Gatineau, capitale du changement climatique

Gatineau, capitale du changement climatique
Par Exile on Ontario St from Montreal, Canada — 2017 Quebec Floods - Montreal, CC BY-SA 2.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=58634151
#88 Maxime Pedneaud-Jobin · Gatineau, capitale du réchauffement climatique
Listen to this episode from dixit.net on Spotify. Gatineau, c’est la quatrième ville du Québec située en face d’Ottawa, de l’autre côté de la rivière des Outaouais. C’est elle qui déborde par surprise en 2017 et fait 4000 sinistrés. Dans les mois qui suivent, une tornade détruit ou endommage 2400 lo…

Sylvain GRISOT > Bonjour Maxime Pedneaud-Jobin. Vous avez été élu maire de Gatineau en 2013, puis réélu en 2017. Ces deux mandats n'ont pas été de tout repos, avec des inondations en 2017 et 2019, une tornade en 2018, la multiplication de pluies diluviennes qui ont battu des records sur cette période, des canicules et des épisodes de gel et dégel. Tout cela a fait de Gatineau un territoire sentinelle du bouleversement climatique. Peut-être pourrions-nous commencer par planter le décor en expliquant ce qu'est la ville de Gatineau au Québec, puis en racontant ces événements ?

Maxime PEDNEAUD-JOBIN > Gatineau est la quatrième ville la plus peuplée du Québec, avec 300 000 citoyens. Située à l'extrémité ouest du Québec, elle est en face d'Ottawa, la capitale fédérale. Les deux villes sont séparées par la rivière des Outaouais, et appartiennent à la même région métropolitaine. Cette vaste rivière qui nous sépare est importante, car elle a débordé en 2017, en 2019, et à nouveau cette année en 2023. Entre les deux inondations de 2017 et 2019, une tornade s'est produite en 2018, et il y a eu différents épisodes de pluies diluviennes. Entre la première inondation et la tornade, trois des cinq pires pluies diluviennes des 100 dernières années se sont produites. La ville a été appelée la "capitale des changements climatiques en Amérique du Nord" en raison de ces catastrophes successives.

Cela a été extrêmement difficile, parce qu’on n'est pas prêt à l'improbable. Si cela avait été un film, cela aurait été un très mauvais film, dont le scénario n'aurait pas été crédible. Chaque année, on est passé d'une crise à l'autre. Il y a eu des milliers de sinistrés lors de la première inondation, soit environ 4 000 sinistrés sur une ville de 300 000 habitants. La tornade entre les deux inondations a démoli presque 1 500 unités de logement, totalement démolies ou en partie. Nous avons été chanceux, parce qu'il n'y a pas eu de décès.

A chaque fois, c'est la ville qui était au front. Il y a une statistique que j'aime beaucoup, mais je m'en serais bien passé. L'armée a dû intervenir lors des inondations en 2017 pour donner un coup de main à différentes villes qui étaient touchées, en premier lieu à Gatineau. 70 militaires sont arrivés à Gatineau, et nous étions très contents. Cependant, nous avions déjà 900 employés à temps plein qui étaient là depuis plusieurs jours et qui sont restés au front, qui sont restés des semaines, sinon des mois après le départ de l'armée.

Quel est le rôle de l'élu local dans ces crises ? Comment affronter la première crise et la succession des crises si on n'était pas préparé ? Comment avez-vous vécu cela ? En tant que capitale du réchauffement climatique, étiez-vous conscient de l'importance du changement climatique à l'époque ?

Non, au début des inondations en 2017, nous n'avions pas conscience de l'ampleur de la situation. L'eau montait et montait, ce qui était effrayant. Nous avons même essayé d'envisager différents scénarios avec de la cartographie pour essayer de comprendre où l'eau s'arrêterait et qui serait touché. Nous n'avions pas prévu ce genre de catastrophe, mais nous avions une grande chance à Gatineau d'avoir une culture de sécurité civile. La haute direction de la ville effectuait des simulations de crise une fois par an dans notre centre de mesure d'urgence, même si cela semblait inutile à certains. Cela nous a permis de nous préparer en amont. Nous avons effectué des achats qui ont été contestés à l'époque, comme l'installation d'un centre de mesure d'urgence au-dessus d'une caserne de pompiers. Cette immense salle vide, mais équipée de tables, de chaises, d'écrans de télévision et de bureaux pour les différentes missions, était inoccupée à l'année, mais nous nous y sommes retrouvés lorsque la catastrophe est arrivée. Ce centre a coûté 1,5 million de dollars, mais il a été utilisé de manière intensive à partir de 2017.

