Un avant et un après

Postface de la nouvelle édition du Manifeste pour un urbanisme circulaire, par le député Jean-Luc Lagleize.

Un avant et un après

Jean-Luc Lagleize est député de la deuxième circonscription de la Haute-Garonne depuis juin 2017. Engagé depuis 30 ans dans la vie civique et citoyenne, il a exercé plusieurs mandats locaux à Muret puis à Toulouse, avant d’être élu à l’Assemblée nationale. Membre de la Commission des affaires économiques, compétentes sur les sujets liés à l’urbanisme et au logement, il est particulièrement actif sur ces sujets et a été missionné en 2019 par le Premier ministre sur la thématique de la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction. Son rapport, remis au Gouvernement en novembre 2019, a été salué par la profession et a débouché sur l’adoption à l’unanimité par l’Assemblée nationale d’une proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français.


J’ai lu le « Manifeste pour un urbanisme circulaire » de Sylvain Grisot avant la crise sanitaire qui a frappé notre pays et le monde entier en ce printemps 2020. J’ai été profondément touché tout au long de ma lecture : j’avais enfin sous mes yeux la démonstration limpide de tout ce que je ressentais intérieurement depuis plusieurs années sans être arrivé à le formuler aussi clairement.

En tant qu’ancien adjoint au Maire de Toulouse en charge des Cœurs de Quartier, et Président de la commission Aménagement et Politique foncière de la 4e métropole de France, j’ai pu mesurer au quotidien pendant plusieurs années l’emballement des acteurs de l’immobilier et la frénésie pour la construction de logements neufs sur des terrains nus. Le plus souvent d’ailleurs sur d’anciennes terres maraichères, ou du moins sur des terres qui avaient un usage agricole il y a encore quelques années. Bien entendu, ces usages ont contribué de manière non négligeable à l’étalement urbain au fil des années. Et à l’usage forcément individuel des moyens de déplacement polluants puisque la densité de population n’était pas en rapport avec la densité des transports collectifs.

Face à ces pratiques d’un autre temps, je me suis toujours interrogé sur les paradoxes émergeant de ces situations :

  • Comment pouvons-nous continuer à artificialiser de nouveaux sols en périphérie de nos métropoles alors que ces dernières regorgent de logements vides, certes parfois vétustes et mal adaptés aux besoins et aux standards d’aujourd’hui ?
  • Comment pouvons-nous accepter que d’autres zones, rurales ou en déprise, voient leur population régulièrement décroitre et constatent pourtant en parallèle que leur surface urbanisée continue à augmenter inexorablement ?
  • À l’heure où notre territoire se couvre de friches, qu’elles soient industrielles, commerciales, administratives, militaires, ou même d’habitats, comment pouvons-nous continuer à construire sans cesse, pour des besoins nouveaux à peine cernés et parfois mal pensés ?

Alors que la matière foncière n’est pas inépuisable et qu’elle est donc une ressource non durable, c’est aujourd’hui un immense gâchis que de ne concevoir un programme que pour un usage unique, sans déjà penser à sa transformation et à son recyclage futurs. Quel orgueil de se dire que l’on conçoit une construction définitive alors qu’elle répond uniquement aux besoins d’aujourd’hui. Et éventuellement de demain matin.

Comme le démontre Sylvain Grisot dans cet ouvrage, tous les voyants aujourd’hui au rouge nous invitent à dépasser ce modèle de développement urbain inefficace fondé l’étalement urbain et les mobilités pendulaires individuelles.

Ce constat, je le partage entièrement, car j’ai pu en faire l’expérience tout au long de ma mission sur la thématique de la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction commanditée par le Premier ministre au cours de l’année 2019. Dans mon rapport, j’ai d’ailleurs proposé des recommandations fortes et variées, notamment pour inciter à la surélévation des bâtiments et pour réhabiliter et valoriser les friches des zones tendues. L’accueil favorable de ces propositions par les professionnels et les élus locaux m’a par la suite poussé à rédiger dans la foulée une proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale.

