,51 % et 0,44 % de la surface du territoire (figure 1). La commune de Nantes fait exception, avec un rythme de 0,12 % seulement, du fait sans doute de la rareté de foncier disponible.
Ces rythmes d’artificialisation très proches entre Nantes Métropole (hors commune de Nantes) et la couronne périurbaine masquent cependant de très fortes disparités en termes d’intensité d’artificialisation. La consommation foncière par nouveau ménage est en effet nettement plus faible dans la métropole (hors Nantes), avec 162 m², contre 1 233 m² dans le reste de l’aire urbaine, soit près de huit fois plus. La cartographie permet de constater par ailleurs des phénomènes plus complexes (figure 2).
Les effets très marqués des frontières administratives sur l'artificialisation
Alors que l’on pourrait s’attendre à un gradient d’intensité croissante d’artificialisation à mesure que l’on s’éloigne de Nantes, on constate au contraire que la frontière administrative de la Métropole génère un effet de seuil très marqué. On peut alors faire l’hypothèse que cet écart est lié à une forte prévalence, en dehors de la Métropole, de l’extension urbaine (au lieu de renouveler des espaces déjà artificialisés) et du logement individuel diffus (contre des formes urbaines plus denses). Mais les surprises ne s’arrêtent pas là : ce n’est pas non plus dans les communes les plus rurales, pourtant moins contraintes par le coût ou la disponibilité du foncier, que l’intensité de l’artificialisation est la plus forte, mais bien dans les communes limitrophes de la métropole. Ce constat ne peut s’expliquer par des différences de formes urbaines, l’habitat individuel étant généralisé sur tous ces territoires . Ce sont donc des choix d’aménagement dispendieux en sols qui sont volontairement mis en œuvre dans ces communes.
Le constat de la faible intensité de l’artificialisation à Nantes Métropole montre donc la capacité des documents d’urbanisme (ici le PLUi métropolitain) à réguler concrètement l’étalement urbain. Mais la surintensité de cette artificialisation dans les communes limitrophes montre aussi que la croissance démographique génère une accélération de l’étalement urbain juste au-delà des frontières administratives de la métropole, dans des territoires où les différents PLU et SCoT censés réguler ce phénomène sont manifestement impuissants. Ce phénomène révèle l’incapacité de la métropole à loger tous les siens (et notamment les familles), mais aussi les impacts des politiques d’attractivité que mènent les communes proches pour les attirer, en proposant notamment des lotissements de faible densité.
Il est certainement nécessaire que le territoire se dote (enfin) d’un outil de régulation à l’échelle de la métropole réelle, permettant d’endiguer les concurrences territoriales et de garantir que chacun joue son rôle dans une stratégie globale de développement frugale en sols.
Sylvain Grisot, 2021 : « Quand la métropole déborde », in Atlas Social de la métropole nantaise [En ligne], ISSN : en cours, mis à jour le : 07/01/2021, URL : http://asmn.univ-nantes.fr/index.php?id=514, DOI: en attente.