Le rôle de l'élu local est central dans la gestion de crise. En tant que maire, je devais être le chef des opérations en quelque sorte. Ultimement, je suis responsable de ce qui se passe. Si la ville réagit bien, c'est grâce à moi, si elle réagit mal, c'est à cause de moi. Toutefois, je ne suis pas le principal acteur. Ma responsabilité première est de m'occuper de ma population. Les villes ont une connaissance fine à la fois du territoire et des acteurs, ce qui fait leur force dans la gestion de crise. Nous connaissons les organismes communautaires qui peuvent offrir rapidement des services de nourriture, les organismes de logement qui peuvent aider les gens à se reloger et l'ensemble des partenaires sur le terrain. Cela donne un rôle extrêmement important à l'élu local, car nous avons une capacité d'action que les autres paliers de gouvernement n'ont pas. À la fin de la crise, lorsque les médias sont partis, le maire est encore là, la ville est encore là. La crise peut se prolonger pendant des années, car il y a un territoire à reconstruire. C'est pourquoi l'élu a été vraiment au cœur de tout cela.

Qu'avez-vous appris personnellement à propos de la gestion de crise lorsque vous êtes placé dans cette situation très particulière, après les premiers chocs ? Même s'il y a des professionnels autour, les responsabilités sont importantes et les regards sont tournés vers vous. C'est souvent à ce moment-là que l'élu local devient le référent, du moins s'il est présent et engagé.

J'ai énormément appris, ça nous transforme nous-mêmes, on ne s'attend pas à être projeté à l'avant-scène comme ça. J'ai appris à accueillir la souffrance humaine. Je ne sais pas comment le dire autrement, mais il y a beaucoup de gens qui souffrent, beaucoup de gens qui ont besoin d'aide, des gens qui disent : « Monsieur le maire, aidez-moi. ». Et parfois, nous sommes impuissants. Je me souviens d'une anecdote : une dame avait quitté son appartement avec juste un sac, et elle voulait y retourner pour récupérer ses biens, y compris la photo de ses parents. C'était une femme modeste. Souvent, le malheur frappe dans les quartiers pauvres. Cette dame voulait qu'on lui donne accès au bâtiment juste pour aller chercher quelques souvenirs, mais l'édifice menaçait de s'écrouler. J'ai donc interpellé le chef des pompiers pour voir s'il était possible de faire quelque chose, d'avoir une échelle, pour permettre à la dame d'aller chercher ne serait-ce que la photo de ses parents. La réponse a été non, car cela mettait la vie des pompiers en danger. Cette situation est difficile à gérer semaine après semaine, car ce n'est qu'une anecdote parmi des dizaines de situations similaires.

Le premier apprentissage, c'est d'essayer de gérer l’envoi de deux messages contradictoires en même temps. En tant que maire, je suis le chef, donc je ne dois pas être faible, je dois inspirer inspirer la force et la confiance, c'est-à-dire que votre ville s'occupe de vous. Mais en même temps, je dois être empathique, parfois même pleurer avec les gens, et partager leur peine. C'est difficile, car ce sont deux messages qui ne devraient pas être distincts, mais dans le monde d'aujourd'hui, ils le sont. En tant qu'élu local, nous sommes confrontés à cela, nous devons inspirer la force, mais en même temps avoir de la compréhension pour ce que les gens vivent et faire preuve d'empathie pour ne pas avoir l'air déconnecté de toute cette souffrance.

Peut-être avons-nous besoin de cela dans les situations de crise, mais peut-être aussi à l'avenir pour gérer les transitions de cette double posture d'élu référent qui rassure.

