Renaturation en action

Visite guidée de l'île du Ramier avec Guillaume Cantagrel et Thélème Auzonne. Une démarche expérimentale de renaturation de sols et d'ouverture au public qui s'inscrit dans le projet de Grand Parc Garonne.

Renaturation en action
Photo by Marion P / Unsplash

Centre de production de poudre à canon au XIXe siècle, puis complexe chimique de fabrication d'engrais dans les années 1940, et enfin, Parc des expositions dans les années 1960, l'île du Ramier, au cœur de la ville de Toulouse, a connu changements et aménagements à n'en plus compter. Aujourd'hui, qu'en est-il ? Un chapelet de 5 îlots, reliés entre eux par des canaux, fragmenté, saturé d'équipements et de parkings, qui a pour ambition de devenir le futur "poumon vert" de Toulouse à l'horizon 2030.  Un grand parc ouvert au public, laissant place à une nature réinstallée. Le projet, inscrit dans le plan Grand Parc Garonne, a attiré notre attention, on vous explique pourquoi dans une visite guidée avec Guillaume Cantagrel, directeur du programme Grand Parc Garonne et Thélème Auzonne, chef de projet LIFE Green Heart de l'UE (disponible en podcast).

Renaturer en métropole.

La transformation de l'île du Ramier en un vaste parc urbain est l'un des trois volet d'un plus grand projet de renaturation ; Le Grand Parc Garonne. Sur une étendue de 32 km, il concerne 7 communes et vise à reconquérir les bords du fleuve pour faire de la Garonne le lien fédérateur de la Métropole. Ce projet global de renaturation des rives du fleuve va durer 5 ans, pour un budget de 3,8 millions d'euros selon Toulouse métropole, dont une petite partie sera est financé par le programme de l'Union Européenne LIFE Green Heart.

Depuis le transfert du Parc des expositions depuis l'île du Ramier vers nord de Toulouse en 2020, de nouvelles perspectives de reconquête de ce terrain ont germé, car 10 hectars d'espaces ont été libéré. Et avec eux le désir d'un vaste poumon vert au cœur de la métropole, et une restauration de la biodiversité (Toulouse Métropole). La débitumisation de son ancien parking est impressionnante. Des halles ont été entièrement démolies dans le cadre de la recomposition de l'île et de la feuille de route "Economie circulaire 2020-30" de Toulouse Métropole, ainsi que son Plan Climat 2018-23.

"A l’origine, c'était un ensemble de neuf halls, un conglomérat qui s'était rajouté depuis les années 1950 les uns à côté des autres et qui occupait une dizaine d'hectares sur le nord de l'île du Ramier en proximité directe du centre-ville avec un parking attenant d'environ 400 places. Cette emprise est en cours de débitumisation et de reverdissement."

— Guillaume Cantagrel, directeur du programme Grand Parc Garonne

Cela fait beaucoup de bitume à enlever, pour retrouver un sol devenu stérile depuis 70 ans. Pour ce faire, les acteurs ont transporté 10 000m3 de terre mélangée à du compost issue d'un terrain de foot voisin, dans un souci de circuit court, pour créer une première parcelle de prairie au printemps 2021. On y étudie depuis la reprise de la biodiversité et des micro-organismes, avec pour objectif de réaliser les mêmes travaux sur le reste de l'île.

On restaure des sols, on rapproche le fleuve de la ville et de son cœur en rouvrant les espaces, mais ce n'est pas si simple que ça.

Source : PPRI de l'île du Ramier

Un terrain qui bascule complétement d'usages

L'île du Ramier, on l'a vu, possède un passif historique très fort. Passif que les maîtres d'œuvres tiennent à garder en mémoire, tout en transformant l'espace en lieux culturel, de sport et de loisirs... C'est ainsi que des installations nautiques datant des années 1930 reprennent vie, un terrain de foot se réimpose, un ancien salon agricole se transforme en structure de sport urbain "indoor", afin de répondre à une demande croissante.

C'est aussi l'occasion de reconstituer le "Parc Toulousain" que l'île abritait il y a 100 ans, dont les grandes allées ombragées et le kiosque à musique faisaient le bonheur des habitants. Seul ArianeGroup, implanté au sud de l'île ne sera pas atteint par les travaux de rénovation.

