La revanche des villes moyennes, vraiment ?

Exode urbain controversé, attractivité des régions, explosion des couronnes périurbaines... Les villes moyennes sont-elles réellement soumises à la déprise ? Entretien avec Claire Rais Assa, co-autrice du dernier rapport de France Stratégie sur les villes moyennes.

La revanche des villes moyennes, vraiment ?

Sylvain GRISOT > Claire Rais Assa, bonjour, tu es cheffe de projet à France Stratégie, think tank de l’État qui travaille sur les enjeux de la transition écologique et leur mise en œuvre sur les territoires, et tu es co-autrice du récent rapport « Les villes moyennes : atouts pour les nouvelles politiques d’aménagement du territoire». Pour commencer, qu’est-ce que c’est une ville moyenne ?

Claire RAIS ASSA > Ce n’est pas une question facile, la première qu’on s’est posée à France Stratégie avant de travailler sur les trajectoires de ces villes moyennes. Dans la littérature, beaucoup de définitions des villes moyennes ont été utilisées, souvent avec des critères de taille de la population. La ville moyenne c’est celle qui n’est pas complètement dans la campagne, mais qui n’est pas une métropole, un entre-deux finalement.

Notre définition se fonde sur plusieurs critères ; c’est une aire urbaine au sens de l’INSEE de plus de 20 000 habitants, dont la commune centre fait plus de 10 000  habitants et est située hors de l’aire d’attraction des métropoles. On a étudié 202  villes moyennes françaises, dont 190 en France métropolitaine. Le Ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales nous a demandé, dans un contexte où les villes moyennes seraient un nouvel Eldorado depuis la pandémie, une strate de ville idéale, d’objectiver cette idée, de regarder la réalité de ces villes  moyennes et de la mettre en perspective sur les 10  dernières années pour se demander si la pandémie agit comme une rupture, a tout changé ou vient plutôt confirmer des choses déjà existantes.

Pour dire qu’il y aurait un renouveau, une attractivité de ces villes, a-t-on des indicateurs suffisamment récents pour réagir à des phénomènes aussi proches que les impacts de la pandémie ou du confinement, tout en étant lié dans des trajectoires résidentielles plus longues dans le temps ? Évidemment, vous n’avez pas de réponse conclusive là-dessus, mais cela repositionne le débat et sort des gros titres des hebdomadaires, la réalité ayant du mal à se synthétiser dans un tweet de 280  caractères. Où trouve-t-on les traces ou les signaux de ce renouveau de l’attractivité ?

On a utilisé les données de démographie pour avoir une vision sur ces dernières années dans les villes  moyennes. En revanche, sur l’impact de la pandémie, on n’a pas encore de données sur les déménagements qui se seraient déroulés pendant les confinements ou après. On avait à disposition les données sur l’emploi, marqueur de l’activité économique, du dynamisme d’un territoire, ainsi que des données de prix de l’immobilier, mobilisées seulement sur l’année 2020.

Quelles sont donc les trajectoires de ces villes  moyennes ces 10  dernières années et qu’est-ce qu’on peut en retenir sur les évolutions les plus récentes  ?

Ce qui est assez intéressant d’abord c’est la manière dont ces 202  villes  moyennes se sont comportées en tant qu’un seul ensemble. Elles représentent une part stable de la population depuis 50  ans (35%), ce qui est remarquable.

Ça veut dire que la crise dont on a beaucoup parlé sur les villes  moyennes ne serait pas tout à fait confirmée, en tout cas par les données démographiques.

Oui. On a choisi de travailler sur l’aire d’attraction des villes, qui est une maille de l’INSEE qui définit des zones plus larges que les limites communales. Cela comporte la commune centre, celle qui donne son nom à l’ensemble urbain formé par la ville moyenne, et plein de communes qui forment la couronne et le tissu périurbain qui fait lien avec les territoires moins denses, ruraux des alentours. Ces échelles de territoire sont définies notamment sur la base des mobilités domicile-travail.

Les villes moyennes représentent un nombre d’emplois salariés privés non négligeable, puisqu’à peu près 30 % de l’emploi en France y est localisé en 2019, dont 37 % de l’emploi industriel. Il y a eu des hausses de population dans les couronnes, alors qu’il y avait des baisses de population dans les pôles. Et donc cette déprise des villes moyennes qu’on a pu présenter pendant de nombreuses années concerne plutôt des communes centres, et moins les communes alentour qui se développent.

Des changements qui sont importants, parfois d’ailleurs assez radicaux,  avec des transferts de population et d’activités économiques entres les communes d'un même territoire.

Ces villes moyennes accueillent 35 % de la population française aujourd’hui. Les trois quarts sont le siège de préfecture ou de sous-préfecture, avec une présence historique de l’État assez centrale pour ces territoires. Certaines villes jouissent d’un bon niveau d’équipement et de services (sports, santé, transport), loin d’une représentation habituelle des villes sous-équipées.

La difficulté, c’est de trouver des trajectoires communes partagées entre ces villes. En fait on a des trajectoires individuelles qui sont liées à beaucoup de facteurs ; la région, la présence de telle ou telle entreprise, l’attachement au territoire, qu’on ne décrit pas forcément avec des chiffres. Les villes moyennes sont toutes différentes avec des trajectoires uniques. Le travail mené a tenté de faire un exercice typologique, de rassembler celles qui avaient des trajectoires qui se ressemblaient, mais on obtient quand même une très forte hétérogénéité.

