Investir au village
Villages Vivants est une foncière solidaire et rurale. Nous avons rencontré le co-gérant et responsable immobilier de la foncière. Nous avons parlé du besoin de lieux, de projet à impact social et culturel, et du rôle de la collectivité comme soutien à des projets sur son territoire.
C'est d'abord le nom qui me donne envie d'aller découvrir de quoi il s'agit. Villages Vivants, c'est un nom qui sonne un peu comme un label, mais aussi une belle promesse. Nous sommes donc allé à la rencontre de Raphaël Boutin-Kuhlman, co-gérant et responsable immobilier de la société.
Villages Vivants est une foncière rurale et solidaire qui lutte contre la désertification des cœurs de ville et des cœurs de bourg. Une foncière est un acteur privé qui fait l'acquisition sur le long therme, mais pas forcément définitivement, de biens immobiliers. Elle a souvent un mode de financement spécifique, comme la levée de fonds, pour devenir propriétaire du bien, dont elle fait aussi les travaux nécessaires pour une installation. Elle a donc, à la différence d'un Etablissement Public Foncier, la possibilité de faire du stock. La foncière Villages Vivants achète, rénove et loue des biens immobiliers dans des territoires exclusivement ruraux pour y installer des projets d'économie sociale et solidaire. En levant le blocage de l'investissement, ils permettent à des projets qui ont un impact social fort de voir le jour sur les territoires. Ces projets contribuent à recréer du lien social dans des endroits où la vacance commerciale est souvent importante. La société accompagne aussi des collectivités dans leur stratégie de revitalisation de lieux.
Mais plongeons nous d'abord dans leur activité de foncière, dont la spécialité est d'investir en milieu rural. Concrètement, un porteur de projets vient toquer à la porte du bureau de Villages Vivants : si son projet est assez mûr et qu'il répond à des enjeux du territoire, alors Villages Vivants investit dans un local en l'achetant et en faisant des travaux si besoin. La foncière ne cherche pas elle-même des locaux vacants, il y en a partout de toute façon. Mais une collectivité peut aussi identifier des locaux intéressants pour des porteurs de projets potentiels et les soumettre au portage de Villages Vivants.
La collectivité se porterait alors garante ou locataire pour nous permettre d'avoir une sécurité sur l'investissement que l'on fait. Dans ce schéma précis, on déploierait nos réseaux métiers pour trouver des porteurs de projets et les accompagner dans ces lieux-là. (...) On achète des biens immobiliers sur le principe de la finance solidaire, à l'image de nos grands-frères que sont Habitat Humanisme et Terre de Liens. Une communauté d'investisseurs est regroupée au sein de la société coopérative et ils ont une place dans la gouvernance. On peut investir à partir de cent euros dans Villages Vivants.
– Raphaël Boutin-Kuhlman, co-gérant et responsable immobilier de Villages Vivants
La foncière fait donc régulièrement des levées de fonds auprès de nouveaux investisseurs sur une plateforme en ligne.
Un projet sera réussi s'il réunit les quatre clés du succès : des porteurs impliqués, un projet mûr, ancré dans son territoire et un lieu adapté. Mais il y a souvent un frein qui nécessite de pour faire appel à Villages Vivants : un blocage financier. L'achat de l'immobilier par la foncière permet de lancer le projet, que les porteurs pourront racheter s'ils en ont la capacité.
Bien que la foncière se positionne dans la grande famille des solutions pour revitaliser les cœurs de bourg, son principal sujet n'est pas spécifiquement le commerce, mais plutôt de soutenir des projets à impact qui n'ont pas toujours un business modèle classique ou vraiment rentable :
On n'intervient pas sur le commerce, mais sur la recréation de lieu. Pendant cette année de pandémie, on a traversé une période où le lien social s'est révélé essentiel. Nous avons déjeuné, dîné, pris l'apéro par WhatsApp ou par Zoom. Mais il nous a manqué le lieu, l'endroit où l'on se retrouve. Les milieux ruraux, et ce n'est pas nouveau, voient les services se fermer : les bureaux de poste, les sous-préfectures, les hôpitaux, les écoles quand il n'y a plus assez d'enfants. Le commerce aussi, qui a disparu ou qui s'est déplacé en périphérie. (...)
Si nos projets fonctionnent, c'est parce qu'ils sont portés collectivement et que la question du commerce est secondaire. L'important est de rouvrir un lieu social qui propose des activités. Le modèle économique est basé sur des activités diverses, avec une implication forte des habitants comme bénévoles et/ou consommateurs. Ces activités-là ont plus de chance de perdurer dans les territoires ruraux. (...)
Ensuite, une fois qu'on aura développé les conditions du vivre ensemble, les services et les biens du quotidien, par le commerce traditionnel, pourront s'implanter. Nous préférons nous concentrer sur les lieux du bien vivre ensemble qui nous paraissent plus importants aujourd'hui que la fonction commerciale. »
Cinq projets sont actuellement portés par la foncière et cinq sont en cours d'achat : une librairie coopérative dans l'Ain où les habitants ont recruté leur libraire ; une ressourcerie dans les Cévennes ; une brasserie artisanale dans le Vercors ; une auberge coopérative en Ardèche ; et un café atelier dans la Drôme.
La collectivité est aussi un maillon essentiel du projet. Elle peut être le relais entre Villages Vivants et des porteurs de projet, ou souhaiter une installation de porteurs sur son territoire en proposant des locaux à racheter. Villages Vivants conseille aussi les collectivités plus largement sur la réactivation de lieux : comment mobiliser les acteurs locaux et comment dialoguer avec les propriétaires de locaux vacants pour trouver des solutions collectives.
On sensibilise les collectivités à l'économie sociale et solidaire, car c'est un nouveau modèle de développement local qui, contrairement à une économie classique, va chercher à avoir un impact économique, certes, mais surtout social et culturel, par un projet ancré dans son territoire. (...)
Dans le rural, on est dans un écosystème restreint où l'on ne peut pas être dans l'anonymat. Le succès passe par le fait que les projets restent consensuels et ne soient pas en rupture avec la population locale. Il y encore certaines collectivités qui ont des réticences et qui sont dans le schéma classique où ce sont seulement les élus qui décident et planifient leur territoire.
Dans l'idéal, le rôle de la collectivité serait alors plutôt d'être une médiatrice et de soutenir ce mouvement plutôt ascendant que descendant. La posture des élus est donc aussi un facteur important de la réussite d'un projet : animer une communauté, faciliter les liens dans son village plutôt que d'imposer et dicter des politiques toutes faites.
Dès le début de la démarche, on voulait accompagner les collectivités. Mais on promettait de revitaliser le centre-bourg avec notre baguette magique. C'est une promesse que l'on ne veut plus faire aujourd'hui : on intervient sur des moyens, des méthodes, sur les objectifs, pour réenchanter le territoire de manière plus générale.
Si Villages Vivants est encore relativement jeune après trois ans d'activité, leurs retours d'expérience leur ont déjà permis d'être conseil. Ils ont pu aider d'autres foncières solidaires à se créer, en ajustant notamment leurs discours envers les collectivités pour rester dans le concret, le possible et le réalisable.
Marre de votre centre-bourg mort, triste et gris ? Et si vous y installiez un café associatif ludique-repare café-ressourcerie avec l'aide de Villages Vivants ?
Frédérique Triballeau · dixit.net · septembre 2021
Pour aller plus loin :
● Le site de Villages Vivants
● La fin du village, de Jean-Pierre Le Goff
● L'entraide, l'autre loi de la jungle, de Pablo Servigne et Gauthier Chapelle