Work #1

Dans le quartier de Lyon Confluence, Work #1 est un immeuble accueillant bureaux et ERP conçu pour être réversible en logements, anticipant la disparition à terme de la voie rapide située à proximité.

Work #1

Sylvain GRISOT > Thibaut Gasteau, bonjour. Vous êtes directeur de projet chez Linkcity, sur le projet Sollys A1 Sud. Nous sommes actuellement à Lyon, en plein cœur de l’opération Lyon Confluence, dans un bâtiment qui de l’extérieur peut paraître tout à fait banal. Il a pourtant été conçu avec des attendus particuliers… Pouvez vous nous raconter l’histoire de ce bâtiment ?

Thibaut GASTEAU > Comme vous avez pu le voir, de l’extérieur, ce bâtiment ressemble à un bâtiment de logements, mais de l’intérieur, nous sommes dans un bâtiment de bureaux. C’est un bâtiment réversible. La réversibilité de ce bâtiment se justifie car il se situe en bordure d’un axe urbain très dense, à côté du fleuve. C’est une deux fois trois voies, très passante et très bruyante, qui entraîne une pollution visuelle et sonore. Il n’y avait pas de pertinence à construire un immeuble de logement en bordure de cette autoroute aujourd’hui. Mais elle est censée être déclassée et va être transformée en boulevard plus doux, avec des voies de bus, de vélo et des espaces piétons. Aujourd’hui, nous sommes dans un environnement urbain qui est dur pour le logement, mais demain, dans 15-20 ans, le bâtiment a les moyens de se transformer, sans toucher aux façades et en faisant uniquement de l’aménagement intérieur.

Quand vous parlez de réversibilité, vous parlez donc de changement d’usage. Et quand vous parlez de « demain », du projet urbain, quel est l’horizon ?

Je souhaite le plus tôt possible. Aujourd’hui, un bâtiment de bureaux, c’est un investissement pour le propriétaire sur 30-40 ans. Mais on sait qu’au bout d’une dizaine d’années, ce bâtiment sera déjà un peu obsolète, il nous faut donc déjà penser à sa seconde vie. Se demander si, dans 15-20 ans, ce bâtiment aura encore besoin d’être des bureaux, ou est-ce qu’on ne pourrait pas lui apporter une seconde vie en le transformant en logements ? D’autant plus que nous sommes dans une situation assez privilégiée : nous sommes sur les bords du Rhône, avec vue sur les Alpes, le Mont Blanc…

Il y a donc une pensée par couche, avec des aménagements intérieurs qui seront obsolètes dans quelques années, ce qui pourra être l’opportunité de questionner l’usage du bâtiment. Dans tous les cas, vous aurez le choix.

Oui, car peut-être que demain, ce sera plutôt un quartier résidentiel qu’un quartier de bureau.

Aujourd’hui, de l’extérieur, on voit un immeuble de logement : les balcons sont filants, les trames de fenêtres font 90, de grandes baies vitrées… Alors que dans une trame de bureau classique, ce serait davantage du mur rideau, sans balcon. Mais la trame intérieure est bien du bureau : un plateau paysager avec 2m70 de hauteur.

La réversibilité pose des questions en termes de positionnement des noyaux de circulation verticale, ascenseurs, escaliers, mais aussi pour les réseaux. Comment est-ce que vous avez fait ?

On a toujours réfléchi à la fois conception de bureau et conception de logement en parallèle. On a vérifié que si demain on transformait le bâtiment en logement, on aurait assez de distance de circulations dans les couloirs, une distance acceptable par rapport aux issues de secours. L’escalier est monumental, car le bâtiment est en surcapacité. Si on avait fait qu’un immeuble de bureaux, on aurait pu rationaliser davantage et gagner de la surface utile. Mais en faisant de la double conception, on s’est aperçu de la nécessité de prévoir un certain nombre de dispositions pour permettre la réversibilité.

C’est un point important : pour la réglementation incendie, il y a deux réglementations assez différentes, donc vous venez sous-optimiser le bâtiment de bureaux aujourd’hui, mais c’est une condition de sa réversibilité dans 15-20 ans.