"Désimperméabilisation, renaturation... C'est, en plus du programme Européen, une opération laboratoire pour Toulouse. Un exemple qui préfigure la logique de Zéro Artificialisation Nette et comment on renouvelle la ville, avec ici un enjeu de retrouver plus de place pour les écoulements de l'eau, réduire la vulnérabilité liée aux crues, et retrouver des espaces de fraîcheur en centre-ville. Sur cette zone de plus de 10 hectares, c'est une véritable opération de mutation en quelques années. Nous utilisons d’ailleurs les capteurs météo et des comptages de retour de biodiversité. Cette opération de renaturation sur trois ou quatre ans va être significative pour Toulouse."

— Guillaume Cantagrel directeur du programme Grand Parc Garonne

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crédit : dixit.net

Un terrain ainsi autrefois étouffé qui bascule complètement d'usages, et devient une perspective de reconquête de la nature, et d'activités sportives et culturelles. Toulouse Métropole a pour ambition de réduire localement la température de 3°C sur l’île du Ramier et d’apporter un rafraîchissement dans les quartiers alentours, pour un territoire qui s'adapte au changement climatique.

L'île était depuis les années 60 dévolue à la voiture. On avait adapté l'île à la voiture, aux grandes girations. On a les boucles d'échangeurs quasiment autoroutières pour l'accès à l'île et tout ça va être réduit, on va gommer ce côté routier pour créer des nouvelles passerelles et aménager des espaces piétonniers plus confortables.

— Guillaume Cantagrel directeur du programme Grand Parc Garonne

Lauréate du concourt photo de Toulouse Métropole : un regard sur l'île du Ramier / source : Site Toulouse Métropole, 2021

Un projet au cœur de la ville

Située à quelques centaines de mètres de la place du Capitole, l'île relie les axes du centre-ville. Autrement dit, la question de la mobilité est au cœur de la discussion. Comment basculer d'un espace entièrement dédié à la voiture depuis les années 1960 à un espace ouvert, vert et public ?

Le foncier de l'île appartient à la ville de Toulouse Métropole, mis à part les berges qui sont au domaine public fluvial. L'ancien espace occupé par la Société Nationale des poudres et explosifs (SNPE) , autrefois fermement  implantée sur l'île, a pu être divisé, réorganisé et ouvert au public.

Source : Toulouse Métropole

Qui pilote tout ça ?

Là où ce projet est innovant, c'est dans sa gestion interne. En effet, une entité dédiée au projet a été créée au sein de la métropole. Il n'y a donc aucune délégation de la maîtrise d'ouvrage. Deux services principaux, composés de la direction d'aménagement et d'un groupe d'ingénieurs et techniciens forment ce comité bicéphale, en constant dialogue et expérimentation.

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credit : dixit.net

A cela s'ajoute bien sûr l'appui de maîtres d'œuvres externes, et de l'agence TER. Mais Toulouse métropole possède déjà un corps d'experts et des groupes de directions, espaces verts, infrastructures, énergies, qui viennent aiguiller les chantiers.

L'avantage ? Une efficacité et une rapidité d'exécution, ainsi qu'une garantie de cohérence du projet, de signalétique patrimoniale, des matériaux de cheminement et des logiques de continuité.

On essaye de tout croiser et d'avancer le plus intelligemment possible dans nos choix. On sollicite aussi les associations sur leur expertise d'usage parce qu'ils seront directement à quelques centaines de mètres du site et ils vont le pratiquer, pour discuter des usages vertueux, des usages possibles.

— Guillaume Cantagrel directeur du programme Grand Parc Garonne

Ensuite, le maître d'œuvre se munie d'un expert, ici le bureau d'étude Hekladonia, spécialisé en restauration des sols et de la biodiversité. Elle s'adresse aussi à une AMO, ici Valorhiz (Végétalisation, Bio-Technosols, Agriculture et Sols impactés), anciens chercheurs de l'INRAE de Montpellier.

Une phase de test

Le concept mis en avant ici est le préverdissement, soit ne pas laisser les sols à nu après la déimperméabilisation. 12 parcelles de test sont prévues, 6 sont déjà implantées, et 6 autres sont en cours, plus à destinations pédagogique cette fois.

Ces parcelles servent une expérimentation scientifique, car on se sait pas encore exactement comment désimperméabiliser 10 hectares de futurs jardins. Alors on expérimente. Chaque parcelle est dédiée à une expérience différente : une prairie par ici, un sol méditerranée par là...