On a une fois de plus au sein de la catégorie des formes de polarisation du territoire avec certains qui réussissent et d’autres qui continuent de vivre des phénomènes de crise, parce qu’il y a notamment des enjeux d’accessibilité du territoire ou d’attractivité liée à la géographie. Est-ce qu’on peut essayer de grouper quelques-unes de ces catégories, de ces typologies que vous avez construites ?

On a regardé comment les villes se comportaient, pas en absolu, mais par rapport à la trajectoire moyenne au niveau national. 42 % des villes du panel, soit 85  villes sur les 202, ont des trajectoires plus dynamiques que la trajectoire nationale sur la dernière décennie concernant la démographie, l’emploi et les prix de l’immobilier. Ces villes sont situées de manière assez attendue dans des territoires plus grands, connus depuis longtemps, les littoraux, par exemple, ou la vallée du Rhône. Ensuite, on a des villes qui sont très proches des tendances nationales. C’est environ 30 % de l’échantillon et on en trouve partout sur le territoire, ce qui est assez logique. En regroupant ces deux groupes là, on est déjà à plus de 70 % des villes moyennes, soit une vision assez positive de leurs trajectoires ces 10 dernières années, loin de la vision de villes en déprise. Évidemment, on a quand même des villes moyennes, dans lesquelles il y a des difficultés, des vulnérabilités structurelles avec des baisses de population et des destructions d’emplois sur les 10  dernières années. Il s’agit uniquement de 16 % du panel qu’on a étudié et, ce qui est assez intéressant, c’est qu’elles sont assez concentrées sur le plan géographique dans le centre de la France et dans un quart nord-est assez élargi. Et puis enfin, nous avons fait une catégorie avec des villes dont les trajectoires étaient atypiques avec par exemple une hausse de la population sans évolution des prix de l’immobilier, ou des indicateurs un peu contrastés, qu’on ne sait pas forcément bien expliquer, et qu’on a regroupées dans ce quatrième groupe.

Quelque part, il peut y avoir des voies d’échappement et des perspectives individuelles pour les uns et les autres. Il y a pourtant un certain nombre de publications qui commencent à affirmer que cet exode urbain n’a pas eu lieu, mais la pandémie a évidemment des impacts et est sans doute génératrice de flux de populations qui sont autant d’opportunités que de problèmes pour les territoires qui accueillent. Qu’est-ce que vous avez pu identifier des dynamiques liées  à la pandémie ?

D'abord, on a eu au niveau national une croissance de l’emploi pendant ces deux années, celle de 2021 ayant dépassé celle de 2019. Ce qui est très intéressant, c’est que les villes moyennes ont parfaitement suivi cette tendance avec croissance de l’emploi de 2,3 %, ce qui est exactement la moyenne nationale, et légèrement supérieure à celle des métropoles. Pour le dire très simplement, en deux ans, 160 des 202  villes moyennes étudiées ont connu des créations d’emploi. Est-ce que ça veut dire qu’elles ont toutes bien passé la pandémie  ? Évidemment non. Il s’agissait pour la plupart de tendance en hausse déjà avant. Certaines connaissaient des destructions d’emploi avant la pandémie et ont vu des créations d’emplois pendant et inversement. Tout cela est très singulier et difficilement généralisable.

Il y a bien une capacité de destins individuels, c’est autant de marge pour des stratégies locales, pour des modes d’action des territoires qui s’inventent leur propre avenir et sortent de leur catégorie, de leur typologie. Donc la ville moyenne moyenne n’existe pas. Je pense qu’on peut le conclure. Il y a bien cette capacité pour ces territoires à maîtriser leur destin, encore faut-il à la fois mettre en branle ces stratégies localement, puisqu’on l’a dit, on parle de territoires qui ne sont pas des unités administratives dans la plupart des cas, mais aussi qu’il y ait un soutien là-dessus des politiques publiques nationales. Vous tirez un certain nombre de propositions de ces analyses. Qu’est-ce qu’on peut en retenir comme élément clé  ?

On appelle à des politiques publiques qui soient des accompagnements vraiment adaptés aux territoires et qui permettent de répondre de manière très précise aux enjeux tous différents. On a par exemple des enjeux de chômage ou de pauvreté qui peuvent être importants dans des villes dynamiques sur le plan de l’emploi et de la démographie, de même pour des enjeux de consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers. Cela appelle à sortir de la logique de la réplication d’un modèle qu’on pourrait supposer vertueux pour aller vers un accompagnement différencié et adapté à la réalité de chaque territoire.

Et puis à qui s’adresse-t-on aussi, pour qui sont faites ces politiques publiques, à quelle échelle et comment est-ce qu’on élabore localement des stratégies pour s’échapper des prédéterminant posés sur ces fameuses villes moyennes, dont on a bien conclu qu’elles n’existaient pas ? Est-ce que pour prolonger cette conversation, as tu des conseils de lecture ou autres à nous donner ?

Je vous conseille la lecture des travaux d’Olivier Bouba-Olga sur les effectifs scolaires et leur évolution, ce qui est une autre une manière de regarder et d’approcher les mouvements de population dans ces territoires. Comme la vie localement est beaucoup plus riche que ça, je vous invite à aller voir le film « La campagne de France » qui relate la tenue des élections municipales dans une petite ville et qui donne à voir une autre image que celle qu'on peut avoir dans des travaux un peu analytiques.

Merci beaucoup pour cet échange et à bientôt.

Propos recueillis par Sylvain Grisot · dixit.net · Mars 2022

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