Je pense que le monde doit évoluer vers un état où l'on n'est ni fort ni faible, mais cela est difficile car les médias sont un prisme pour les élus. Nous sommes constamment jugés et une faiblesse ou une imperfection peut prendre des proportions immenses, surtout avec les médias traditionnels. Si l'on ajoute l'impact des réseaux sociaux, cela ne fait qu'aggraver les choses. Dès qu'il y a une rumeur, une imprécision ou une fausse nouvelle, il faut gérer les médias. La ville n'était pas prête pour cela. Le directeur de la communication a publié un tweet et mis à jour notre statut Facebook. Mais il y avait déjà un groupe de citoyens sur Facebook qui était organisé et qui était le site des victimes des inondations, c'était là où il fallait aller. Il y avait des milliers de personnes là-bas, c'était l'endroit où les choses se passaient, mais notre service de communication n'était pas conçu pour ça. Il peut arriver que des choses se passent sur certains réseaux sociaux, avec des citoyens influents, et il faut aller leur dire quand c’est inexact. La bataille de communication n'est plus la même aujourd'hui qu'elle ne l'était il y a 20 ans. Cela a été un immense apprentissage pour la communication en temps de crise.

Nous avons géré les risques urbains pendant des décennies, en modélisant les inondations et en nous basant sur des crues centennales comme référence. En deux ans, vous avez connu deux crues centennales, ce qui remet en question notre grille de lecture et notre capacité à anticiper face au réchauffement climatique. Comment pouvons-nous encore faire de la planification urbaine et avoir un projet politique face à ces aléas imprévisibles ?

Il est nécessaire qu'un concept dont on parlait peu auparavant devienne une obsession : la résilience, c'est-à-dire la capacité de s'adapter à peu près à n'importe quoi. Je vais donner un exemple où nous avons eu des pluies diluviennes ; trois des cinq pluies diluviennes des 100 dernières années ont eu lieu entre 2017 et 2018. Je me suis retrouvé dans une salle avec une cinquantaine de citoyens en colère, car ils ont déclaré que leurs sous-sols été inondés, que leurs caves été inondées, qu'ils avaient perdu des choses, des souvenirs, des biens, que la fondation de leur maison a été attaquée, et que la ville n'a pas fait son travail. Nous avons répondu que les normes ont été respectées lors de la construction de la rue et de la construction de la tuyauterie. Mais les normes n’ont plus de sens. Quand je dis « construire la résilience », je parle vraiment d'une vision d'avenir où l'on s'équipe, par une protection absolue des terres humides dans une ville et des endroits qui sont imperméables, désasphaltés, par exemple. Il faut des outils de ce type pour être capable de faire face à des choses qu'on ne pouvait pas imaginer avant. Parce que répondre au citoyen que la rue est conforme aux normes, qu'il n'y a pas de problème, ce n'est pas tellement gagnant, car ces citoyens ont perdu des fortunes. Il faut donc penser la ville autrement qu'avec des normes qui, avec les changements climatiques, n'ont plus de sens.

Cela change considérablement l'exercice démocratique habituel, où l'on était élu sur la base d'un programme avec des ambitions à réaliser dans l'avenir. Une fois élu, on élaborait des plans d'aménagement, on choisissait un scénario de croissance et on se donnait un avenir. Tout cela est remis en question, ce qui perturbe non seulement l'exercice démocratique, mais aussi l'urbanisme. Comment envisagez-vous cela aujourd'hui ?

Pas de la même façon, parce qu'il y a tellement d'imprévus. Par exemple, je parlais de résilience dans la façon de concevoir l'aménagement du territoire, mais il y en a aussi dans l'action des villes pour consolider la société civile, afin qu'elle fasse également partie de la résilience de la ville. Pour moi, s'il y a une chose que j'ai apprise, c'est qu'on peut faire confiance aux citoyens. Ils sont capables de se mobiliser, d'apporter des solutions et de sauver la maison de leur voisin. Ils sont une force de frappe extraordinaire. Nous avons mobilisé les citoyens pour qu'ils fassent des sacs de sable pendant les inondations, et leur capacité de production de sacs de sable a été extraordinaire. L'armée était jalouse de voir à quel point nous étions capables de produire des sacs dans un après-midi, parce que nous avons ouvert des arénas et des patinoires, et les gens venaient y faire des sacs. Pour moi, consolider la société civile doit faire partie du projet politique. Les associations de quartier doivent être financées, et nous devons avoir des outils pour nous mobiliser en cas de crise.

