Démocratie locale 2032
Animation pour Sylvain Grisot et Hermeline Sangouard pour l'Institut Kervégan (2018) : première expédition dans les futurs de la démocratie locale !
Tout est parti d’un sentiment confus partagé par un petit groupe d’individus curieux. On avait mal à notre démocratie — comme beaucoup — mais aussi la sensation que commençaient à germer localement quelques graines d’un futur plus propice à un débat apaisé et utile. Ce genre de débat oublié (mais peut être juste rêvé) qui permettrait de poser collectivement les vraies questions, d’explorer ensemble toutes les réponses possibles et de faire finalement de meilleurs choix.
Nous avons donc décidé une première expédition vers les futurs de la démocratie locale. Quelques invitations à se joindre à nous ont été lancées à un groupe hétéroclite de gens qui promettaient d’êtres passionnants.
Et là, première surprise : tous furent intéressés. A notre invitation elliptique, la réponse fut systématiquement positive. Manifestement, le constat d’un problème était partagé. Restait maintenant à trouver dans les futurs quelques solutions valables à ramener au présent.
Voici un bref rapport de mission à l’issue de cette première expédition des futurs de la démocratie locale. Une expédition qui — vous le verrez — ne nous a pas encore permis de trouver LA solution.
Fixer le cap : 2032
Impossible de partir à 17, nous devions donc voyager en petits groupes. Il était alors essentiel de bien préciser notre destination, pour ne pas courir le risque d’en perdre quelques-uns en route. Pour être honnête, celui-ci était réel : l’exploration était la première du genre, et une telle expérimentation ne nous mettait pas à l’abri d’éventuels incidents.
C’est donc vers 2032 que nous allions mettre le cap, une date plus proche risquant de nous cantonner à l’observation d’un présent juste un peu passé, et une cible plus lointaine faisant immanquablement dériver vers des délires interplanétaires. Or tout ceci devait rester sérieux à défaut d’être scientifique ! Bref, pas aujourd’hui du tout, résolument demain, mais pas non plus après-demain. Et pourquoi précisément 2032 ? Parce qu’en 2032 tout sera possible, que 2030 serait un peu petit-bras, et 2035 franchement prétentieux. Voilà.
L’objectif : le nouveau débat démocratique local
Et qu’allions-nous chercher là-bas finalement ? Les traces d’un nouveau débat démocratique qui prend corps localement autour de projets ancrés dans le territoire. Le national et ses débats sans fin sur des textes législatifs sera laissé à d’autres, nous nous concentrerons sur les projets locaux, le réel, le tangible, le quotidien, l’utile.
Mais à quoi pourrait bien servir le débat sur les projets locaux ? Que partir chercher en 2032 ? Beaucoup de choses finalement :
Le débat pourrait permettre à chacun de comprendre les enjeux d’un projet, de découvrir par la transparence des échanges, ses complexités, ses subtilités. Il permettrait aussi de susciter l’engagement et l’envie de se mobiliser.
Il pourrait ensuite servir à construire collectivement les projets. A échanger sur les besoins, et usages, et à assurer la meilleure façon d’y répondre par le projet.
Mais le débat pourrait aussi permettre d’aller jusqu’à assurer collectivement les prises de décision, dans un partage subtil du pouvoir entre citoyen, expert et élu.
Il faudrait aussi que les termes soient clarifiés. Le débat est aujourd’hui trop souvent confondu avec la juxtaposition de points de vue. Est-ce que dans le futur, chacun assumera le risque de changer d’avis en participant aux échanges ?
Rapport de mission
Les préparatifs finis, nous sommes enfin partis pour un temps trop court d’exploration des futurs. Chaque groupe est allé observer les débats autour d’un projet sensible (et explosif) de stockage d’hydrogène en plein centre-ville pour répondre aux besoins des véhicules du futur.
Évidemment, tout ne s’est pas précisément passé comme prévu, mais au bout de quelques heures, tout le monde était finalement à nouveau… présent. Voici ces différents futurs qu’ils ont rapportés de leurs explorations :
Futur #1 / 2032 : Le temps de l’IA
Les avancées technologiques récentes ont permis de complètement réorganiser le processus de débat démocratique local, permettant un apaisement réel des tensions connues dans les années 10 et 20.
Au cœur de ce système redevenu vertueux, des experts hautement qualifiés collectent les données nécessaires à la réflexion, puis paramètrent les algorithmes nécessaires à l’élaboration des projets. C’est l’intelligence artificielle qui — seule — pose les bonnes questions, explore les réponses possibles de manière exhaustive et procède aux arbitrages les plus opportuns. Finis les conflits, les arguties sans fin et les mauvaises décisions : l’IA permet d’avancer de façon apaisée dans une direction qui est toujours la bonne.
Une fois la décision actée, c’est aux élus locaux (via leurs avatars) d’assumer leur nouvelle et unique responsabilité : convaincre la population que la décision prise est la bonne. Ils disposent pour cela d’outils fantastiques avec les réseaux neuronaux, une évolution radicale de nos antiques réseaux sociaux, permettant d’accéder directement au cerveau de chacun.
Futur #2 / 2032 : Prendre le temps
En 2032, un consensus a été trouvé non seulement pour le projet de station hydrogène du centre-ville de Nantes, mais pour TOUTES les stations hydrogènes de TOUTES les villes du monde.
