GIEC S6E2 : Impacts, adaptation et vulnérabilités vis-vis du changement climatique
Voici le second épisode de la synthèse du 6e rapport d'évaluation du rapport du GIEC que nous propose Valérie Masson-Delmotte sous la forme d'un fil de tweets reproduits ici de façon plus lisible. Les autres épisodes sont ici :
Merci à elle pour ce travail !
La perception des risques liés au changement climatique augmente, en Europe et ailleurs, mais fluctue, selon l'occurrence d'évènements extrêmes près de chez soi, selon la couverture médiatique des enjeux liés au climat.
Beaucoup de personnes sous-estiment les risques liés au changement climatique, par rapport aux évaluations scientifiques, tout particulièrement par rapport aux effets graduels, chroniques, insidieux, et connaissent mal les possibilités d'action vis-à-vis de l'adaptation.
L'adaptation, c'est agir pour limiter les conséquences d'un climat qui se réchauffe; c'est complémentaire de l'atténuation, qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre, et donc agir sur la cause du réchauffement.
Un rapport du GIEC, c'est un travail colossal de centaines de scientifiques pour passer en revue l'état des connaissances dans les publications scientifiques, et qui bénéficient de commentaires de milliers d'autres scientifiques.
Le résumé fait l'objet d'une approbation mot par mot par les représentants de ts les pays, méticuleuse, pour s'assurer qu'il reflète de manière équilibrée et claire les conclusions de l'évaluation approfondie des différents chapitres.
Voir : enb.iisd.org/55th-session-i…
55th Session of the IPCC (IPCC-55) and 12th Session of Working Group II (WGII-12) As a summary of impacts across both human and natural systems, the latest IPCC report, “Climate Change 2022: Impacts, Adaptation and Vulnerability,” recounts widespread losses and damages to nature an…https://enb.iisd.org/55th-session-intergovernmental-panel-climate-change-ipcc-55-12th-session-working-group-II
Le constat d'ensemble est clair : le changement climatique est une menace pour le bien-être humain et la santé planétaire, avec une petite fenêtre d'opportunité pour déployer rapidement les solutions existantes, évaluées dans ce rapport.
L'analyse de risques (potentiel de conséquences néfastes pour les systèmes humains et naturels), et la gestion de risques jouent un rôle de + en + central dans la recherche, la pratique, et la prise de décision.
Les aléas (facteurs climatiques générateurs d'impacts) évoluent selon l'ampleur du niveau de réchauffement planétaire, et sont évalués dans le rapport du GIEC sur les bases physiques du changement climatique.
Nous en sommes déjà à +1,1°C de réchauffement dû à l'influence humaine (par rapport à 1850-1900), un niveau de +1,5°C est attendu à court terme, la suite dépend des émissions de gaz à effet de serre à venir, voir aussi interactive-atlas.ipcc.ch :
IPCC AR6-WGI AtlasIPCC Assestment Report 6 Atlashttp://interactive-atlas.ipcc.ch/
Si les scénarios de très forte hausse d'émissions sont - plausibles maintenant (politiques publiques, progrès technologiques pour produire de l'électricité bas carbone abordable...), on ne peut pas exclure un niveau de réchauffement de +2°C d'ici 2050, +3°C d'ici 2100 en cas d'émissions mondiales qui stagnent à un niveau proche de l'actuel encore quelques décennies, voire +4°C en cas de réponse maximale du climat. Les risques résultent des aléas, de la vulnérabilité et de l'exposition à ces aléas (y compris des effets composites ou en cascade, par exemple via les écosystèmes, ou d'une région à l'autre). Les réponses (adaptation, maladaptation) peuvent les réduire ou les exacerber.
L'évaluation de ce rapport met l'accent sur un certain nombre de risques clés.
L’influence humaine sur le climat entraîne des changements des caractéristiques régionales des facteurs climatiques générateurs d’impacts, qui affectent à leur tour les systèmes sensibles au climat…
Les risques dépendent des choix socio-économiques, des actions en matière d’adaptation, et des facteurs climatiques générateurs d’impacts, en fonction de l’amplitude et la vitesse du réchauffement planétaire.
Ce rapport témoigne d'une compréhension plus fine des interconnections entre l'état du climat, celui des sociétés, le bien-être, et l'état des écosystèmes et de la biodiversité.
Il reflète une montée en puissance de l'adaptation au changement climatique, qui vise à réduire les risques et la vulnérabilité, renforcer la résilience, améliorer le bien-être et la capacité d’anticipation et réussir à faire face aux changements.
