đŁ SobriĂ©tĂ© en sols et transition de nos territoires
La ZAN nĂ©gocie son atterrissage dans les territoires, et câest compliquĂ©. La ZAN, câest le petit nom de la «âZĂ©ro Artificialisation Netteâ», introduite par la loi Climat RĂ©silience dans le Code de lâUrbanisme il y a un peu plus dâun an. En ce moment, elle occupe les jours et hante les nuits des Ă©lus locaux et des professionnels de la fabrique de la ville. Car oui, la ZAN pose plusieurs problĂšmes.
Le «âZĂ©roâ» dâabord. Le dispositif parie sur la collaboration des acteurs locaux pour se partager intelligemment un effort de division par deux des surfaces consommĂ©es pour agrandir nos villes. Autant le dire franchement, rien nâest gagnĂ©. Certains territoires ont crĂ©Ă© ces derniĂšres annĂ©es de vraies pratiques de collaboration, et font en ce moment mĂȘme ce difficile exercice de nĂ©gociation. Mais dâautres vont appliquer la thĂ©orie du ruissellement Ă la planification urbaine, et dĂ©cliner de façon absurde le taux de -50 % Ă une Ă©chelle communale qui nâa plus de rapport avec les enjeux urbains contemporains.
Mais le A, pour «âArtificialisationâ», pose aussi problĂšme. Non seulement le terme est imprononçable â les dĂ©bats parlementaires lâont bien dĂ©montrĂ© â mais la loi et ses dĂ©crets ne nous ont toujours pas permis de comprendre quâil veut vraiment dire. Dans les esprits deux questions sont mĂȘlĂ©es de façon confuse. Dâun cĂŽtĂ© «âoĂč faire la villeâ?â», associĂ© Ă la consommation dâespaces agricoles ou naturels pour amĂ©nager de nouveaux espaces urbains, au foncier, au temps long, et aux documents de planification. De lâautre «âcomment faire la villeâ?â», liĂ© aux sols, Ă leurs fonctions Ă©cosystĂ©miques, le temps court et lâurbanisme opĂ©rationnel. La controverse va encore durer avant que nous partagions une mĂȘme vision et que nous arrivions Ă Ă©crire des textes qui font consensus, et câest heureux : nous nâavions pas eu de dĂ©bats aussi riches sur la fabrique de la ville depuis deux bonnes dĂ©cennies.
Reste le «âNetteâ», avec lâidĂ©e que lâartificialisation des sols pourrait se compenser, mais sans que nous sachions encore vraiment comment. Cela fait beaucoup de problĂšmes pour un acronyme Ă 3 lettres, mais sâil nây avait que cela, ce ne serait pas si grave. Car en ciblant lâartificialisation des sols, la loi sâest trompĂ©e de cible : ce nâest que le symptĂŽme dâun mal beaucoup plus profond. Depuis un demi-siĂšcle, les sols agricoles sont devenus la matiĂšre premiĂšre dâun modĂšle de dĂ©veloppement urbain dans lâimpasse, fondĂ© sur la monoculture automobile, la sĂ©paration des fonctions et une poignĂ©e de produits immobiliers standardisĂ©s. La fabrique de la ville est droguĂ©e au sol agricole comme notre Ă©conomie lâest aux Ă©nergies carbonĂ©es, et le sevrage est difficile.
Alors oui, câest compliquĂ©, partout, mais ça avance. Et câest bien cela la vraie surprise, la ZAN avec tous ses dĂ©fauts est en train de transformer en profondeur nos perceptions et nos pratiques. Il a fallu les gilets jaunes, une pandĂ©mie mondiale, un Ă©tĂ© suffocant, une loi contraignante et une dose de management par le chiffre pour y arriver, mais câest dĂ©jĂ une vraie rĂ©ussite. Partout en France on dĂ©bat sur la fabrique de la ville et ses transitions, et des collectivitĂ©s sâengagent dans la sobriĂ©tĂ© fonciĂšre en regardant leur territoire urbanisĂ© dâun autre Ćil pour y trouver les solutions Ă leurs besoins de dĂ©veloppement. Les faiseurs de villes de tout poil sâengagent dans le recyclage de friches, transforment des bĂątiments obsolĂštes, construisent de nouvelles maisons dans des lotissements vieillissants et rĂ©investissent les centres-ville.
Alors cela va sans doute trop vite pour certains, mais les crises ne les attendent pas. Des territoires ne pensent dĂ©jĂ plus leur avenir Ă coup de croissance vĂ©cue ou rĂȘvĂ©e, mais en fonction des chocs et des pĂ©nuries qui les percutent dĂ©jĂ . Ralentir le rythme serait insultant pour ces Ă©lus locaux et ces professionnels qui se retroussent les manches et dĂ©ploient les alternatives concrĂštes Ă lâĂ©talement urbain. La sobriĂ©tĂ© en sols qui nâest pas une fin en soi, mais un moyen dâamorcer une transition plus globale de nos territoires, et dâassurer leur rĂ©silience dans les turbulences qui pointent Ă peine leur nez. Alors oui, laissons plus de temps aux dĂ©bats pour permettre la nĂ©cessaire prise de conscience des Ă©lus, professionnels et citoyens, mais accĂ©lĂ©rons le passage Ă lâacte. Car partout des Ă©lus locaux font et doutent. Ils doutent comme dâautres, mais affrontent la complexitĂ© et font. Ce sont eux qui tissent nos territoires habitables du milieu du siĂšcle.