Il est vrai qu’au cours de cet exercice au cours duquel je me suis entretenu avec l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur de l’immobilier et du logement, j’ai pu mesurer que les responsabilités étaient multiples : la faute au système, aux habitudes, à la facilité. C’est cela que nous devons changer définitivement, notamment en sensibilisant les acteurs principaux de l’acte de construire que sont les élus locaux. Ces derniers doivent résister aux pressions contradictoires d’un agriculteur souhaitant voir son champ classé « constructible » pour que sa vente lui offre une retraite plus confortable, la volonté d’attirer de nouveaux habitants pour éviter de voir fermer une école ou un établissement recevant du public, et des méthodologies de réalisation des documents d’urbanisme de plus en plus rigides et inefficaces.

Malgré les contraintes et les difficultés qui peuvent exister, quelques signaux prouvent que notre pays sait se dépasser quand urgence il y a. Parmi les éclaircies qui émergent dans cette France normative et administrative figure par exemple la construction du village olympique et paralympique dans le nord de Paris en prévision des Jeux olympiques d'été de 2024. En effet, j’ai eu le plaisir en tant que député de voter en 2018 une loi relative à l'organisation de ces Jeux, qui autorise l’instruction de permis de construire « réversibles », c’est-à-dire prévoyant un deuxième usage après les compétitions sportives, sans avoir à déposer de nouveaux permis ! C’est une première étape à saluer, même si elle ne concerne pour le moment que ce secteur géographique bien localisé et seulement deux usages successifs.

Nous devons évidemment aller beaucoup plus loin et accroître notre ambition collective si nous souhaitons stopper la consommation de terres agricoles, diminuer les pollutions et les coûts prohibitifs de nos villes, qui, en s’étalant, ont aussi perdu en proximité, en vie de quartier et donc en cohésion sociale comme l’a si bien démontré la crise des « gilets jaunes ».

Et puis, suite à cette première alerte sociale, nous avons vécu un confinement de presque deux mois afin de faire face à l’épidémie de Covid-19 ! Cette crise inédite a rebattu en profondeur les cartes de nos politiques publiques.

Certains urbains ont par exemple quitté la ville pour la campagne, dans la famille ou dans leur résidence secondaire pour les plus fortunés d’entre eux. D’autres n’ont pas eu d’autre choix que de rester dans leur appartement, souvent trop petit pour accueillir si longtemps tant de personnes, avec tant d’usages différents.

Cette période aura eu l’avantage de nous obliger à dépasser nos croyances, à envisager d’autres modes de travail, d’autres modes de loisirs, d’autres modes de déplacement, d’autres modes d’organisation et de vie. Les chantiers aussi se sont arrêtés et la nature a commencé à respirer de nouveau, faisant réémerger le besoin essentiel d’aménager de véritables espaces verts au cœur de nos territoires urbains.

Depuis quelques semaines, quelques rurbains ont décidé de rester à la campagne et d’opter pour le télétravail. D’autres vont alimenter les bouchons qui vont reprendre de plus belle.

L’heure est donc à la réflexion sur notre modèle d’habitat, sur la réhabilitation des friches, sur la surélévation des immeubles, sur la rénovation des appartements vides, ou encore sur la renaturation de la ville densifiée.

Jusqu’à présent, nos politiques publiques ont échoué à endiguer de manière pérenne l'étalement urbain. Après les crises sociales, sanitaires et économiques que nous venons de vivre, il est donc grand temps de se servir de ces épreuves successives pour développer un modèle alternatif d’urbanisme, basé sur la circularité et la durabilité.

Parmi les objectifs les plus importants à atteindre figure bien évidemment le déploiement du « zéro artificialisation nette des terres » annoncé par le Président de la République !

Pour cela, il faut bien évidemment se servir des réussites qui existent dans certains territoires, souvent grâce à l’impulsion et au dynamisme des élus locaux, pour changer les habitudes et les pratiques des professionnels et des élus qui bâtissent nos villes. Il faudra aussi que chacun accepte et participe à la modification des règles du jeu, qu’elles soient fiscales, législatives, ou locales.

Ce n’est que comme cela que nous pourrons faire évoluer notre modèle en profondeur et proposer à nos concitoyens des villes humaines, innovantes, respirables et solidaires.

Je remercie une nouvelle fois Sylvain Grisot pour la pertinence de son étude, pour l’humour qu’il a su glisser dans ses pages et pour la qualité des témoignages et des exemples cités. Il y aura forcément pour moi un « avant » et un « après » la lecture de cet ouvrage !

Jean-Luc LAGLEIZE · Toulouse, juin 2020

Retrouvez la nouvelle édition du Manifeste pour un urbanisme circulaire.