Les villes défendent leur autonomie et leur capacité d'aménager le territoire, notamment en fonction de leur réalité et de leur identité locale. Mais l'eau ne reconnaît pas les frontières municipales, les niveaux de juridiction et l'environnement. Nous ne sommes pas tellement conscients de cela, et il faut donc abandonner une partie de l'autonomie locale pour certains enjeux. Nous devons accepter une certaine perte d'autonomie locale pour éviter que nos villes ne soient inondées. Si l'eau n'a plus d'espace où aller, c'est parce que, sur 100 kilomètres en amont de Gatineau, nous avons détruit les espaces de liberté pour l'eau. Dans le projet, il faut donc tenir compte de cela. Cela change assez fondamentalement notre approche, car dans nos grandes batailles, l'autonomie de l'espace était notre principal objectif, mais avec les changements climatiques, l'autonomie est peut-être un problème, pas une solution.

Oui, la commune n'est pas nécessairement à la bonne échelle, ou du moins elle ne l'est pas pour résoudre les problèmes, donc il faut changer d'échelle et entrer dans des formes de dialogues très concrètes, peut-être en suivant le fil de l'eau.

J'aimerais qu'on continue un peu sur ce que j'appelle les "infrastructures sociales de résilience". On voit bien toute la différence entre les territoires qui vont passer correctement la crise, là où il y a des structures de solidarités locales, et ceux qui vont la vivre extrêmement mal. C'est sans doute là que l'échelle hyper-locale est importante. Comment peut-on revenir ou créer ces infrastructures sociales de résilience ?

Tout d'abord, il faut reconnaître que les citoyens d'aujourd'hui n'ont jamais été aussi instruits ni aussi bien outillés pour communiquer. Cela signifie qu'ils ont des capacités qu'ils n'auraient pas eu auparavant. Pour donner un exemple, nous nous préparions, en tant que ville, à vendre un terrain que nous considérions comme excédentaire, c'est-à-dire que la ville n'avait aucune utilisation pour ce terrain. Des citoyens se sont mobilisés en disant que ce terrain était stratégique. Dans l'organisation citoyenne qui nous a demandé de ne pas vendre le terrain, il y avait des biologistes et un archéologue qui ont parlé de traces d'occupation autochtones à cet endroit. Ils étaient extraordinaires, leur connaissance du terrain était plus fine que celle de nos fonctionnaires, qui ont regardé la situation du point de vue de l'utilité de la ville. Par exemple, ils ont peut-être vu le terrain comme un bon endroit pour le développement immobilier de loisirs, donc ils l'ont vendu à une entreprise privée, qui a ensuite fait ce qu'elle voulait. La consolidation de la société civile consiste à avoir des associations de quartier qui disposent d'outils et de moyens. Les rencontres de l'exécutif étaient publiques, les gens ont vu l'ordre du jour et les documents sur la vente du terrain. Ainsi, la transparence leur a permis de savoir que cela allait se produire.

Pour moi, la transparence est un outil de résilience, car elle permet à plus de gens de nous avertir si nous faisons des erreurs, de souligner nos bons coups, etc. La vie démocratique est plus saine lorsqu'il y a cette transparence. C'était aussi une association qui avait des moyens, financée en partie par la ville. Je pense que cela représente un avenir intéressant, car il y a des gens qui ont envie de contribuer et qui ont les compétences pour le faire. J'aime beaucoup l'expression "expertise d'usage". Personne ne connaît mieux sa rue que le citoyen qui y habite. Pour une ville, il est donc judicieux d'aller vers les citoyens et de chercher cette connaissance pour en faire un projet collectif. C'est également une façon d'être résilient, car lorsque nous avons des décisions difficiles à prendre, non seulement lorsque la crise frappe, mais aussi lorsque nous devons éviter une crise, un citoyen a souvent des solutions intéressantes.

La question de la mobilisation des citoyens se pose également, non seulement pour la résilience, mais aussi pour les transitions. Le terme est moins couramment utilisé au Québec qu'en France, mais il s'agit bel et bien de changements de comportement, que ce soit pour les individus, les organisations ou les entreprises, qui sont structurants et qui permettent de répondre aux enjeux climatiques. Nous constatons que ces changements peuvent s'enchaîner extrêmement rapidement. Une fois de plus, la question se pose : quel est le nouveau rôle d'une collectivité locale, d'une commune, d'une ville de 300 000 habitants comme Gatineau dans l'organisation de ces transformations et de ces changements de pratiques ?

