La Résilience par le vivant
L'association "Les Urbaculteurs" combine formations, conseils et fiches ressources pour redonner une place essentielle à la végétation en ville. Ils nous racontent leurs projets...
Les Urbaculteurs, c’est un collectif créé par Pascal Depienne il y a 3 ans, suite à la prise de conscience de la nécessité de redonner une vraie place au végétal dans la ville. C’est une association qui combine formations, conseils, diffusion d’informations et de fiches "ressources" en open source sur les différents apports de la vie végétale et animale, comme les mini forêts, les haies, les mares ou les îlots de fraîcheur. Les membres accompagnent les collectivités, les élus et les services des espaces verts à la mise en place de ces projets. Ils forment aussi les promoteurs immobiliers, bailleurs sociaux, paysagistes, urbanistes, architectes...
Le but n’est pas de faire à la place, mais bien de donner les outils et connaissances aux acteurs locaux pour développer ces pratiques. Les Urbaculteurs prônent une transformation des villes par la végétalisation de l’espace urbain disponible, et proposent un modèle d’application appelé "Résilience Urbaine". Ce modèle se décline en un ensemble de formations sur des projets concrets d’apport de biodiversité, d’alimentation et de stockage de carbone dans la ville, comme à Neuville-de-Poitou, dans le nord de la Vienne, où notre équipe s’est déplacée pour les rencontrer.
La végétalisation, nouvelle approche des villes
Le modèle est né d’un postulat que les villes représentent 70% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, ne sont pas autonomes en alimentation, et constituent les espaces encore trop pauvres en biodiversité. Il est nécessaire de trouver un modèle applicable à toutes, mais adaptable aux spécificités de climat, de topographie et de démographie de chacune.
Pascal Depienne, initialement formateur et consultant designer en permaculture, défend l’idée que le changement des villes passe par leur végétalisation, qu’il faut accélerer cette transition et imaginer l’espace urbain à travers une nouvelle place donnée au vivant. En travaillant sur des projets de quartiers bas carbone, comme le quartier Atlantec à La Rochelle, il a réalisé que la plupart des modèles d’installations végétales sont réplicables.
Je me retrouve à travailler sur certains projets d'aménagement de quartiers immobiliers où les paysagistes se font retoquer par les services de l’agglomération qui n’était pas satisfaite du travail accompli, lequel peut manquer de réel apport sur la biodiversité ou le stockage de carbone. Il y a là un besoin de compétences supplémentaires. En général, ils viennent vers nous, ils demandent aux Urbaculteurs qui transfèrent aux professionnels les plus proches, à savoir nous en réalité.
Pascal Depienne, président de l'association
Le modèle Résilience Urbaine
Avec Simon Roy, écologue, salarié et coordinateur de l’association, et tous les bénévoles aux corps de métiers et compétences diverses, ils construisent ensemble le modèle “Résilience Urbaine”. L’association est alimentée par des personnalités et expériences très variées : urbanistes et paysagistes, mais aussi communiquants, écologues, ingénieurs agronomes et du bâtiment, designers... Et ils appellent tous types de profils à les rejoindre.
Le modèle propose des installations végétalisées qui doivent apporter les 3 critères cités plus haut (alimentation, stockage de carbone et biodiversité), avec une priorité donnée à l’alimentation qui représente le meilleur apport écologique, et constitue un vecteur de lien social. En fonction des contraintes présentes sur le terrain (sol pollué, espaces retreints, manque de services de maraîchage à proximité...) les installations doivent à minima garantir le stockage de carbone, et/ou l’apport de biodiversité. Pour Simon Roy, les 3 secteurs s’alimentent et sont interdépendants.
En écologie, on utilise le terme d’écotone. C’est la frontière entre deux écosystèmes, et quand on juxtapose plein d’écosystèmes différents, on multiplie ces bordures et ces écotones. En permaculture aussi, on parle de l’effet de bordure, soit des endroits où la biodiversité est la plus importante, parce qu’on trouve dans les écotones à la fois la biodiversité du milieu A et celle du milieu B, mais aussi la biodiversité intrinsèque à la bordure, qui ne se développe que dans ce genre d’espace très restreint. Le fait de multiplier ces différents écosystèmes amène une richesse à la biodiversité immense et des services écosystémiques beaucoup plus grands. Les services écosystémiques, ce sont tous les services rendus par la nature qu’on ne mesure pas correctement aujourd’hui, parce qu’il n’y a pas de gain économique. C’est vu comme n’ayant pas de valeur, alors que c’est complètement faux.