L'adaptation peut avoir divers objectifs (ex : santé, sécurité d’approvisionnement en eau et sécurité alimentaire, emplois, lutte contre l’extrême pauvreté, équité sociale, biodiversité et services écosystémiques) et mobilise de multiples acteurs …
Différents acteurs sont davantage impliqués, selon les régions :
Il y a un foisonnement de production de connaissances sur l'adaptation (recherche académique, analyses appliquées, pratique, expérimentation, projets, politiques publiques...).
Mais le financement de la recherche sur l'adaptation est très inégal, avec un déficit de financement et de participation pour certaines régions particulièrement vulnérables.
Différentes formes d'adaptation sont mises en oeuvre :
Le plus souvent de manière réactive, n'intégrant pas la dynamique des risques, conduisant, lorsque les limites de l'adaptation sont dépassées, à des pertes et dommages croissants, prenant différentes formes.
En dépit des efforts d'adaptation, on observe des impacts généralisés (ici, une analyse par apprentissage artificiel de plus de 70 000 publications).
Les capacités d’adaptation, dommages, niveaux de préoccupation et vulnérabilités sont contrastés au sein de l'Europe (et entre les différentes régions du monde).
Avec 1,1°C de réchauffement planétaire, les facteurs générateurs d'impacts ont déjà changé en Europe...
... interagissant avec les vulnérabilités socio-écologiques et donnant lieu à une prolifération d'impacts attribués au changement climatique en Europe.
Comme partout, avec des perturbations dangereuses et généralisées des écosystèmes (mortalité d'arbres, d'espèces marines...) affectant la vie, les moyens de subsistance, les infrastructures essentielles pour des milliards de personnes.
Le pourtours de la Méditerranée est un « hotspot » de risques climatiques étroitement interconnectés (forte vulnérabilité, aléas forts, limites aux capacités d’adaptation), avec déjà une augmentation des impacts négatifs observés.
L'urbanisation renforce les extrêmes chauds, et le ruissellement associé aux pluies extrêmes : les impacts sont amplifiés dans les villes, où vit la moitié de la population mondiale.
L'occurrence d'événements extrêmes simultanés augmente, aggravant le risque global, plus difficile à gérer.
Les impacts d'un évènement ponctuel (ici l'exemple d'inondations en Thaïlande) se propagent le long des filières d'approvisionnement.
Ainsi, les risques associés aux inondations fluviales ou côtières en Europe peuvent se propager à l'ensemble du système financier mondial.
L'utilisation non durable des ressources naturelles, la destruction des habitats, la déforestation, l'urbanisation croissante, les inégalités et la marginalisation réduisent les capacités d'adaptation des écosystèmes et des communautés qui en dépendent. Aujourd'hui, 3,3 à 3,6 milliards de personnes vivent dans des "points chauds", où la vulnérabilité au changement climatique est particulièrement élevée.
Vulnérabilité et fragilité des états s'y conjuguent.
Dans ces régions, l'absence de ressources pour l'adaptation peut faire des conséquences du changement climatique un piège de pauvreté.
De nombreux risques liés au climat augmentent avec chaque incrément de réchauffement planétaire supplémentaire.
Voici une synthèse, à l'échelle mondiale, de l'évaluation des risques en fonction de l'ampleur du réchauffement.
Avec une synthèse des principaux risques par région. En Europe, par exemple, l'adaptation progresse, mais reste insuffisante face à la rapidité des changements.
En Europe comme ailleurs, l’augmentation des risques avec le niveau de réchauffement planétaire peut être limitée par des stratégies ambitieuses d’adaptation, par exemple pour les extrêmes chauds pour les pertes de production agricole, ...
... pour les pénuries d'eau, ...
...pour les inondations continentales et côtières.
En Europe, les pertes et dommages résultants de risques composites et simultanés pourraient quadrupler entre 1.5°C et 3°C de réchauffement planétaire.
Ces quantifications sous-estiment les coûts complets (+impacts biophysiques, éventualités à faible probabilité d’occurrence mais fort impact). L’adaptation peut réduire ces coûts macroéconomiques mais avec des coûts résiduels (limites à l’adaptation). Où en est-elle? Des progrès contrastés dans la planification et la mise en oeuvre de l'adaptation, des réponses incrémentielles et pas assez transformatives avec des difficultés à intégrer la dimension de l'équité sociale dans les stratégies d'adaptation, ainsi que les risques provenant d'autres régions, et l'enjeu de renforcer le suivi, l'évaluation, la transparence et la responsabilisation. Certains obstacles à l'adaptation en Europe sont clairement identifiés.
La litéracie climatique décrit la conscience des causes et des implications du réchauffement planétaire. Elle est importante, avec l'accès aux services climatiques, pour la mise en oeuvre d'adaptation transformatrice, comme montré aussi en Afrique.