À mon avis, nous avons une capacité de communication qui est plus grande que celle des gouvernements nationaux, car il est plus facile de convaincre. Nous étions très fiers de devenir la meilleure ville cyclable du Canada, d'être la ville la plus accueillante pour les vélos, mais ce n'était pas facile. Il y a eu un dialogue constant avec la communauté, avec les gens qui ne voulaient pas qu'on installe une piste cyclable ou qu'on réduise la largeur de la rue. Combien de fois ai-je entendu : "Vous avez détruit de belles rues !" Oui, mais il y a moins d'asphalte, plus d'herbe, des vélos, plus de gens en bonne santé, etc. Nous avons gagné sur tous les plans, mais les gens ne le reconnaissent pas nécessairement. Ce dialogue s'est déroulé au niveau local. Pour moi, les communautés et les villes ont fait en sorte que les gouvernements devaient s'appuyer sur elles pour que ce dialogue ait lieu. C'est la ville qui peut favoriser le mieux-vivre ensemble, même si la ville n'a aucun pouvoir ou responsabilité en matière d'immigration. Les immigrants n'arrivent pas au Canada ou au Québec, ils arrivent dans un quartier, sur une rue. C'est chez nous que cela se passe. Selon moi, c'est l'un des grands rôles qui se renforcera avec le temps, la capacité de dialoguer, pas seulement pour l'aménagement du territoire, mais pour faire des choix courageux. Les dialogues, c'est au niveau local qu'ils se produisent, c'est là que c'est possible. À certains égards, je pense que ce n'est même pas possible à d'autres niveaux, car c'est souvent polarisé, la droite contre la gauche, les bons contre les méchants. Alors qu'au niveau local, ce sont des voisins qui se parlent.

La question du stationnement est souvent source de polarisation, que ce soit en France ou au Québec. Cela ne dépend pas seulement de la proximité géographique, mais cela affecte aussi la nature des échanges et la façon dont on se parle.

Pendant vos deux mandats agités, vous avez sans doute eu beaucoup de discussions et vous avez décidé de ne pas vous représenter en 2021. Rien que cela pourrait justifier une conversation, étant donné que vous n'avez pas atteint l'âge de 80 ans et que vous avez déjà accompli deux mandats. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi vous avez pris cette décision, ce que vous avez fait depuis et comment cela pourrait inspirer un dialogue démocratique plus dynamique ?

Ce fut une décision très difficile. J'ai été conseiller municipal pendant quatre ans et maire pendant huit ans, soit un total de 12 ans au conseil municipal. Je ne cache pas que les cinq crises survenues en cinq ans n'ont pas facilité la tâche. C'est un peu comme si j'avais accompli trois mandats, plutôt que deux.

Pendant tout ce temps, j'étais minoritaire en politique, donc la vie politique n'était pas saine non plus. Même sans les crises, cela n'avait pas été facile. J'ai atteint les limites de mes capacités et ma banque de patience était vide. Je ne pouvais plus assumer une partie de la fonction de maire. Je pense qu'il est sain de démissionner après huit ans - en fait, douze ans - même si je n'ai pas eu le temps d'appliquer mon programme. J'ai adoré toute ma vie politique, mais à un moment donné, j'ai réalisé que je ne pourrais plus tolérer certaines choses. Il y a des sujets dont je ne voulais plus parler, comme la gestion des déchets, les nids-de-poule, les dos-d'âne, le stationnement, les gares de stationnement, car cela ne m'intéressait plus. Quand on n'est pas prêt à assumer l'ensemble de la fonction de maire, c'est peut-être le moment de partir. C'est pourquoi j'ai décidé de démissionner et de dire que mon temps était venu.

Le temps était venu de faire autre chose, armée de cette expérience aussi. Vous n’avez pas non plus arrêté de prendre la parole aujourd’hui ?