Simon Roy, écologue et coordinateur de l'association
Le modèle souhaite aussi donner aux acteurs de la transition de nouveaux moyens de développer leurs activités. Pour les agriculteurs, par exemple, des moyens de diversifier leurs activités et d'assurer de nouvelles sources de revenus sont, au delà de gérer les jardins partagés, de faire de la formation auprès des habitants ou de l’aménagement. L’idée est de repenser certains corps de métiers liés à cette thématique et, en faisant participer les habitants, de leur permettre de développer d’autres compétences, ce qui les sécurisent financièrement, apporte de la plus value à leur travail et reconnectent les territoires agricoles et urbains entre eux.
Mini forêt à Neuville-de-Poitou
Un projet phare de l’association se trouve à Neuville-de-Poitou, une commune de 5000 habitants au nord de Poitiers. Après avoir été contactée par la ville et établi un plan de formations des espaces verts, l’association s’est lancée dans la création d’une mini forêt au sein d’un quartier résidentiel. Près de 300 arbres, dont 25 essences différentes, ont été plantées sur 100 m2 en 1h30 dans un quartier du centre-bourg en mars 2022. La commune avait sollicité les habitants du quartier, enfants et parents, et 70 personnes sont venus participer à la plantation. Ils étaient accompagnés par les employés du service espaces verts, ainsi que par l’association Api’zone qui intervient plus largement dans la conduite de projets en lien avec le développement de la biodiversité et la protection de l’environnement à Neuville.
La création de cet îlot a d’abord nécessité un travail minutieux du sol. Pour le préparer, il a fallu décaisser, c’est-à-dire enlever la terre pour créer une fosse qu’on va remplir de mélange de matière organique (paille, feuilles mortes, son d’avoine), puis recouvrir à nouveau avec la terre où l’on va planter les arbres en question. Enfin, le tout a été recouvert de 15 cm de broyat. Les plants sont fournis par les pépinières locales. Ce sont donc des espèces autochtones à la région.
Dans une interview de Vivant, le média, Simon Roy bouscule l’idée que maturité rimerait avec efficacité : « Aujourd’hui, on se rend compte que certaines forêts matures émettent plus de carbone qu’elles n’en absorbent, car en vieillissant, les arbres absorbent moins de CO2. C’est donc important de créer de nouveaux îlots de fraîcheur. » Pascal Depienne ajoute que la différence est notable : cette mini-forêt pousserait « 10 fois plus vite que si on était partis d’une friche ou d’une prairie. »
L’objectif de cette forêt est d’obtenir un rafraîchissement et une amélioration de la qualité de l’air, de diminuer les pollutions sonores, de développer la biodiversité locale, de stabiliser les sols, et de retenir le CO2 à l’échelle du quartier. Nos intervenants soulèvent ici l’importance de l’inclusion des citoyens et habitants dans ce genre de projet. Pour eux, c’est l’un des leviers principaux à exploiter pour garantir une réelle adhésion à la transition, et pour sécuriser le dialogue sur la suite. Car, évidemment, on ne s’arrête pas là.
Des retours prometteurs
A Neuville, la mêche a pris. Après la plantation de cette première mini forêt accompagnée par les Urbaculteurs, la ville en a planté 2 autres, installé des plantes grimpantes sur les murs du cimetière et entamé la création d’un grand parc végétal et boisé sur une ancienne friche herbeuse. Malgré l’enthousiasme des élus et de la plupart des citoyens qui soutiennent ces initiatives, nos intervenants ont remarqué une méfiance chez d’autres, et des contraintes de temps, de communication et de formations qu’ils retrouvent assez systématiquement.
On touche du doigt une autre problématique qu’on identifie de plus en plus et dont on a discuté avec le collectif La Traverse, qui œuvre du côté de Poitiers pour la transition des communes. Ce collectif-là s’organise pour pouvoir travailler avec les collectivités, les citoyens, les professionnels, et penser la transition ensemble. En fait, ce que le réseau identifie, c’est qu’il y a besoin de personnes tierces : des animateurs, des personnes qui vont venir réunir les citoyens, les collectifs, les associations pour mettre ce sujet en discussion, afin qu’il ne soit pas pris dans un parti.