Chaque incrément supplémentaire de réchauffement planétaire entraînera des risques accrus pour les écosystèmes dans chaque région du monde, par exemple pour les espèces endémiques dans les "hotspots" de biodiversité, où le risque d'extinction est x10 entre 1,5°C et 3°C.
Pour chaque incrément de réchauffement supplémentaire, davantage d’espèces seront exposées à des conditions climatiques potentiellement dangereuses avec des effets en cascade pour les services écosystémiques et les sociétés humaines qui en dépendent, par exemple ici pour les écosystèmes marins...
... qui sont affectés de la surface aux grandes profondeurs par les multiples conséquences du réchauffement (chaleur, acidification, perte d'oxygène).
Encore une fois, des possibilités d'adaptation existent, ici pour les écosystèmes côtiers et marins mais aussi des limites aux possibilités d'adaptation, illustrées ici pour les récifs de coraux tropicaux ...
... et la montée en puissance de solutions "fondées sur la nature".
Ce type d'approche, fondée sur les écosystèmes représente environ 1/3 des actions d'adaptation des contributions déterminées nationalement de 52 pays africains mais avec des points de vigilance. Par ex, certains projets de plantations d'arbres, en Afrique, sont ciblés sur des écosystèmes non forestiers (savanes, prairies, zones arbustives) qui ont leur propre biodiversité unique, et soutiennent des activités agropastorales.
Pour chaque incrément de réchauffement supplémentaire, des services essentiels de la nature sont menacés, et les risques sont croissants pour les sociétés humaines.
L'action en matière d'adaptation monte lentement en puissance, avec des progrès inégaux. Elle est illustrée ici pour l'adaptation qui porte sur la gestion de l'eau.
Selon les régions, différents secteurs et différents facteurs climatiques générateurs d'impacts sont pris en compte dans l'adaptation.
Les écarts se creusent entre les besoins d'adaptation et les mesures qui sont effectivement mises en oeuvre. Ces écarts sont les + importants pour les populations aux revenus les + faibles, et vont continuer à s'accroître.
Le potentiel d'innovation est important pour les villes, qui peuvent construire des stratégies hybrides, mobilisant ingéniérie et solutions fondées sur la nature, par exemple pour la gestion de l'eau.
A court terme, de nombreuses options d'adaptation faisables existent, avec différentes synergies pour l'atténuation.
Pour la gestion de l'eau, l'efficacité des mesures disponibles se réduit pour des niveaux de réchauffement planétaire qui augmentent (limites "dures" à l'adaptation).
Le renforcement de la sécurité alimentaire dans un climat qui se réchauffe est vital.
Des chocs affectant la production alimentaire sont observés dans différents secteurs d'approvisionnement.
Certaines formes d'agricultures sont particulièrement vulnérables à l'intensification des sécheresses affectant l'humidité des sols, avec des défis croisés pour la gestion de l'eau avec, partout, des expérimentations... des enjeux associés aux déplacements d'espèces, des enjeux spécifiques aux jeunes actifs du secteur agroalimentaire (vulnérables, mais aussi porteurs de changements systémiques).
En Europe, les projections de changements de rendements agricoles montrent l'importance de l'irrigation, avec des limites (chaleur-sécheresse) et un manque d'évaluation intégrée de la disponibilité potentielle en eau pour les activités agricoles.
Les risques d’approvisionnement peuvent être affectés par les effets composites du changement climatique sur les «greniers à blé » et les conditions de travail, le commerce et le transport dans d'autres régions du monde.
Les impacts du changement climatique sur l’agriculture européenne peuvent menacer la sécurité alimentaire mondiale, et la demande européenne peut aussi réduire le potentiel d’adaptation des écosystèmes en Amérique du Sud, en Afrique et en Asie. Les enjeux de sécurité alimentaire sont majeurs, dans le contexte d'impacts négatifs déjà observés pour les rendements agricoles dans les régions tropicales, comme ici en Afrique où les coûts de réparation et d'entretien des infrastructures routières existantes augmentent fortement avec les conséquences du changement climatique (température et précipitations).
La sécurité alimentaire et nutritionnelle est aussi menacée par la baisse du potentiel de prise de pêche déjà observée dans les régions tropicales et qui va s'intensifier avec la poursuite du réchauffement, avec des enjeux nutritionnels, par exemple en Afrique, liés à la pêche en mer... mais aussi la pêche dans les lacs et rivières.
En Europe, les activités de pêche et d'aquaculture sont proportionnellement moins vulnérables, mais font vivre 250 000 personnes avec une baisse du potentiel de pêche durable déjà observée et qui va augmenter, et un enjeu de construction d'activités résilientes.