Non, je le fais beaucoup, mais en politique, ce qui est un peu triste, c'est qu'on manque de temps pour penser et réfléchir. Si on n'a pas réfléchi avant, c'est un problème, car pendant l'action, il est rare d'avoir le temps de prendre du recul et de porter un regard détaché. Depuis un an et demi maintenant, j'écris beaucoup, je réfléchis, je suis chroniqueur pour le plus grand quotidien au Québec, où je produis deux textes par semaine. J'adore ça, car je suis dans ma maison, vous voyez ma bibliothèque derrière moi, j'ai le temps de réfléchir, j'écris une première version, je consulte des gens. Je prépare un livre qui sera publié cet automne, car l'expérience acquise est précieuse, et j'ai trouvé intéressant de la transmettre. Je donne également des conférences, où j'ai l'impression de rendre justice aux sinistrés en transmettant les erreurs et les bons coups que nous avons faits. Je m'assure qu'il y ait le plus d'élus locaux au Québec qui soient au courant des risques et des outils à notre disposition pour y faire face. Je continue d'être présent dans l'espace public, mais d'une autre façon.

Avez-vous un dernier conseil à donner aux élus locaux de tous les bords du Québec et d'ailleurs pour naviguer dans ces eaux troubles pendant les 30 prochaines années turbulentes qui nous attendent ?

Ça peut paraître cliché, mais il est important de parler avec les gens, d'être près d'eux et d'échanger avec la communauté. Pendant les crises, j'ai vu des gens accomplir des miracles pour aider leurs voisins, dépenser de l'argent, prêter des machines à des personnes qu'ils ne connaissaient même pas. Il y a une générosité extraordinaire.

Je crois que toutes les décisions que nous prenons sont meilleures si nous avons parlé aux gens sur le terrain, à ceux qui vont vivre avec la décision, à nos propres employés qui vont l'appliquer, et qui connaissent souvent la mécanique mieux que leur propre patron. Il est donc important de parler aux gens sur le terrain, de parler aux citoyens constamment, de faire du temps à l'agenda. Il ne s'agit pas seulement de serrer des mains pour gagner des élections, mais de discuter de la direction que prend la ville et de celle qu'elle devrait prendre.

Je finis avec une anecdote. Nous avons organisé une consultation publique sur le plan directeur vélo, le plan d'investissements des quatre prochaines années de la ville de Gatineau en matière de vélo. On faisait des farces parce que ça sentait la transpiration dans la salle où la consultation avait lieu, car tout le monde était venu en vélo. Mais notre plan directeur s'est amélioré de façon extraordinaire grâce aux experts d'usage qui nous ont dit où se trouvaient les problèmes, où c'était dangereux et où se trouvaient les familles. Nous avons donc déplacé un peu d'argent pour répondre à leurs besoins.

Pour moi, parler avec les gens est vraiment ce qui nous permet de prendre de meilleures décisions. Dans la gestion de crise en particulier, cela nous permet de comprendre et d'exprimer la douleur des gens, de les rassurer en leur expliquant les mesures que nous allons prendre pour répondre à leurs craintes. Cette proximité avec les citoyens est notre plus grand atout, et c'est ce qui nous rend efficaces et compétents dans notre rôle d'élus locaux.

Et c'est sans doute ce qui rend la fonction ou la responsabilité passionnante. Peut-être, pour conclure, avez-vous en tête une référence de livre à conseiller pour les auditeurs ? Nous parlerons bien sûr de votre ouvrage qui sort très prochainement, mais si nous devions lire autre chose, qu'est-ce que ce serait ?

Je recommande vivement de lire beaucoup. J'ai personnellement lu beaucoup de choses écrites par d'anciens maires, tels que l'ancien maire de Sherbrooke et l'ancien maire de Québec, Jean-Paul L'Allier, qui ont écrit sur le monde municipal. Cependant, cela dépend de ce qui est applicable chez vous. Lire les expériences précédentes est très utile. Par exemple, j'ai écrit un petit livre sur la participation citoyenne, décrivant l'expérience de Gatineau. Ce sont des exemples d'implication citoyenne qui ont transformé Gatineau et la région. Pour moi, il est important d'étudier les expériences d'ailleurs. Bien qu'il n'y ait pas de livre en particulier, lire des ouvrages sur le monde municipal est très instructif. C'est l'une de mes motivations pour écrire un nouveau livre, car il existe peu de livres qui parlent de l'action locale, de l'action communautaire et de l'action sur le terrain. Il est donc important d'aller chercher les rares livres qui existent et de s'en inspirer.

Pour aller plus loin : Libérer les villes. Pour une réforme du monde municipal, par Maxime Pedneaud-Jobin