Habiter sur les toits

Construire sur des bâtiments existants pour habiter sur les toits ? Upfactor est une start-up qui s'est donnée pour objectif de faire prendre de la hauteur à la ville, en construisant sur les toits. Didier Mignery, son fondateur, nous raconte.

Habiter sur les toits

Sylvain GRISOT > Didier Mignery, bonjour. Tu es fondateur et président d’Upfactor, une startup qui s’est donnée pour objectif de faire prendre de la hauteur à la ville, en construisant sur les toits. Que cherchez-vous à développer chez Up Factor ?

Didier MIGNERY > Upfactor s’intéresse à la surélévation des bâtiments. C’est issu de mon expérience d’architecte, car j’ai travaillé sur plusieurs surélévations. On s’est vite rendu compte qu’il y avait des potentiels partout, et qu’il fallait essayer de développer une vraie solution adressée aux maîtres d’ouvrage, en détectant rapidement les meilleurs projets à réaliser. En 2015, on a commencé à réfléchir à une application permettant de détecter ces potentiels, via des données ouvertes générées par les métropoles, comme les PLU, la hauteur des bâtiments existants et les hauteurs autorisées. On a pu commencer à analyser le patrimoine de certains acteurs, des bailleurs sociaux et des syndics de copropriété. On pouvait alors proposer de créer des mètres carrés sur les toits de ces bâtiments.

Vous avez donc développé une proposition à destination des grands gestionnaires de patrimoine pour identifier et mettre en valeur des potentiels constructifs, mais sur les toits ?

Oui. Dans les grandes métropoles, il n’y a plus de foncier disponible. A l’heure de la zéro artificialisation des sols et la rénovation énergétique des bâtiments, il faut essayer de trouver des leviers et des ressources nouvelles pour travailler le foncier aérien. Il s’agit de m2 principalement liés à l’habitat, mais on peut aussi penser à la végétalisation ou la production d’énergie.

En effet, on a besoin de valoriser ce foncier aérien dans les métropoles déjà denses. Quels sont les types de projets sur lesquels vous travaillez ?

Aujourd’hui, on a identifié, à l’échelle des 10 plus grandes métropoles française, plus de 300 000 copropriétés. Un peu plus de 10% de ces copropriétés sont éligibles à la surélévation. C’est assez nouveau, car le marché de la surélévation a longtemps été un marché de niche, dans des zones déjà extrêmement valorisées. Ce n’était pas pensé comme une alternative. On ne va pas résoudre la problématique du foncier grâce à la surélévation, mais c’est un potentiel intéressant à exploiter, couplé à la requalification des bâtiments.

Des copropriétés qui doivent être au rendez-vous des enjeux de 2050 : décarboner, isoler, réaménager… Penser la seconde vie de ces bâtiments là. Pourquoi est-ce que ce potentiel ne s’active pas tout seul aujourd’hui ?

Il y a deux grands types de clients : les copropriétés et les bailleurs sociaux. Pour les copropriétés, il y a plusieurs propriétaires de l’immeuble, mais ce ne sont pas des professionnels de l’immobilier. Ce sont des gens qui ont acheté un appartement, un morceau de l’immeuble, pour leur exploitation personnelle. Envisager une relecture du bâtiment existant et sa rénovation, c’est déjà compliqué. Toutes les problématiques de rénovation énergétique leur posent un vrai défi. Alors, engager les copropriétés dans une démarche de projet en envisageant la construction de m2 supplémentaires pour financer des travaux de rénovation, c’est compliqué.

Upfactor les accompagne via une mission d’assistant en maîtrise d’ouvrage, comme tiers de confiance.

Upfactor : projet Antoine Mercusot 

Faire regarder dans le même sens tous les copropriétaires… Poser quelques logements sur le toit, cela veut dire travailler avec un opérateur qui construit et commercialise ces logements. On vient toucher le quotidien d’un bâtiment occupé. Peut-on approfondir votre positionnement et votre offre ?