"On va parfois tester des micro-organismes pour redynamiser les sols. On teste plusieurs démarches pour décompacter les sols. 12 parcelles sont en tests, soit 12 modalités différentes avec trois types de végétation qu'il y aura à l'avenir sur le parc. Une première qu'on a appelé prairie ornementale, une deuxième plus champêtre, et une troisième multi-strate méditerranéen, arbustif et arboré. On est dans une approche d'adaptation au changement climatique. On choisit des essences qui vont être durables aussi dans un climat qui se réchauffe."

—  Thélème Auzonne, Chef de projet LIFE Green Heart de l'UE

Une démarche scientifique à la technique pas encore maîtrisée

Un volet important de recherches scientifiques est nécessaire pour réactiver des sols, étouffés sous le béton pendant 70, 80 ans. Les données scientifiques sont encore insuffisantes pour répondre à ces questions. Un dialogue transopérationel est donc de mise. Avec des techniques qui prévoient d'être déployées sur 3 ans, et une ouverture officielle du site dans 1 an et demi, il s'agit de minimiser les erreurs.

On croise plusieurs modalités, par exemple décompactions des sols, apport de terre végétale qu'on mélange avec du compost, qu'on fait du paillage. On peut aussi inoculer des micro-organismes pour accélérer cette activation biologique. Il y a tout un tas en fait de méthodes qu'on croise, et chaque modalité teste un petit cocktail de méthodes.

— Thélème Auzonne, directeur du programme LIFE Green Heart de l'UE

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credit : dixit.net

Les experts sollicités, l'AMO, mais aussi des maîtres d'œuvre externes, Parisiens Paysagistes, Biotope, ainsi qu'une multitude d'associations permet de construire un dialogue suffisamment nourri pour atteindre un "point d'équilibre" et répondre aux questions telles que "comment va se comporter le parc dans le futur?". Il faut compter sur la transmission et le partage de bonnes pratiques par d'autres villes européennes, comme Dusseldorf en Allemagne ou Lisbonne au Portugal, ouverture permise par le programme LIFE.

"C'est toute la complexité du métier d'urbanisme et d'aménagement, et on essaye de minimiser ces erreurs. Ça ne veut pas dire qu'on réussira sur tout, mais en croisant et en étant dans l'interface de tous ces métiers, on essaye de trouver les bons points d'équilibre."

— Guillaume Cantagrel

En effet, il n'y pas de solution unique, et donc un besoin de dialogue, comme sur tout projet de cette ampleur. Il faut aussi jouer avec les contraintes : limites budgétaire, volonté d'une démarche en économie circulaire, limiter des imports et exports de matériaux, etc...

Ainsi, Toulouse Métropole a pour ambition d'être "une vitrine, un laboratoire" à solutions. La pression sur le projet vient aussi des enjeux politiques et culturels d'aménagement qui vont avec. Il s'agit bien sûr de pérenniser le tout auprès des habitants, qu'ils se saisissent réellement du projet.

Un plus grand projet

Rappelons le, l'île du Ramier, pour citer notre intervenant, n'est qu'"un maillon de la chaîne du projet Grand Parc Garonne". Ce dernier permettra de voir la ville du point de vue du fleuve, soit faire le lien avec toutes les villes concernées d'amont en aval. Les risque d'inondation, avec notamment la crue trentenalle dans la région tire la sonnette d'alarme pour intervenir plus que jamais sur les sols bétonnés, bitumés, et une nécessité de renaturer, reverdire, réouvrir.

"C'est ici la séquence insulaire de l'île du Ramier. Il y a aussi une séquence très patrimoniale, celle du centre-ville avec ce qu'on appelle les ports historiques de la Daurade et de Viguerie.  L'idée, c'est que tout ça forme un tout, qu'il y ai l'unité de lien d'un grand parc urbain."

— Guillaume Cantagrel

Cette séquence insulaire est donc à mettre en relation avec le projet global du Grand Parc Garonne, où chaque projet vient complêter les autres.

Phases de test, recherches, applications et réinvention, les installations qui luttent contre l'artificialisation des sols ouvrent une voie non négligeable pour penser et construire la ville de demain, dont 80% est déjà là.

Marine Meunier · dixit.net · Avril 2022

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