Simon Roy
Les difficultés de communication entre les instances de décisions, mais aussi auprès des élus et vers les citoyens, sont très présentes sur les projets que l’association a pu mener. En effet, de telles propositions viennent régulièrement attiser des craintes du changement pour les habitants qui ne savent pas ce que leur environnement de vie va devenir, si les travaux vont être contraignants, ou si le résultat sera réellement profitable pour eux. Pour nos intervenants, la clé réside dans une grande communication vers ces deux parties pour assurer une confiance, montrer qu’il y a un intérêt économique bien sûr, mais bien au delà de ça.
Chacun a son intérêt à y trouver. C’est aussi pour ça que ça prend du temps. Tout le monde essaye de négocier son petit morceau de viande autour de cette table, parce qu’ils ont des intérêts économiques à ce qu’il y ait tel ou tel aménagement qui se fait, ou que ça prenne telle ou telle direction pour le projet. [...] Mais il y a aussi de gros avantages à travailler avec des associations, parce qu’il n’y a pas toute cette dimension d’intérêt économique derrière. Ce sont des gens qui se donnent une mission de vie, associative, qui transcende juste le fait de gagner de l’argent. C’est important aussi, de pouvoir jongler avec ces deux acteurs.
Simon Roy
Les formateurs des Urbaculteurs connaissent par coeur le terrain sur lequel ils jouent, et ont les connaissances scientifiques et pratiques alimentées par des années d’expériences dans des domaines comme la permaculture, et de profils d’écologues, paysagistes et urbanistes qui viennent compléter les équipes et assurer une formation complète auprès des bénéficiaires. Ils remarquent que cette formation manque encore à grande échelle et devrait être inclue dans les cursus d’apprentissages des agents des espaces verts municipaux. En garantissant son accès en open source, ils engagent les villes à se saisir des outils proposés par le modèle, à se les approprier. Pascal Depienne déplore qu’il n’existe pas encore suffisament de formations sur ces sujets et qu’il y ai régulièrement besoin faire des recadrages. Aujourd’hui, les connaissances théoriques et scientifiques du sujet circulent dans un milieu fermé et ne sont pas suffisamment déployées pour la pratique.
Les Urbaculteurs n’ont pas un but lucratif. Il y a un modèle économique qui est de faire vivre les gens qui y participent à travers la formation, mais le but est d’aider tous les paysagistes ou urbanistes qui n’ont pas les connaissances suffisantes. Il manque une formation en écologie, en aménagement productif, en agriculture urbaine, ça devrait faire partie des cursus. On voudrait développer cette partie-là, pour éviter qu’un paysagiste fasse deux ans d’études pour apprendre à mettre des pavés et appliquer des techniques de désherbage.
Pascal Depienne
Un modèle et des inspirations qui essaiment
D’autres projets sont en cours, sur le même principe. L’association n’hésite pas à s’inspirer de techniques et initiatives aux alentours. C’est ainsi qu’au cours de notre rencontre, nous découvrons un jardin partagé en plein coeur de la cité des Couronneries à Poitiers. L’association Les Mains Vertes a créé ce jardin en 2011 avec les volontaires du quartier, fonctionnant sur le principe de parcelles cultivables à plusieurs pour favoriser la rencontre et le partage. Une partie consacrée aux enfants permet de faire des ateliers pédagogiques avec les élèves des écoles voisines.
Pour la suite, les Urbaculteurs continuent de dispenser des formations sur le modèle de la Résilience Urbaine dans plusieurs communes et cherchent à pérenniser le modèle. Simon Roy confie que le projet bénéficierait énormément d’une ville pilote, qui s’engagerait sur le long terme pour mettre en place la quasi totalité des installations végétales proposées par le modèle, et ainsi donner l’exemple pour que d’autres suivent. Ils sont en recherche active de cette ville, qui serait pour un tremplin exceptionnel à la globalisation du projet. Selon Pascal Depienne, il n’y a pas de seconde à perdre.
Il n’y a pas d’autre solution que d’avoir des grosses ambitions, jusqu’à imaginer vivre dans une jungle urbaine. On n’a pas d’autres solutions que de tenter ça. C’est de végétaliser à outrance les milieux et tant qu’on n’a pas essayé ça, on n’aura pas tout essayé.
Pascal Depienne
Marine Meunier · Mai 2022
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