⏳ Aux rythmes du marché Jean Talon

⏳ Aux rythmes du marché Jean Talon

On sent sa présence avant même de le voir, par la multiplication des commerces de bouche et le flux des passants qui converge vers lui. J’aimerais pouvoir écrire que c’est le cœur de la ville et qu’elle bat à son rythme, mais la métaphore a ses limites. Le marché Jean Talon est évidemment l’estomac de Montréal. Implanté au cœur de la Petite Italie, il va bientôt fêter son centenaire, mais il a bien changé depuis ses débuts. C’est dans le bâtiment qui accueille aujourd’hui une vaste boulangerie que tout a commencé. C’était déjà la troisième vie de cette ancienne gare de bus, devenue entre-temps bibliothèque. De vastes allées couvertes sont ensuite venues compléter l’ensemble, jusqu’à la construction du bâtiment principal au tournant du siècle.

Jean Talon, c’est une infrastructure essentielle de la ville qui — comme souvent — semble aller de soi. Pour les utilisateurs qui le fréquentent, le marché ne se limite pas à ses seuls volumes bâtis. Jean Talon, c’est tout un quartier, et regarder en coupe une des rues adjacentes illustre parfaitement la complexité de son organisation en la multiplicité des acteurs qui s’y croisent. D’abord, les boutiques privées qui bordent le marché, implantées dans les fonds de parcelles des logements adjacents. Les trottoirs ensuite, largement encombrés par des étals et des terrasses au statut incertain. La rue, gérée par l’arrondissement de Rosemont la Petite Patrie. Et le marché Jean Talon enfin, propriété de la ville, mais dont la gestion est déléguée à un organisme à but non lucratif dédié, dont le conseil d’administration est composé de cinq marchands et de cinq habitants. Les Québécois n’ont a priori pas cette appétence pour les gouvernances tortueuses, mais ce niveau de complexité est probablement une nécessité pour gérer un espace qui vit plusieurs vies à la fois.

Car ce n’est pas d’un seul battement que Jean Talon rythme la vie montréalaise. Aux rythmes de chacune des productions agricoles s’ajoutent ceux des plantations du printemps, du Nouvel An juif, de la dinde, des chrysanthèmes, de l’agneau, de la fête des Mères, de celle du travail, et de toutes les autres… Jean Talon change donc de produits, de commerçants et de clients selon ces rythmes emmêlés, mais il change aussi de forme en fonction des saisons. En octobre, dès les premiers froids de l’hiver, les marchands se replient et le marché calfeutre ses allées de grands murs isolants, réduisant sa surface au bâtiment principal et à l’allée centrale. À l’extérieur, les voitures prennent possession des abords. C’est au printemps que le marché reprend ses aises. Les murs disparaissent et les étals s’étalent sous les toits de béton des allées et les toiles bigarrées tendues par les marchands. Avec l’été, le marché se fait hors les murs, et conquiert les rues adjacentes en repoussant les voitures au loin. La foule peut alors envahir les lieux.

Aujourd’hui, l’enjeu est de fluidifier ces mues saisonnières en repensant l’utilisation de ces murs temporaires et en minimisant les manipulations des étals. Mais il est aussi question d’ouvrir plus encore le marché au quartier et à la ville, en pacifiant les rues qui l’entourent. Alors on verra plus tard ce que sera la prochaine étape de la longue et belle vie de Jean Talon, mais il témoigne déjà des immenses potentiels de certains espaces urbains, pour peu qu’on prenne le temps d’en suivre les rythmes. Le travail du temps de la ville est une formidable opportunité pour intensifier les usages des espaces, mais aussi parfois de ralentir pour favoriser leur rencontre. Mais ne nous y trompons pas, si travailler les temps ne nécessite pas de construire, ce n’est pas plus simple. Mais si nous entrons bel et bien dans la fin de l’abondance constructive, c’est sans doute aussi le moment d’affronter la complexité des modes de gestion, des partages, des mixités, des gouvernances et de l’humain. Mobilisons les passeurs, les traducteurs et les assembliers pour tisser tous les temps de la ville.

— Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)

PS : Vous aimez les cartes ? Nous aussi ! Et vous adorez le Finistère ? Alors celles-ci vont vous plaire ! Plus que quelques jours pour commander les (magnifiques) cartes amoureuses de son littoral. (Grrr)

PS 2 : Un nouveau webinaire de dixit est organisé le 10/11 à 13h. Nous y recevrons Clémence de Selva, Sophie Jeantet et Philippe Bihouix qui nous parlerons de leur ouvrage juste publié "La ville stationnaire". N'hésitez pas à vous inscrire !

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Rencontre avec Nicolas Fabien-Ouellet, qui est directeur général de la Corporation de gestion des Marchés publics de Montréal. La corporation est mandatée par la Ville de Montréal pour gérer une série de marchés visités annuellement par 3 millions de personnes, dont le Marché Jean Talon, un des plus vieux marché public de Montréal, et un des plus important d’Amérique du nord.  Ce marché témoigne des immenses potentiels de certains espaces urbains, pour peu qu’on prenne le temps d’en suivre les rythmes.

📅 Jusqu’au 6 novembre, exposition à Lille sur les Villes Vivantes : histoires des réconciliations entre ville et nature. (WAOO Centre d’architecture et d’urbanisme)

🎙 ️Emission. Contre l’artificialisation des sols, les maires sont-ils prêts ? Comment éviter de passer d'une extrême à l'autre, du “maire bâtisseur” au maire élu.e pour tout arrêter ? Réactiver les logements vacants, proposer de l’habitat individuel groupé, transformer des friches… Il y a souvent déjà bien assez dans l’espace urbain existant pour répondre aux besoins. L'occasion de découvrir un excellent rendez-vous sur France Culture.  (Les enjeux territoriaux)

📤 PLU discriminant ? En priorisant les “single-family houses”, la réglementation urbaine de nombreuses villes américaines placent les personnes racisées aux franges de leur ville, hors des quartiers résidentiels maisons-SUV-pelouse tondue. Bien sûr, la réglementation ne mentionne pas la couleur de peau, mais en faisant des zones strictement réservées à la maison individuelle, elle perpétue la ségrégation raciale des espaces. In English. (Star Tribune)

⚠️ Sans transition. Court billet, mais intéressant, sur les termes alliés à l’écologie. Le mot “transition”, par exemple, paraît anachronique, alors qu’on a envie d’appuyer sur le bouton d’arrêt d’urgence. Tout comme “développement durable”, teinté de greenwashing. Ce sont des termes qui inquiètent, car ils donnent l’impression d’un simple effet cosmétique, sans que l’action associée aille jusqu’à réinterroger les fondements. Alors on emploie de nouveaux mots : Révolution ? Bifurcation ? Redirection ? (Topophile)

📖 Refaire le mur, peintures murales dans l’espace public (éditions 303, 2022) Encore une belle édition pour cette revue culturelle des Pays de la Loire. Evidemment, le thème de ce semestre laissait présager de très belles photos, archives d’œuvres dont l’essence est d’être éphémère. Des articles sur l’histoire du street-art, de son illégalité à sa récupération (parfois, dans certains espaces et sur certains murs) par les pouvoirs publiques, mais aussi de son rôle lors de la rénovation d’un quartier populaire, par la mise en scène du passé et de l’avenir. Enfin, quelques bifurcations pour aller voir du côté de la publicité géante peinte sur les murs lors des Trente Glorieuses, ainsi que les trompes l’œil un peu vieux jeu, mais qui nous rendent si nostalgiques.

dixit.net est une agence de conseil et de recherche urbaine. Tous les mercredis, nous décryptons les grands enjeux de la ville et de ses transitions. Si vous la lisez pour la première fois, c'est le moment de dixit.net est une agence de conseil et de recherche urbaine. Tous les mercredis, nous décryptons les grands enjeux de la ville et de ses transitions. Si vous la lisez pour la première fois, c'est le moment de vous abonner à cette newsletter.