Passer ses vacances à l'école ?
Développer la ville sans l’étaler ne passe pas que par des interventions lourdes. Répondre à plus de besoins urbains sans construire est aussi possible en intensifiant les usages de l’existant. Nous avons suivi la piste de pionniers qui transforment, tous les étés, leur école en gîte touristique.
La dernière sonnerie de l’année scolaire retentit dans les couloirs de l’école. Les enfants sautent de leur chaise, empoignent leur cartable et souhaitent un bel été à leur maîtresse. À l’école Saint-Philbert, dans le centre-ville touristique de Noirmoutier, l’année n’est cependant pas encore tout à fait finie. Les élèves et leurs enseignants doivent laisser derrière eux une salle de classe bien rangée avant de partir en vacances : empiler les chaises, ranger les craies et les dernières œuvres d’arts plastiques, cacher le tableau noir sous un drap... En effet, il est temps de transformer les salles de classe en gîte de vacances !
Dès le premier samedi des vacances d’été, des estivants viendront habiter dans l’école transformée en hébergement pour la saison. Tous les ans, les huit salles de classe de l’école Saint-Philbert sont transformées en logement : à la place des rangées de bureaux, six à huit lits sont installés, avec un coin cuisine, de la vaisselle et une table à manger constituée de deux bureaux d’écoliers. Devant chaque salle, une petite terrasse pour siroter un rosé (vendéen) bien frais au soleil, et trois barbecues permettent de faire dorer saucisses et aubergines dans les cours partagées de l’école.
Cette mutation estivale est l’œuvre des enseignants de cette école privée et des parents bénévoles. Avec un peu d’organisation et quelques volontaires, une école — l’anti-lieu de vacances par excellence — peut donc se transformer en lieu de villégiature accueillant. L’aménagement reste rustique, mais confortable, et le tarif est imbattable pour des gîtes situés à proximité du marché du centre-ville et à dix minutes en vélo de la plage des Sableaux et de la plage des Dames.
Ces parents d’élèves ne sont pas des lecteurs assidus du Manifeste pour un urbanisme circulaire où ils mériteraient pourtant d’être cités comme pionniers. Ils font, depuis plus de 25 ans, de l’« intensification des usages » sans le savoir, comme d’autres font de la prose. L’objectif est de dégager des revenus pour réduire les frais de scolarité, financer des travaux d’entretien et de mise aux normes de l’école, ainsi que de participer au budget pédagogique (sorties scolaires, matériels...). Une démarche qui repose sur une forte mobilisation des parents qui se relaient tout l’été pour accueillir les estivants et restent disponibles en cas de problèmes. Pas de recette magique donc, mais la volonté nécessaire pour affronter les questions d’organisation associées à ce changement d’usage saisonnier et des parents volontaires qui croient en la démarche et ses bénéfices pour leur école.
Mais qui peut bien avoir envie de passer ses vacances à l’école ? Cela peut paraître compliqué comme proposition de vacances pour les bambins, pourtant les estivants sont principalement des familles avec enfants, et l’ambiance est visiblement bonne :
« Il y a une ambiance familiale, et certains qui reviennent depuis plus de vingt ans. En fait, c’est comme au camping, mais sans être sous la tente ! »
L’école Saint-Philbert est un bon exemple d’intensification des usages de la ville déjà là. Elle aurait pu être vide pendant les vacances d’été, mais elle devient, par la magie d’une organisation originale, un lieu d’hébergement abordable qui permet à des ménages modestes de se payer des vacances à la mer. Son ouverture en été permet de nouveaux usages sans construire. Alors, bien sûr, toutes les écoles ne peuvent pas accueillir des touristes pour l’été, mais combien le pourraient tout de même ? Combien seraient utilement réorganisées pour héberger des saisonniers ? Ailleurs, d’autres écoles ouvrent aussi le soir et le week-end pour accueillir des associations, pourquoi pas partout ?
Intensifier les usages, c’est regarder la ville déjà là d’un autre œil, pour y déceler ces temps discrets où elle peut faire plus pour ses habitants. C’est aussi renoncer au réflexe de construire systématiquement pour répondre à de nouveaux usages, mais surtout affronter la complexité des organisations pour valoriser ces temps de vie disponibles pour celles et ceux qui savent se mobiliser. Changer de matière grise en coulant moins de béton et en misant sur l’intelligence.
Alors si vous avez une petite envie de vacances, c'est simple : locationsaintphilbert@gmail.com
Frédérique Triballeau · dixit.net · mars 2021