Grâce à notre logiciel, on est capable d’analyser massivement les potentiels des gestionnaires de copropriétés. On extrait alors les potentiels qu’on va présenter aux copropriétaires, ceux qui ont une opportunité de surélévation. D’abord, on accompagne les propriétaires dans cette prise de conscience des besoins de travaux de leur immeuble et sur comment on peut orchestrer des travaux de rénovation énergétique. En parallèle, on leur montre la valorisation qu’ils peuvent faire avec la vente de leur droit à construire des m2 sur leur toit. En faisant cette balance, on peut alors identifier un financement alternatif à la rénovation globale, qui vient compléter les aides de l’Etat, comme Ma Prime Renov ou les certificats d’économie d’énergie. Puis, Upfactor, comme tiers de confiance, va s’occuper des échanges avec un architecte pour concevoir le projet, puis un opérateur immobilier qui va devenir maître d’ouvrage de la surélévation. Le promoteur immobilier développe alors des surfaces qu’il commercialise lui-même. Le bénéfice de l’opération sera partagé entre les différents acteurs. La répartition est faite par Upfactor de manière équitable, en fonction des prises de risque de chacun.

Vous êtes vous-même à risque, car en phase de conception du projet, vous investissez du temps. Le promoteur achète donc ce foncier aérien, sur le toit, et la copropriété va s’étendre en vendant son toit. A la fin de l’opération, il y a donc de nouveaux voisins et la création d’une valeur économique au bénéfice de la copropriété pour payer la réhabilitation globale. Cela paraît simple, mais il faut faire matcher des besoins et rester un conseil tout au long du processus. Quelle mise en œuvre en pratique ?

Aujourd’hui, on a réalisé quatre opérations à Paris et en région. On en a 11 autres qui sont en cours de réalisation, 7 avec un permis de construire déposé 2 obtenus et 2 en instruction. On pensait que les copropriétés seraient assez réticentes à se lancer dans ce genre d’opération, mais on voit qu’il y a une accélération de la démarche, car il y a beaucoup de communication sur la création de nouveaux m2 comme outils de financement.

Les copropriétaires étaient identifiés comme le dernier terrain sur lequel on arrivera à avancer, car il y a beaucoup de monde et ce ne sont pas de professionnels. Mais manifestement, vous y arrivez. Comment faites vous pour faire comprendre ces enjeux ? Au-delà des problématiques techniques, juridiques et financières, il y a le rapport humain.

Les copropriétés sont aujourd’hui devant un mur, celui de l’entretien et de la hausse du coût de l’énergie. Il y a une explosion des charges, c’est indéniable. Certaines, des années 50-70, se dégradent et l’intervention coûte cher, car il s’agit de travaux en milieu occupé. Quand on achète un appartement, on ne pense pas aux travaux qu’on va devoir faire dans 5-10 ans. Avec l’augmentation du prix de l’immobilier, un ménage n’a pas forcément les moyens de payer une rénovation énergétique quelques années après. Cet argument économique est vraiment prégnant. Il y a aussi un changement dans les mentalités des copropriétaires, avec une évolution démographique. Certaines réfléchissent à l’autoconsommation. Quand ils commencent à réfléchir ensemble et que cela devient un projet commun, alors ça change tout.

Peux-tu nous raconter un de vos projets en cours, qu’est-ce que cela donne concrètement ?

On a une copropriété à Lyon, cours Albert Thomas, face à l’hôpital Grange-Blanche, magnifique bâtiment de Tony Garnier, où on a dû à la fois convaincre la ville de l’opportunité de faire une surélévation sur un bâtiment des années 80, et convaincre l’Architecte des Bâtiments de France qu’on pouvait construire en face d’un bâtiment emblématique. Les copropriétaires avaient prévu de « seulement » faire un ravalement et on les a embarqués dans la démarche pour atteindre une meilleure étiquette énergétique : d’une étiquette D à une étiquette B. Les copropriétaires n’auraient pas sauté le pas s’ils n’avaient pas été accompagnés, à la fois sur l’acculturation, mais aussi le financement. La surélévation a créé 12 logements sur 850m2, avec une copropriété qui comptait déjà 40 logements.