Alors soutenons-les.
â Sylvain Grisot (Twitter / Linkedin)
(Tribune publié dans le Monde le 24/12/2022)
đ ïžPodcast. Entretien passionnant et percutant de Magali Reghezza sur la rĂ©silience territoriale. Elle y parle de risques, de vulnĂ©rabilitĂ©s, de situations gĂ©ographiques, mais surtout d'adaptation des territoires. Parce quâil y a dĂ©jĂ des changements, et dâautres Ă venir. (Circular Metabolism Podcast)
đ« Justice sociale et Ă©cologique. Le âproblĂšmeâ dâavoir des villes plus vertes, avec plus de nature, plus dâarbres, plus de biodiversitĂ©, est que ces nouvelles amĂ©nitĂ©s font grimper les valeurs de bien-ĂȘtre, certes, mais aussi du marchĂ©. Le prix du logement et des services peut devenir moins abordable, ce qui amĂšne certaines populations Ă se dĂ©placer dans dâautres quartiers, voire en dehors des villes. Des villes plus Ă©colo que pour les plus riches ? Si cette question importante ne doit pas empĂȘcher lâaction de renaturation des espaces, il nous faut davantage se demander comment le faire, avec et pour qui. In English. (Bloomberg)
đŽđ»ââïž MobilitĂ© rurale. On a beau faire la guerre Ă la voiture individuelle, soyons honnĂȘtes, il y a des endroits oĂč lâon peut difficilement sâen passer. Comment proposer des alternatives dans des territoires peu denses et oĂč il faut souvent faire de nombreux kilomĂštres pour passer dâun village Ă lâautre ? Dâabord, faire un diagnostic de son territoire : de quoi, de qui parle-t-on ? Quels sont les besoins ? Ensuite, sâappuyer sur des mesures lĂ©gĂšres, douces, comme le covoiturage, lâautopartage, les transports en commun, en communicant massivement Ă leur propos, pour si ce nâest changer, au moins questionner les comportements. Et Ă©videmment, proposer des services : des transports en communs, des transports Ă la demande, de la location de vĂ©lo Ă©lectrique longue durĂ©e⊠Venez dĂ©couvrir les retours dâexpĂ©rience de ces territoires ! (CEREMA)
đ Friches. A lâheure du ZAN, les friches ont pris en valeur stratĂ©gique comme espace pour le dĂ©veloppement dans les territoires. Voici un interview de Laurent Galdemas, qui a participĂ© au guide pratique de reconversion des friches publiĂ© par le LIFTI. Un des enjeux principaux est encore de bien repĂ©rer des friches et de les caractĂ©riser : on ne fait pas la mĂȘme chose quand le sol est polluĂ©, quand les bĂątiments sont encore en bon Ă©tat ou si une espĂšce protĂ©gĂ©e Ă dĂ©cider dây faire son nid. Les potentiels de mutabilitĂ© sont divers et ils sont Ă questionner rapidement pour Ă©viter de se faire rĂȘver, notamment en zone dĂ©tendue. (Adequation)
đ Se rĂ©unir, du rĂŽle des places dans la citĂ©, de JoĂ«lle Zask (Premier ParallĂšle, 2022). Un essai qui jongle avec la philosophie, lâarchitecture, lâurbanisme et l'histoire pour sâinterroger sur le rĂŽle des places dans lâespace public. Notamment sur leur valeur et leur puissance dĂ©mocratique, en commençant la visite par la mythique place de La RĂ©publique (mĂȘme les non parisien.nes ont dĂ©jĂ fait un rassemblement ici). Lâauteure sâest intĂ©ressĂ©e Ă ces espaces lors du mouvement Nuit Debout, oĂč lâon se retrouvait sur place, comme un lieu Ă se rĂ©approprier, et non pas en dĂ©placement comme lors de manifestations.
Les places sont sĂ©parĂ©es de la nature en vertu des fonctions politiques et sociales que nous pensons devoir leur attribuer. Elles ont Ă©tĂ© et sont toujours pensĂ©es comme des lieux dâexercices et dâostentation du pouvoir dominant - y compris celui du peuple. En cherchant Ă incarner la souverainetĂ©, elles Ă©vacuent tout Ă©lĂ©ment Ă©tranger, tout Ă©lĂ©ment sauvage, tout risque dâaccident. Si des vĂ©gĂ©taux sây trouvent, ils doivent ĂȘtre sĂ©vĂšrement canalisĂ©s.
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