C’est un résultat exceptionnel pour une technologie si controversée, mais qui ne doit rien au hasard. La démarche a été engagée en secret par un petit comité de comploteurs lors d’une rencontre le 19 novembre 1974 : la réunion dite « alpha ». Sur cette base solide, les échanges ont été peu à peu élargis à de nouveaux participants au cours de milliers de réunions organisées pendant un peu moins de 60 ans. Il fallait au moins ça.
Ces réunions ont permis à plus d’un milliard de citoyens d’échanger sur le sujet, mais pas sans condition : avant toute participation, chacun devait suivre une formation certifiée, sur les modalités de débat et les enjeux technologiques au cœur du projet.
Un engagement personnel important pour chacun d’entre eux, qui fut sans doute facilité par l’attribution gratuite d’un véhicule hydrogène.
Ce véhicule fut d’ailleurs fourni par l’opérateur industriel qui bénéficia par la suite de la concession mondiale sur les stations.
Futur #3 / 2032 : L’éducation démocratique
L’impasse dans laquelle était engagée la démocratie locale des années 20 a finalement provoqué une prise de conscience collective, débouchant sur une réforme radicale du système éducatif.
Les cours d’éducation démocratique et les travaux participatifs sont désormais déployés de manière obligatoire dès le CP, permettant de bénéficier aujourd’hui de l’implication d’une première génération de jeunes citoyens réellement acculturés à la participation au débat démocratique. Une culture du bien commun est désormais largement diffusée dans toutes les sphères (école, famille, entreprises, collectivités…), tout en laissant à chacun le droit de ne pas avoir d’avis et de ne pas participer.
Les débats locaux prennent désormais place dans l’Agora, un espace convivial aménagé au cœur de chaque cité — doublé d’un pendant numérique — qui permet à chacun de participer aux débats locaux. Des échanges largement augmentés par une Intelligence Artificielle (développée en open source) capable d’organiser les débats et de faire émerger un positionnement collectif de la masse des avis individuels.
Chaque projet fait ainsi l’objet d’un processus de mise en débat très codifié dont les règles sont clairement explicitées au démarrage. Un débat initié très tôt par l’analyse collective des besoins, mais portant aussi sur un champ très large, avec une mise en débat du projet comme de ses alternatives.
Les échanges sont organisés par une structure garante composée d’élus de tous bords, dont la mission n’est pas de procéder aux arbitrages, mais d’assurer au débat les meilleures conditions en garantissant notamment une transparence totale des informations.
Futur #4 / 2032 : Croiser les cercles
En 2032, le rôle de l’élu n’est plus de décider, mais de poser les bonnes questions. C’est un élu qui a lancé le débat à Nantes, et cherchant une façon de résoudre définitivement la question de la qualité de l’air au centre. En préalable au lancement des débats, un groupe d’experts a analysé la situation et posé les termes de celui-ci, permettant de démarrer par des questions clairement posées.
Les échanges ont lieu dans plusieurs « cercles » qui dialoguent régulièrement entre eux : le grand public évidemment, qui dispose d’espaces physiques et numériques pour échanger, mais aussi une commission des habitants, une autre des groupes constitués et enfin celle des experts mobilisés au démarrage et qui reste impliqués tout au long du processus.
Les habitants impliqués dans la commission ont été tirés au sort comme des jurés d’assise. Ils bénéficient d’une autorisation d’absence de leur travail et d’une indemnisation. Tous suivent aussi une formation spécifique avant et pendant le processus de débat.
Le débat devrait permettre d’aboutir à un résultat consensuel, il établira sinon les alternatives possibles et l’arbitrage aura lieu par référendum, sur la base d’un processus permettant de justifier clairement la décision prise.
Organiser une nouvelle expédition ?
Soyons francs, cette expédition était un peu comme une bonne partie de pêche : on part avec des ambitions folles mais on revient avec juste deux petites prises au fond du sac. On finit par manger des saucisses grillées à défaut de poisson mais on passe un super moment, et on se quitte en se disant qu’il faut remettre ça rapidement. Ce n’était donc que le premier chapitre.
Quelques pistes émergent tout de même et serviront de plans de vols pour notre prochaine expédition :
- Débattre est-il vraiment intuitif ? la culture collaborative ne doit-elle pas s’apprendre ?
- Les outils numériques, l’intelligence artificielle semblent de magnifiques opportunités… mais quelle part de risques?
- Quelles relations entre espaces numériques et débat réel ? Quels nouveaux lieux pour une démocratie locale vivifiée ?
- La présence de tiers de confiance est-elle suffisante pour garantir la qualité des débats?
- Reste sans doute à préciser pas mal de choses : les différentes typologies d’acteurs et leurs rôles dans les débats, les méthodes et les outils, le rôle des élus…
L’occasion d’organiser une nouvelle expédition ? Voire de dénicher un lieu pour commencer à bâtir cette démocratie locale de demain…
Sylvain Grisot et Hermeline Sangouard pour l’Institut Kervégan / 05–2018
Vif remerciements pour leur participation à Emilie, Stéphane, Michel, Bassem, Sébastien, Florent, Yannick, Ségolène, Gilles, Alexandra, Marion, Clement, Morgane, Bertrand et Claire.