Ce travail, on l’a fait pour la réglementation incendie, mais aussi pour tout le reste : la réglementation acoustique, l’accessibilité… On a toujours pris la réglementation la plus contraignante. On est finalement allé assez loin pour n’avoir aucune modification de façade à faire si le bâtiment se transformait en logement, mais que de l’aménagement intérieur. L’objectif est que le coût de transformation de l’immeuble soit de 700-800 euros du m2 et pas de 1 500 euros/m2 comme dans beaucoup de réhabilitation.

On voit aussi que des branchements électriques viennent par le sol : comment cela se passe pour la question des réseaux ?

Dans du bureau classique, il y a un faux plancher dans lequel il y a des réseaux qui passent, et un faux plafond avec les réseaux de ventilation. Dans ce bâtiment, toutes les contraintes en faux plafond ont été libérées. On a laissé la dalle brute béton : si demain on transformer le bâtiment, il n’y aura plus qu’à cloisonner. Tous les réseaux sont dans le faux plancher, que ce soient les fluides, l’électricité, la ventilation… Quel est l’intérêt de mettre du faux plafond si on peut gérer tous nos réseaux dans le même volume ? On a retiré de la matière et on en a profité pour surélever les faux planchers : on a 50cm. Donc demain, on pourra positionner la salle de bain, la cuisine où on le souhaite dans l’appartement, car il y a suffisamment de pente pour aller chercher une gaine technique.

Cela veut dire qu’à part les ouvertures qui vont poser des contraintes lors de la transformation, vous avez postulé des plans de logement pour avoir une liberté dans le futur.

On a dessiné 58 logements pour avoir une feuille de calcul permettant de dire à l’investisseur qu’il peut y avoir 58 logements dans ce bâtiment et que cela se tient économiquement. Mais la réversibilité est valable pour du logement, mais aussi pour des chambres pour loger des étudiants.

Une réversibilité technique donc qui s’appuie essentiellement sur l’aménagement intérieur. Mais au-delà de la technique, la réversibilité amène un changement d’usage : qu’est-ce que cela veut dire en terme d’organisation juridique ?

Aujourd’hui, le permis de construire nous donne un usage de bureau uniquement. La réglementation française ne nous permet pas d’avoir le double permis, même si il y a quelques contre-exemples, comme le village olympique des JO 2024. Si il y a transformation du bâtiment, nous devrons donc repasser par un permis de changement d’affectation d’usage.

Quelle est l’organisation en termes de propriété du bâtiment ? Comment conserver cette plasticité ? Le bâtiment doit-il passer par une transformation d’usage complète ou est-ce que cela peut se faire niveau par niveau ?

Il est difficile de se dire qu’on pourrait faire niveau par niveau. La réglementation est assez contraignante. Néanmoins, les dispositions sécuritaires du bâtiment permettent d’avoir trois niveaux de logements et d’avoir des niveaux de bureaux au-dessus. Mais il y a un propriétaire unique pour ce bâtiment, la Banque Populaire. Quel usage en fera-t-il plus tard : vente à la découpe, réhabilitation, gestion par un bailleur social… ? Tout est possible, c’est lui qui définira l’usage qu’il voudra en faire dans 15 ans.

En tout cas, il y a une unité de propriété, plus que de désagréger le tout en copropriété, qui viendrait rigidifier l’évolution future.

Oui, c’est un prototype qu’on espère développer chez Linkcity. Je ne dis pas refaire un bâtiment identique, l’architecture doit s’adapter à l’usage et à l’environnement du quartier. Un bâtiment réversible doit s’intégrer dans un environnement urbain approprié. Par exemple, je ne suis pas certain que cela soit intéressant de le faire dans une ZAC où il n’y a que du logement. Mais ici, il y avait un intérêt pour que ce soit réversible, lié à l’évolution future de l’environnement direct.