C’est une opération assez importante, mais la plupart de nos opérations ne dépassent jamais les 30% de l’existant. Cette copropriété était complexe, car il y avait à la fois des propriétaires bailleurs, des propriétaires occupants, un turnover d’étudiants et des personnes qui habitaient ici à l’année avec des rythmes très différents. Ils ont choisi d’avoir des logements familiaux au lieu d’avoir des logements plus rentables pour un promoteur, car cela correspondait mieux à leurs intérêts. Cette copropriété disposait aussi d’un parking inexploité au sous-sol. On a sollicité auprès de la ville une dérogation totale de stationnement, qui nous a été octroyée. On a rajouté 12 logements, mais pas créé une seule place de parking. Au contraire, on va créer des espaces complémentaires pour le stationnement des vélos.

Upfactor : résidence Albert Thomas, Lyon

C’est un projet collectif où on repart collectivement pour 30-50 ans de vie commune. Cela avance donc du côté des copropriétés. Mais il y a aussi un parc important dans les métropoles, c’est celui des bailleurs sociaux. C’est une autre organisation, avec un interlocuteur. Comment vous adressez vous à eux ?

On analyse leur patrimoine au regard des travaux qu’ils ont à réaliser dans les 10 prochaines années. Puis, on compare cela  avec les opportunités de surélévation qui pourraient exister de manière à flécher des opérations mixtes de rénovation globale et de densification par surélévation. Cela permet aussi de faire accepter plus facilement aux locataires l’intervention sur leur toit, car il y a des leviers d’amélioration sur leur propre logement.

Grâce au travail d’analyse que vous avez pu faire du patrimoine de bailleurs sociaux, le potentiel est-il significatif ?

Oui, il est très important. Dans la métropole de Lyon , par exemple, il y a un plus de 3 000 logements à réaliser sur le patrimoine des bailleurs. Il existe 50 000 logements sociaux dans la ville de Lyon, mais elle n’est pas encore tout à fait au seuil de 25% de logements sociaux. Il leur manque environ 9 000 logements. Avec 3 000 à faire en surélévation, on voit déjà l’impact que cela peut avoir. Surtout quand on est dans une logique de proximité, au plus près des besoins, des transports en commun et des services.

Upfactor : repérage Lyon

Et en poussant sur le toit, on n’occupe pas le sol, on ne l'imperméabilise pas. C’est une forme de densification, mais avec moins d’impact. Comment est-ce que cela avance avec les bailleurs sociaux ?

D’un côté, c’est plus simple, car les bailleurs sont propriétaires uniques, mais de l’autre côté, ce sont des opérateurs avec des habitudes, des façons de fonctionner, des services pour la réhabilitation et d’autres pour la construction neuve. Il y a aussi une problématique liée au financement des travaux de surélévation, car on travaille en hauteur et au milieu occupé. Peu de bailleurs se lancent véritablement dans ce genre d’opérations. Il y a quelques-unes à Nantes, avec Nantes Métropole Habitat, en Ile de France, avec Batigère, ou à Lyon, avec la SACVL ou encore ALLIADE. Lors du dernier congrès HLM à Bordeaux, il y a eu une vraie embellie sur le sujet.

Ce que je comprends, c’est que cela change les pratiques. On parle de réhabilitation, mais aussi de développement du parc. La surélévation n’est pas entrée dans les mœurs, c’est l’histoire de quelques pionniers, qui vont montrer aux autres que c’est possible.

Nous avons clairement besoin d’un coup de main. Il peut venir des métropoles, qui font les politiques publiques et qui ont le recul nécessaire pour dire qu’il faut accélérer la production de logement, selon telle typologie. C’est important, car on voit bien que certains bailleurs ont besoin de cet aval des métropoles. Je mets souvent en avant l’Eurométropole de Strasbourg, qui est en avance sur le sujet. On y a fait un travail massif d’analyse du parc de logement en locatif social. On a trouvé énormément d’opportunité, et on a décidé avec Suzanne Brolly, élue à la métropole, et les services habitat, urbanisme, déplacement de la métropole de faire une relecture complète de l’habitat existant, pour le redessiner, le remodeler, lui ajouter des m2 sur le toit ou envisager sa transformation. Le fait que le sujet soit porté par les politiques a donné des possibilités aux bailleurs, mais a aussi permis de questionner les copropriétés.

