Produire en ville, produire la ville
Quelques pistes pour une exploration collective des nouveaux modes de production, et de leurs impacts sur la ville et la société.
Quelques pistes pour une exploration collective des nouveaux modes de production, et de leurs impacts sur la ville et la société.
Publication initiale : Tribune Libre #54, février 2014
L’actualité est édifiante : nos usines ferment.
Gad, Marine Harvest, Goodyear, Alcatel-Lucent, PSA… La France ne sait manifestement plus produire et abandonne peu à peu ses positions. Les sites de production, nichés au cœur des villes de toutes tailles, se transforment en derniers bastions de la résistance ouvrière, puis les flashs de l’actualité peu à peu s’éteignent et l’oubli s’installe. Les cendres refroidissent, l’herbe pousse.…
UNE FRICHE DE PLUS
Dans le meilleur des cas émergera un lieu culturel, ou mieux une pépinière d’entreprise, voire même un “Hub” numérique, vaste cathédrale industrielle abandonnée aux seules startups de la net-économie. L’ouvrier aura fait place au col blanc, le réel au virtuel, et la ville oubliera peu à peu qu’elle savait “faire”, pour se consacrer corps et âme au monde des services virtualisés.
Mais cette disparition des fonctions productives de la ville est-elle inexorable ? Je n’ai pas de réponse à cette question, mais les alternatives méritent d’être explorées. Car nous avons besoin de faire pour penser bien. Et puis comment imaginer plus écologiquement inepte qu’une ville qui ne dépendrait plus que de lieux de productions éloignés ? La ville pourrait-elle se réduire à ses seules fonctions tertiaires, résidentielles et commerciales ?
Certainement pas.
Nous avons besoin de renouer avec le “faire”. Pour que chacun trouve sa place dans la société, une fonction productive doit demeurer, et pas seulement dans les franges des métropoles au bout de zones d’activités informes oubliées par les transports urbains, mais replacée au cœur de la ville, visible et assumée.
La ville durable, la ville pour tous est à ce prix.
Mais comment faire ? Les idées sont encore floues mais une seule chose est certaine : pas comme avant. Et cela tombe bien car les vents tournent. Technologies nouvelles, évolutions des comportements, prise de conscience environnementale… Un faisceau de transformations structurelles re-questionne les modes de productions et leur place dans la ville, à nous d’essayer de mieux comprendre ces dynamiques.
PRODUCTION DE MASSE VS CYCLE COURT
L’industrialisation de la production a été associée à la standardisation des produits, à la concentration des lieux de production dans les pays offrant des faibles coûts de main d’œuvre, et donc à leur éloignement des lieux de consommation. Les signes d’évolution de ce modèle restent minces, mais ils sont bien réels. D’abord la prise de conscience environnementale, doublée d’une optimisation opportune des flux logistiques et des stocks circulants tend à réduire les distances entre lieux de production et lieu de consommation. Les thèmes du “produire local” ou du “cycle court” pourraient ainsi progressivement s’écarter du seul monde agricole pour devenir des pistes de renaissance d’une nouvelle industrie re-territorialisée, misant sur la très forte proximité permise par l’abandon de la production massive standardisée au profit de la petite série.
PRODUCTION STANDARD VS PRODUCTION PERSONNALISÉE
Car c’est bien là que les nouveaux outils de production viennent changer la donne. Imprimante 3D, tables de découpe numériques, mais plus globalement, les outils de production numériques permettent d’adapter les productions de façon personnalisée en supprimant des étapes de production. De petites séries deviennent économiquement viables, limitant les besoins de standardisation et de stocks au profit de productions adaptées, produites au plus proche des lieux de consommation, en fonction de la demande. Alors renouveau de l’artisanat ou apparition d’une micro-industrie ? Sans doute un mode nouveau de production brouillant les frontières entre le créateur et le producteur, le concepteur et le technicien, misant sur une adaptation fine aux besoins et une industrialisation de pièces quasi uniques.
CONSOMMATION VS PARTICIPATION
Ce rapprochement des lieux de consommation et cette rupture dans les modes de production portent un autre changement : le contact direct redevenu possible entre le consommateur et le producteur. Malgré les affolements de la presse, il est peu probable que l’imprimante 3D remplace la machine à café dans les logements. L’autonomie des individus dans la production des objets du quotidien restera marginale. De nouvelles collaborations apparaissent par contre déjà entre concepteur, producteur et consommateur, dans la définition des objets du quotidien, leur design, voire même le financement de leur production. Crowdfunding, co-production des designs, production participative… Les frontières une nouvelle fois s’effacent au profit d’une rencontre entre les acteurs, de l’émergence d’un univers collaboratif bien loin des schémas segmentés de la société de consommation
DES LIEUX POUR PRODUIRE ?
Proche par nature, visible et nécessitant un frottement créatif entre consommateur et producteur, la nouvelle production devra retrouver la ville pour prospérer. Une proximité essentielle pour amorcer cette collaboration et ces échanges nécessaires à l’élaboration de productions utiles et adaptées aux besoins. Une proximité entre les producteurs aussi, permettant une mutualisation des outils et des pratiques, entre eux, et pourquoi pas avec des consommateurs-acteurs.
Ainsi la logistique du dernier kilomètre, maillons final d’une chaîne traversant les océans, se transformerait en logistique du kilomètre unique, au bénéfice d’une évidente rationalité écologique
USINES D’UN GENRE NOUVEAU
Une image encore floue de cette usine d’un nouveau genre, lieu de rencontre et de fermentation, évolutive par nature et intrinsèquement liée au devenir de la ville qui est son territoire. Entre idée et utopie, la réconciliation de la création et de la production, du “penser” et du “faire”, et l’apparition de nouveaux modèles économiques fondés sur la proximité et la collaboration, et sans doute de nouveaux lieux à inventer, ou à découvrir dans les plis de la ville.
Quelques pistes pour une exploration collective de ces nouveaux modes de production, et de leurs impacts sur la ville et la société…
Sylvain Grisot / Février 2014