Oui, on est encore au milieu d’un grand chantier, mais qui sera apaisé dans quelques années. Ce n’est pas non plus la solution à tous nos problèmes, mais quels sont quand même les enseignements que vous en tirez ? Qu’est-ce que vous referiez et qu’est-ce que vous ne referiez pas ?

Ce que je retiens, ce que la réversibilité, ce n’est pas compliqué. Il faut simplement avoir une maîtrise d’œuvre qui saisisse bien le double enjeu de concevoir un immeuble de bureau tout en pensant à la conception en logement.

On s’est entouré de l’architecte anglais David Chipperfield, qui est très organisé et très professionnel. Il était associé à Life Designer, une agence d’architectes locale. On s’est aussi associé au groupe Quadriplus, qui dispose de toutes les compétences techniques pour répondre au projet. Enfin, Socotec comme bureau de contrôle et Inovica comme coordinateur espèce.

Il faut une très bonne équipe qui comprenne bien l’enjeu et la finalité du projet. C’est important, car la contrainte de la réversibilité lors de la construction est quasiment nulle. La difficulté qui peut y avoir, c’est l’organisation et la logistique de l’équipe chantier : il faut rester vigilant à tous les réseaux qui sont posés au sol. Une fois qu’on a défini les contraintes à la conception, il n’y a pas de difficultés particulières lors de l’exécution pour l’équipe chantier.

Est-ce qu’il y a quelque chose que vous ne referiez pas ?

Si je devais refaire de la réversibilité, j’essayerais que le noyau central soit amovible pour que le logement puisse être mieux orienté, en double exposition. Ne plus avoir ce noyau rigide au centre et se laisser encore plus de souplesse dans la conception du logement. Il faudrait réfléchir différemment et se dire qu’un immeuble de bureau n’a pas forcément de circulation des bureaux périphériques avec un noyau central. Le noyau pourrait être perpendiculaire. Cela reste des prototypes, on n’est pas dans l’industriel, alors on peut se réinventer.

La réversibilité vient requestionner les standards qu’on a, que ce soit pour du bureau ou du logement. Vous me disiez qu’il y avait beaucoup d’attentions portées à cette expérience, beaucoup de visites… Qu’est-ce que cela vous dit en tant qu’acteur et professionnel, cette attention portée au réversible ? On en parle depuis 15-20 ans, et pourtant il semble que cela soit juste en train d’émerger.

Il y a beaucoup d’attentes. J’ai au l’occasion de parler avec des élus qui souhaitent introduire cette contrainte de la réversibilité dans leur cahier des charges. Mais je pense qu’il y a encore un gros travail de communication à faire pour prouver que cela fonctionne. Je pense qu’on aura franchi une étape quand on aura vraiment transformé un bâtiment de bureaux en logement, sans attendre 15 ans pour le faire. Notamment pour faire comprendre quel est l’intérêt d’investir 8% de coût d’étude supplémentaire pour avoir un bâtiment réversible.

En plus des frais de conception, on y passe plus de temps… Est-ce que c’est significatif en termes de coût de construction ?

Coût de construction direct, non, il n’y a pas de surcoût. Si on n’avait pas pensé en terme de logement, on aurait peut-être rajouté un niveau et optimisé les surfaces de plancher. Mais le coût de transformation est différent. Un bâtiment de bureaux qu’on réhabilite en logement, c’est 1200-1500 euros du m2. Alors que la transformation d’un bâtiment réversible, c’est 700-800 euros du m2, car c’est du cloisonnement intérieur. Et là, on y gagne.

Oui, et on évite la déconstruction dans 15 ans.

Exactement. On parle de maîtriser son bilan carbone et de calculer le bilan carbone global d’une opération. C’est important de le penser dans sa globalité, de la conception jusqu’à son exploitation future et son double usage.

D’où l’importance d’avoir des acteurs qui restent sur le temps long : au moment de la construction, mais aussi au début de la l’exploitation et qui sont capables de pousser la transformation en interne, ou du moins, de l’avoir dans l’horizon. Merci beaucoup pour ce partage !

Propos recueillis par Sylvain Grisot en mars 2022

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