Le sol comme ressource

A Strasbourg, l'aménageur SPL Deux Rives porte un projet innovant de recyclage des terres polluées sur site. Dans une démarche d'économie circulaire et de sobriété en sol, l'opération Valozac participe à refaire la ville sur elle-même d'une manière la plus vertueuse possible.

Le sol comme ressource

Située à l'est de la métropole de Strasbourg, faisant face à la rive allemande du Rhin, la ZAC des Deux-Rives est une opération de renouvellement urbain sur d’anciennes friches industrialo-portuaires. Elle est située à proximité du Port Autonome de Strasbourg, le deuxième plus grand port fluvial de France. Cette opération d’aménagement multisites s’étend sur quatre quartiers, ce qui représente 74 hectares dont 43 hectares d’aménagement et de construction. Esther Chevalier est chargée de l’opération Valozac pour la SPL Deux-Rives, elle nous raconte cette démarche.

L’objectif du projet Valozac est de traiter et de recycler sur place les 266 000 m3 de terres contaminées et/ou rendues stériles par les activités industrielles passées du site. Tout en refaisant la ville sur la ville, par la reconversion de friches industrielles, le projet porte un objectif ambitieux de revalorisation des terres. En recyclant des terres directement sur place, l’opération évite ainsi de nombreux allers-retours en camion pour transporter les terres polluées afin qu’elles soient traitées en dehors du site, mais également le prélèvement de terres agricoles extérieures vers le site de l’opération pour les nouveaux aménagements. C'est notamment par l'ampleur du projet que ce dispositif est rendu pertinent.

On a effectivement un grand territoire de projet, et donc on a énormément de terres à traiter, avec des pollutions différentes liées aux anciennes occupations industrielles. L'enjeu, c'est d’arriver à traiter toutes ces terres à une si grande échelle. On s'est alors rendu compte que ce n'était pas forcément possible de le faire en traitement conventionnel localement. Notamment parce qu'on a des coûts de transport qui sont assez importants pour excaver les terres, les mettre en camion et les transporter au centre de tri conventionné. A partir de cette contrainte-là, à la fois des coûts de transport et des coûts de dépollution qui sont particulièrement élevés dans un bilan d'opération, on s'est dit qu’on allait essayer de traiter directement sur place.  Cela a été permis par les ressources propres du projet. On est sur un projet qui va s'étendre dans le temps, sur plus d'une quinzaine d'années, et en plus sur un grand espace. Cela nous permet d'installer des plateformes de traitement directement sur les terrains de la ZAC.

– Esther Chevalier, chargée de l'opération Valozac

Vue aérienne des quartiers Citadelle et Starlette - crédits : ISENMAN ADEUS

Cette démarche d’économie circulaire, d’une ampleur inédite, s’est développée en deux temps. D’abord un diagnostic des sols, qui a permis d’envisager la réutilisation des sols de bonne qualité directement sur le site, mais aussi de proposer à la vente ces terres saines. Ensuite, l’organisation des process de mise en état sanitaire des terres et leur réutilisation sur place.

Par cette approche globale, on ne va plus seulement considérer les terres polluées en tant que telles, mais le sol comme une ressource générale du projet.

Pour traiter l’ensemble de ces sols, trois plateformes de valorisation ont été conçues sur la ZAC, chacune adaptée aux traitements nécessaires et aux besoins de réemplois des terres. Une première plateforme, MECS (mise en compatibilité sanitaire), utilise une technique de désorption thermique qui consiste à chauffer à haute température les terres.

On récupère les terres polluées, on les forme en andain (pile d'environ 1 500 m3) et à l'intérieur, on insère des tubes de chauffe. Chauffées au gaz de ville, les piles vont monter à très haute température, c'est à dire à plusieurs centaines de degrés. Les polluants vont ainsi se désorber et s'extraire des terres. Ensuite, une fois que ces terres ont été chauffées et qu'on a atteint des niveaux satisfaisants du point de vue de la mise en état sanitaire, on va défaire cette pile, en cassant le sarcophage en béton sous lequel elles étaient. On refroidit alors la pile et on récupère ces terres pour les réutiliser en matériaux de remblais généraux : en structure de voirie ou sur des plateformes opérateurs qui n'ont pas forcément d'usage sensible, comme les logements ou les écoles. On applique un principe de précaution dans le réemploi de ces terres-là.
Vue sur une pile de désorption avec sarcophage béton et brûleurs gaz - Crédits SPL Deux Rives

La seconde plateforme de valorisation est une plateforme nommée « Tech » de valorisation géotechnique. Les matériaux issus des démolitions ou des déblais, qui n’ont pas besoin d’être mis en état sanitaire parce qu’ils ne présentent pas de problématiques de pollution, sont récupérés pour être traités sur site.

On utilise une première méthode de criblage qui consiste à récupérer les matériaux, à les passer dans une espèce d'énorme godet rotatif. Ce qui permet de séparer les matériaux fins, comme les sables, des matériaux un peu plus gros comme les blocs et les graviers. La deuxième technique est celle du concassage : on va venir réduire en matériaux extrêmement fins les matériaux agglomérés du type béton, par exemple. Ces matériaux-là, une fois qu'on a les a traités, ils vont être réutilisés en travaux de terrassement comme des remblais généraux.
Plateforme géotechnique - crédits Vincent Muller

Enfin, la troisième plateforme, celle de revalorisation agronomique, permet d'éviter d'aller chercher des terres végétales en dehors des villes. Les sols limoneux de la ZAC ont été rendus stériles par des années de confinement sous les remblais généraux et par suite des occupations industrielles. L'opération permet donc de refertiliser ces matériaux sains pour pouvoir les utiliser dans les espaces verts de la ZAC.

L'ensemble de ces traitements nécessite cependant de l'espace et du temps. La gestion et la coordination de l'opération est donc un défi complexe pour Valozac. Il a fallu anticiper les besoins en terres végétales, comptabiliser les terres à traiter et à mettre en état sanitaire. Cet enjeu de coordination est également crucial dans le cadre des interactions entre les différents acteurs. Ce projet innovant nécessite une acculturation des différentes parties prenantes, les maîtrise d'œuvres et les entreprises impliquées. Il amène chacun à repenser ses pratiques et ses manières de faire, mais également à revoir les temporalités du projet et ses phasages.

Le projet Valozac de la SPL Deux Rives invite à repenser l'aménagement et nos manières de refaire la ville. En minimisant à la fois l'extraction des terres agricoles pour nourrir les nouveaux aménagements d'un côté, et en limitant les trajets pour le traitement des terres polluées de l'autre, le projet Valozac agit sur l'ensemble du flux de matière.

Marine Frantz et Frédérique Triballeau · dixit.net · septembre 2021

Pour aller plus loin :

  • Le site de la SPL Deux Rives et une vidéo synthétique du projet de valorisation des sols.
  • Le projet Lyon Confluence, un autre exemple de valorisation agronomique.
  • Un entretien avec Magali Castex, pilote du projet Cycle Terre (2021), qui réemploi les terres excavées du Grand Paris.