Il y a un besoin de faire réaliser que des potentiels existent, par les copropriétaires, mais aussi les bailleurs sociaux et les collectivités. On a besoin de lever la tête pour voir ce foncier aérien. Mais entre le moment où l’on s’aperçoit du potentiel et qu’on donne les clés aux nouveaux propriétaires des logements à l’étage, il y a beaucoup d’étape. Qu’est-ce qui coince encore et comment pourrait on accélérer la démarche ?

On pensait que ce serait avec les copropriétés que ce serait le plus difficile, mais c’est finalement là où il y a le plus de besoin et donc une réaction favorable à la surélévation comme outil de financement de la rénovation globale. Mais on a encore de vraies difficultés d’obtention de permis de construire. Travailler en densification et en acceptabilité patrimoniale n’est pas facile. Il y a des intérêts multiples : la collectivité, l’Architecte des Bâtiments de France… Est-il encore pertinent de faire des toits en zinc à Paris alors qu’ils émettent une chaleur non négligeable ?

Le travail que l’on mène avec les métropoles nous permet de les acculturer à ce genre de projet et à leur montrer que ce ne sont pas des opérations opportunistes. Une fois mise bout à bout, elles peuvent avoir un impact à la fois sur la rénovation, mais aussi sur la création de logements. On peut aussi travailler sur la mixité des nouveaux logements. Mais le Graal est encore l’acceptation du permis de construire.

Aujourd’hui, vous êtes encore en difficulté pour densifier la ville. Si ce n’est pas nécessaire partout, il y a des besoins auxquels on ne répond pas actuellement. Votre solution permet de créer du logement, éventuellement sans parking, sans occuper du sol et sans rentrer en concurrence avec le végétal. Tout n’a pas vocation à être densifié, mais il y a quand même un travail culturel à mener sur le sujet.

Aussi, ce qui est encore difficile, c’est qu’il existe peu de promoteurs immobiliers capables de réaliser ce type d’opérations. Ce sont des opérations qui mêlent à la fois construction neuve et réhabilitation de l’existant en milieu occupé. Sachant que ce sont plutôt des tailles de projet petits, autour de 800m2. L’équation économique n’est pas idéale pour un promoteur.

Il y a un écosystème qui est en train de se construire, avec des promoteurs-constructeurs. Il y a aussi des acteurs du monde de la réhabilitation, qui sont plus agiles, car ils connaissent la complexité d’une réhabilitation. C’est plus simple pour eux de créer quelques logements supplémentaires en réhabilitant l’existant.

Finalement, vous réussissez à convaincre, à expliquer, à faire sortir des projets… Petite précision, dans les copropriétés, cela crée de nouveaux lots de copropriété ?

Complètement. On crée un lot transitoire de copropriété. On le valorise au titre du montage d’opération, ce qui rémunère ainsi la copropriété de son droit à construire. Et on vend ce lot là aux promoteurs.

Dont on manque de petits promoteurs spécialisés de  façon à massifier ces opérations.

L’objectif de l’année 2022-23 chez Upfactor est de concrétiser nos opérations pour prouver que la surélévation peut être une solution à la rénovation globale, et pas uniquement une expérimentation.

Ici, nous donnons la parole aux pionniers, en s’assurant que les solutions qu’ils proposent s’essaiment pour sortir de l’expérimentation et rentrer dans le banal. On sera attentif à votre capacité à massifier ! Le foncier aérien peut être plus compliqué à mettre en œuvre, mais vous avez démontré que c’était possible. Que peut-on vous souhaiter pour les prochains mois ?

D’être capable de continuer à convaincre nos clients, notamment les copropriétés, du bien-fondé de cette démarche. De convaincre aussi les villes de se lancer dans ce genre d’opérations, en réalisant des logements au plus près des besoins.

Propos recueillis par Sylvain Grisot en avril 2022

Pour aller plus loin :