L'adaptation, ce sont aussi des enjeux de santé, illustrés par la manière dont les extrêmes chauds affectent la santé, ou par la manière dont les infections gastrointestinales sont affectées par le changement climatique avec des enjeux à intégrer l'adaptation aux systèmes de santé.
Cet aspect n'est aujourd'hui que partiellement intégré aux stratégies nationales d'adaptation (ici sur la base des NDC).
Dans le contexte où le changement climatique contribue aux crises humanitaires lorsque les aléas interagissent avec une forte vulnérabilité et l'insécurité alimentaire entraîne des déplacements subis, qui génèrent et perpétuent des vulnérabilités.
Cette évaluation souligne l'importance d'avoir une approche de santé globale ("one health") analyse les leviers d'adaptation disponibles, pour renforcer la résilience des systèmes de santé, tenant aussi compte des enjeux de santé mentale.
Ce rapport souligne aussi l'émergence d'actions qui relèvent d'une maladaptation.
Voici des exemples d'options d'adaptation qui peuvent conduire à différents types de maladaptation.
Les connaissances ont aussi progressé sur les limites à l'adaptation.
L'adaptation ne peut pas empêcher toutes les pertes et tous les dommages, et même avec une adaptation efficace, les limites seront atteintes avec des niveaux de réchauffement plus élevés, ici pour l'eau.
En ce qui concerne les contraintes financières, les flux financiers mondiaux actuels sont insuffisants, notamment dans les pays en développement.
Les impacts climatiques qui entraînent des niveaux plus élevés de pertes et de dommages ralentissent également la croissance économique et réduisent ainsi la disponibilité des ressources financières. Pour éviter des pertes croissantes, il est de renforcer l'adaptation, tout en réduisant les émissions de gaz à effet de serre afin de garder ouvertes un maximum d'options d'adaptation.
Certaines mesures d'adaptation offrent des nombreux bénéfices associés concernant d'autres objectifs du développement durable, en particulier le bien-être, les écosystèmes, et l'équité.
Agir maintenant est important compte-tenu des durées de préparation des projets et de mise en oeuvre, tout particulièrement pour le littoral.
Les villes côtières sont en première ligne par rapport à des risques composites, et pour construire un développement résilient au climat - pour 1 milliard de personnes.
Des combinaisons d'interventions seront nécessaires pour renforcer la résilience au cours du temps, avec des enjeux majeurs de prise de conscience, de délibération, et de mise en oeuvre de stratégies intégrées, anticipatrices, flexibles.
En Europe, l'adaptation pour le littoral progresse, mais reste incrémentielle, fragmentée, pour répondre aux impacts de court terme, et davantage centrée sur la planification que la mise en oeuvre. Les petites îles sont particulièrement concernées par les conséquences multiples du changement climatique, avec des effets chroniques et aigus.
Des impacts croissants y sont observés ainsi que différents types de réponses, d'une complexité croissante combinant des mesures d'adaptation in situ, mais aussi la question d'un repli planifié.
Ces exemples illustrent les enjeux à construire un développement résilient vis-à-vis du climat.
La mise en œuvre de l’adaptation et de l’atténuation conjointement avec les objectifs de développement durable permet de tirer partir des synergies, de limiter les effets indésirables, et de renforcer l’action dans ces trois dimensions.
Cela demande une implication de tous: gouvernements, citoyens, communautés, institutions éducatives, médias, investisseurs et entreprises - en formant des partenariats. Choisir les actions plus pertinentes et efficaces demande de s'appuyer sur connaissances scientifiques, les savoirs locaux et autochtones, les connaissances pratiques des acteurs de terrain, impliquer les groupes marginalisés, et privilégier l'équité et la justice.
Construire un développement résilient au changement climatique est déjà un défi pour le niveau actuel de réchauffement planétaire - les perspectives sont plus réduites pour un réchauffement de 1,5°C et certaines impossibles dans certaines régions à +2°C.
Le rapport fournit une évaluation des leviers d'actions, pour construire des transitions transformatrices, dans différents grands systèmes (énergie, systèmes urbains et infrastructures, systèmes industriels, écosystèmes) et souligne que chaque choix compte pour renforcer la résilience vis-à-vis du changement climatique, avec des possibilités d'adaptation plus importantes pour un niveau de réchauffement plus proche de l'actuel.
J'espère vous avoir donné envie d'en apprendre davantage sur les enjeux du changement climatique, dans chaque région, sur les leviers d'action, pour agir en matière d'adaptation, pour construire, collectivement un développement + soutenable, + résilient...
Vous trouverez par exemple des fiches de synthèse très claires de quelques pages (en anglais) pour chaque région ici: ipcc.ch/report/ar6/wg2…